Censure

Les Guinéens savaient deux ou trois choses de leur Premier ministre, mais pas ça…

Les Guinéens savaient que Mamady Youla, leur Premier ministre était un grand manager à la tête d’une société minière qui vaut 5 milliards de dollars ! Ils savaient aussi que le successeur de Saïd Fofana est un homme humble, qui n’aime pas faire de grands bruits. Ils savaient enfin qu’il allait imprimer au gouvernement la méthode de gestion d’une entreprise. Mais peu de Guinéens savaient que Mamady Youla manie la langue de Shakespeare sans accent. C’est ce côté caché qu’il vient de dévoiler lors du Toronto Global Forum au Canada. Voici le discours intégral qu’il y a tenu.

Toronto, le 13 Septembre 2016 –

Mesdames et Messieurs,

Distingués invités,

Je voudrais avant tout propos, au nom du Président de la République de Guinée, SE le Professeur Alpha CONDE et en mon nom propre, remercier les Autorités canadiennes et les organisateurs du Forum Economique International des Amériques, pour l’accueil chaleureux réservé à la délégation guinéenne et pour le privilège fait à mon pays, la Guinée, en l’invitant à cette 10ème édition du Toronto Global Forum consacrée au thème : « leadership en période d’incertitudes ».

Ladies and gentlemen,

Distinguished guests,

I would first of all, on behalf of the President of the Republic of Guinea, HE Professor Alpha CONDE and on my own behalf, thank the people and authorities of Canada, Province of Ontario, City of Toronto and the organizers of the International Economic Forum of the Americas, for the warm welcome extended to the delegation of Guinea and for the privilege granted to my country, Guinea, by inviting us to this 10th edition of the Toronto Global Forumdedicated to the theme: « Leadership in Uncertain Times. »

En écoutant les interventions des éminentes personnalités qui se sont succédé depuis le début de ce Forum, j’ai retenu un certain nombre de constantes dans leurs préoccupations. En effet, en jetant un regard rétrospectif sur la dernière décennie il est difficile de passer à côté (i)des menaces auxquelles le système financier international a été confronté, (ii) de la multiplication des foyers de tension et de l’exacerbation des conflits subséquents avec pour corollaire immédiat des déplacements massifs de populations fuyant ces conflits, (iii) la menace terroriste qui est devenue globale avec des ramifications et des conséquences directes dans toutes les régions du monde, y compris l’Afrique où cette menace est désormais palpable et concrète, (iv) le ralentissement de la croissance mondiale, avec pour conséquence directe la chute drastique des cours des matières premières, et enfin (v) la mondialisation qui par de nombreux aspects a amplifié les crises évoquées plus haut.

Pour la plupart des responsables gouvernementaux et du secteur privé, la prise de décision est devenue un exercice extrêmement périlleux avec une majorité de paramètres qui ne peuvent plus être contrôlés au niveau d’un seul pays voire même aux niveaux sous-régional ou régional.

By listening to the speeches of eminent personalities that followed one another since the beginning of this Forum I have retained a number of constants in their concerns. Indeed, looking back over the last decade it’s hard to miss (i) the threats that the international financial system has faced, (ii) the increase of tension and exacerbation of conflicts with subsequent immediate corollary massive displacement of populations fleeing these conflicts, (Iii) the terrorist threat that has become global with branches and direct consequences in all regions of the world, including Africa where the threat is now palpable and concrete, (iv) the slowdown in global growth, with direct consequence of the drastic fall in commodity prices, and finally (v) globalization, which in many ways has amplified the crises mentioned above.

For most government and private sector officials, decision making has become an extremely dangerous exercise with a majority of parameters that cannot be controlled at the level of a single country or even at the sub-regional or regional levels.

Mesdames et Messieurs,

Distingués invités,

La question que je me pose et que j’aimerais soumettre à l’appréciation de cette auguste audience est la suivante : avons-nous des certitudes sur les origines et causes des incertitudes qui assaillent l’humanité de nos jours, sommes-nous certains d’analyser avec rigueur, courage et sans complaisance les véritables raisons des incertitudes auxquelles notre monde est confronté ? Permettez-moi de dire quelques mots sur certains des défis évoqués ci-dessus.

Ladies and gentlemen,

Distinguished guests,

The question I ask myself and that I would submit for the consideration of this distinguished audience is: do we have certainties about the origins and causes of the uncertainties that beset mankind today, we are certain of analyze with rigor, courage and without complacency, the true reasons for the uncertainties of our world faces? Let me say a few words on some of the challenges mentioned above.

La crise financière et la crise de la dette nous enseignent que la Communauté Internationale doit s’attaquer sérieusement à la problématique de l’affaiblissement des Etats sous-tendue par des politiques d’inspiration libérale. Pour les pays en développement en général et les pays africains en particulier, dont les économies sont très dépendantes des matières premières, ces problèmes se posent en termes (a) de baisse drastique des prix des matières premières, (b) de réduction de l’aide publique au développement, (c) de réduction des flux d’investissement direct étranger. En parlant de l’investissement, il est important pour les pays africains, tout comme pour la plupart des pays du monde, qu’un consensus soit trouvé pour veiller à ce que les sociétés multinationales payent des taxes en proportion avec la part de leurs activités menées dans les pays africains.

Une autre leçon que nous devons tirer des crises financière et de la dette, est que les banques, qui ont bénéficié des aides massives des Etats, n’ont finalement été que moyennement affectées par ces crises tandis que les classes moyennes, dans les pays développés notamment, ont payé un prix beaucoup plus élevé. Or les classes moyennes constituent la base sur laquelle repose aujourd’hui la capacité des Etats (à travers la fiscalité) à faire face aux défis actuels. Nous ne pouvons pas continuer durablement à laisser une part importante de l’activité économique des grandes entreprises échapper à la taxation et à mener des politiques qui affaiblissent les classes moyennes sur lesquelles reposent l’essentiel de la charge fiscale. Cela au moins est une certitude.

Hier quelqu’un disait que les problèmes actuels de notre monde sont dus à (et/ou aggravés en raison de) l’absence de vrais leaders. Je voudrais simplement rappeler aux leaders d’aujourd’hui, qu’au tout début du siècle dernier, au moment où la puissance de certains conglomérats aux Etats-Unis était sans commune mesure avec le poids des plus grandes multinationales actuelles, un homme politique tout seul a décidé de s’attaquer aux dysfonctionnements et aux menaces découlant des activités des grands conglomérats américains de l’époque en utilisant la loi, la raison et le courage politique.

The financial crisis and the debt crisis teach us that the international community must seriously address the problem of weakening of states underpinned by a liberal policy. For developing countries in general and African countries in particular, whose economies are highly dependent on commodities, these problems arise in terms of (a) a drastic fall in prices of commodities, (b) reduction of Official Development Assistance, (c) reduction of foreign direct investment flows. Speaking of investment, it is important for African countries, as in most countries of the world, a consensus is reached to ensure that multinational companies pay taxes in proportion to the part of their activities conducted in African countries.

Another lesson we must draw from financial and debt crises, is that banks that received massive support from states, have finally been only moderately affected by the crisis while the middle class in developed countries in particular, have paid a much higher price. But the middle classes are the basis on which rests today the ability of States (through taxation) to face the current challenges. We cannot continue to leave permanently a large part of the economic activity of large companies avoid taxes and to pursue policies that weaken the middle class that bears the bulk of the tax burden. This at least is certain.

Yesterday someone said that current problems of our world are due to (and/or aggravated because of) the lack of true leaders. I would just remind today leaders that at the very beginning of the last century, when the power of some of the major conglomerates in the United States was not commensurate with the weight of the largest multinational companies today, a politician alone has decided to tackle the deficiencies and threats arising from the activities of these large US conglomerates using the law, the reason and his political courage.

Mesdames et Messieurs,

Distingués invités,

S’agissant de la menace terroriste, la problématique reste la même et je me pose la même question : avons-nous des certitudes sur les causes profondes de cette autre incertitude qui pèse sur les Etats et les citoyens de la planète ?

Il y a seulement quelques années, les populations vivant dans la plupart des régions de l’Afrique n’avaient aucune connaissance de la réalité du terrorisme international tel que nous le définissons aujourd’hui et n’étaient absolument pas confrontées aux conséquences de ce phénomène. Aujourd’hui, de très nombreuses régions de l’Afrique et une grande partie des populations vivant dans ces régions sont directement touchées par le terrorisme ou ses conséquences directes ou indirectes. Il y a donc lieu de se demander comment en est-on arrivé à cette situation en l’espace de quelques années.

Il est important que la Communauté Internationale se penche avec courage et détermination sur cette question en veillant à mettre de côté les considérations idéologiques, religieuses, ethniques voire même mercantiles pour se concentrer sur les souffrances des populations. Il n’est pas admissible qu’au XXIème siècle nous voyions encore des millions d’habitants de cette planète parmi les plus fragiles et les plus démunies exposées aux affres des conflits de toutes sortes et qui se retrouvent prises au piège ou jeter sur les routes de l’exode.

Je ne saurais clore ce chapitre sans rappeler que, au moment où les projecteurs de l’actualité internationale sont braqués sur les réfugiés au Moyen-Orient, il existe sur le continent Africain environ 17 millions de personnes déplacées (chiffres de 2014) en raison essentiellement de conflits.

Ladies and gentlemen,

Distinguished guests,

Regarding the terrorist threat, the problem remains the same and I ask myself the same question: do we have certainties on the root causes of this other uncertainty that hangs over the states and citizens of the planet?

There are only a few years, people living in most parts of Africa had no knowledge of the reality of international terrorism as we define it today and were absolutely not confronted to the consequences of this phenomenon. Today, many parts of Africa and much of the populations living in these areas are directly affected by terrorism or its direct or indirect consequences. It is therefore appropriate to ask how did we get into this situation in the space of a few years.

It is important that the international community addresses with courage and determination this issue by ensuring to put aside ideological, religious, ethnic or even mercantile considerations to focus on the suffering of the populations. It is not permissible that in the XXI century we still saw millions of this planet’s most fragile and poorest inhabitants exposed to the horrors of conflicts of all kinds and find themselves trapped or throw on the roads of exodus. I cannot close this chapter without recalling that, when the spotlight of international news are turned on refugees in the Middle East, there are on the African continent about 17 million internally displaced persons (figures from 2014) mainly due to conflicts.

Mesdames et Messieurs,

Distingués invités,

Face au défi auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés, le rôle des leaders s’apparente de plus en plus à naviguer par vents contraires ; cependant, en reprenant à mon compte le dicton disant que c’est dans la tempête que l’on reconnaît les grands capitaines, je voudrais encore une fois insister sur le rôle que doivent jouer les leaders politiques, les responsables gouvernementaux et les acteurs du secteur privé dans l’émergence d’un monde qui s’attèle de manière déterminée et responsable à réduire les inégalités, à instaurer une certaine équité vis-à-vis des questions fiscales, à apporter des réponses justes aux causes profondes des conflits et à promouvoir des solutions économiques et technologiques viables et durables.

Merci de votre attention.

Mamady Youla

Premier Ministre, Chef du Gouvernement

 

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