Des conventions adoptées par l’Assemblée nationale guinéenne, à la problématique de la gestion des ordures dans la capitale, en passant par l’extinction du couvert végétal due à la récolte de vin de palme ainsi que des déchets toxiques qu’exploitent certaines unités industrielles, Dr Alpha Mamadou Baldé, membre de la commission ressources naturelles, environnement et développement durable au niveau de l’assemblée nationale aborde tous ces sujets sans détours, dans cette interview accordée à notre reporter. Lisez…
Honorable, peut-on savoir de façon succincte les activités que la Commission ressources naturelles, environnement et développement durable de l’Assemblée nationale a déjà réalisé en plénière et sur le terrain?
Dr Alpha Mamadou Baldé : Comme vous savez la législature en cours a démarré ses activités en janvier 2014. Donc nous sommes-là depuis deux ans et quelques. Nous avons effectivement réalisé pas mal d’activités. Premièrement, on a mis en place un réseau de parlementaire des élus locaux pour la protection de l’environnement en Guinée. Il faut dire que ce réseau national existait dans les autres pays, tels que : la Mauritanie, le Cap vert, la Guinée-Bissau, le Sénégal. Depuis 2006, ces pays étaient en réseau, c’est la Guinée seulement qui n’avait pas ce réseau, pendant que les autres travaillaient en réseau. Donc on a d’abord commencé par mettre en place ce réseau pour permettre à la Guinée d’intégrer le réseau. Parce qu’on ne peut continuer à évoluer seuls. Deuxièmement on a eu à accompagner certaines lois qui sont arrivées ici, notamment la convention sur la biodiversité. Nous avons accompagné la convention de Minamata sur le mercure qui fait beaucoup de désastre dans les zones d’orpaillage en Haute Guinée. Cette convention a été adoptée et ratifiée. Ce qui a permis de diminuer non seulement l’introduction frauduleuse du mercure mais également son utilisation dans les préfectures où il y a de hautes activités d’orpaillage. Nous avons aussi aidé à l’adoption de la convention de l’Union africaine sur la conservation de la nature. Il convient de noter que cette convention de l’Union Africaine est la plus ancienne des conventions. En plus de tout ce que j’ai dit là en termes de lois. Nous avons mené aussi des activités d’information parlementaire sur le terrain en Haute Guinée. Nous avons visité les sites d’exploitations minières, notamment à Kouroussa, où l’environnement est vraiment maltraité. Nous avons visité les fleuves notamment : le Tinkisso, le Milo …. De ce côté aussi la plupart des grands fleuves de la région de la savane sont presque menacés de disparition. Nous avons aussi visité les sites d’orpaillage de la commune rurale de Kintinia. L’on a constaté, que la cohabitation entre les orpailleurs clandestins et la SAG n’est pas aisée. Nous avons progressé pour atteindre Siguirini, la deuxième Sous-préfecture où il y a la société minière de Dinguiraye : la SMD. Là aussi, on a vu tout ce qui se passe au niveau des zones d’orpaillage à Lero. Dans l’ensemble, la situation n’est pas reluisante. C’est pourquoi notre commission a fait des recommandations, qu’on a adressées au bureau de l’Assemblée nationale et au gouvernement. Nous sommes en train de suivre ces recommandations pour voir comment ces recommandations vont être prises en compte. Nous venons d’entamer une mission d’information parlementaire au niveau de la Base Guinée. La commission a visité certains sites industrielles de la ville de Conakry, mais également au niveau de la décharge de la gestion des déchets de la ville de Conakry.
Justement dans ce sens, quel pourrait être l’apport de la commission parlementaire de l’environnement par rapport à ce sujet, qui ne trouve toujours pas de solution?
Oui, nous comptons avoir une séance de travail avec le gouvernorat de la ville de Conakry. Pour comprendre et voir comment faut-il lever la dichotomie qui existe entre le ministère de l’Environnement et le ministère de l’Administration du territoire par rapport à la gestion des déchets au niveau de la ville de Conakry. Parce que le plus souvent chacun se rejette la responsabilité. Ce qui est clair Conakry est sale et très sale même. Il est vrai qu’ils n’ont pas eu suffisamment de ressources, mais au moins quelqu’un devrait être responsable de la propreté de la vile de Conakry. En 2000, il y avait des PME de collecte d’ordure mais malheureusement ce sont des PME qui étaient installées par un projet de PDU3, financé par la Banque mondiale. Mais ce qui est déplorable chez nous, tant que tous les projets sont soutenus, ça marche bien. Mais dès lors que ces derniers se retirent, il y a plus rien.
Un autre fait qui interpelle l’attention est celui du couvert végétal. Il se trouve que beaucoup de villages sont envahis actuellement par ceux qui récoltent le vin de palme. Selon nos sources, ces derniers une fois qu’ils ont fini d’extraire le vin, l’arbre n’a plus de chance de survivre. Est-ce que la commission de l’environnement de l’Assemblée nationale est au courant de cette autre problématique ?
Si aujourd’hui, la récolte du vin attire l’attention des observateurs, c’est parce que l’activité est devenue très intense. Mais avant le vin, il y a eu la carbonisation. Le charbon de bois reste la première source d’énergie pour les ménages à Conakry. Or qui dit charbon de bois, dit coupe et brûlure. Aujourd’hui, on coupe n’importe comment, les grands arbres n’ont plus la chance de survivre; même les manguiers ne sont pas épargnés. Par rapport au problème de vin de palme, tel que vous le dites, c’est vrai, ce sont des dispositions qui devraient être prises. Mais pour que les gens diminuent la pression sur les ressources forestières, pour se consacrer sur autre activité, il faut qu’il y ait une politique de conservation. Mais malheureusement, notre code forestier actuel date de 1987. Il devrait être revu. Quand on a interpelé le ministère de l’Environnement sur ce sujet, ils nous ont dit qu’ils l’ont préparé depuis. Mais qu’il se trouve quelque part coincé au Secrétariat général du gouvernement. Ce qui n’est pas normal, or il faut maintenant relire tous les textes de lois, certains sont caducs. Ce sont ces insuffisances qui font que certaines choses prennent de l’ampleur. Et donc il faut prendre des mesures énergiques pour contraindre ces gens-là à se trouver d’autres sources de revenus. Parce qu’aujourd’hui ils tirent l’essentiel du revenu de la vente du vin de palme. Vers les préfectures de Gaoual et Koundara, ce sont des rôniers qu’ils attaquent. C’est la même destruction, qui dégrade le couvert végétal. C’est la loi qui devrait être appliquée. Et quand la loi existe, on doit la respecter. Mais aujourd’hui pratiquement, cela n’existe pas. Les textes qui parlent de protection du couvert végétal, notamment le code forestier, ils sont caducs, au détriment du couvert végétal. Aujourd’hui, on dit la Guinée forestière, dans sous peu ça sera de la savane. Là-bas aussi, il y a une destruction sauvage. En Forêt, ce sont des grosses sociétés qui coupent et qui exportent notre bois. Telle que la société Forêt Forte à Macenta. Elle aussi dégrade sérieusement notre environnement. L’Etat a interdit la coupe de bois mais cette société continue de couper.
On va dire que c’est en complicité avec les cadres de l’Etat ?
Bien sûr, peut-être qu’elle a une autorisation, mais on devrait regarder tout ça. S’il y a des accords qui ont été pris au détriment de l’environnement, c’est le moment de se lever. Pour dire qu’on veut bien la coopération internationale, mais quand ça a de l’incidence sur notre couvert végétal, il faut revoir. Quand on coupe, il faut reboiser les surfaces exploitées, ce qui n’existe pas aujourd’hui.
Justement quel est votre perception de l’initiative du département de l’Environnement dans le cadre de reboisement ?
Ce n’est pas une première, au temps de l’ancien régime, on avait connu ce genre d’initiative. Chaque individu devait planter. Mais ça ne sert à rien d’organiser des activités de reboisement, s’il n’y a pas une politique de protection durable du couvert végétal, ça ne sert en rien de faire de la propagande. On a vu à Siguiri où les paysans ont planté de l’anacarde et par la suite les exploitants de l’or sont venus arracher les plants au profit de l’exploitation de l’or. Donc si l’on ne durcit pas la surveillance, on va faire le reboisement pendant trois mois, mais pendant la saison sèche, par manque de suivi ce sont les feux de brousse et autres qui vont détruire.
Honorable, la plupart des unités industrielles de la ville de Conakry ne sont pas loin des habitations. Il se trouve que selon nos sources, ces dernières dégageraient des substances toxiques, qui seraient mauvaises pour l’être humain. Est-ce que la commission à laquelle vous appartenez s’intéresse-t-elle à cette autre problématique ?
On vient à peine d’entamer une tournée dans ce sens dans certaines usines industrielles de la place : l’usine de ciment de Simaf, Topaz… et par la suite, on est revenu à la décharge de Dar-es-salam. Nous continuerons cette visite dans les autres unités comme la Sobragui. Il y a la pollution mais elle est moins visible. C’est l’usine de Ciment de Guinée, qui s’est implantée depuis longtemps, qui a du mal à respecter les normes internationales contre la pollution. Les autres qui viennent de s’implanter, l’on a constaté que ces dernières ont pris des dispositions, il faut le reconnaître. Aujourd’hui, ce sont les ordures que nous rejetons qui restent le plus grand problème de pollution.
Entretien réalisé par Richard TAMONE