Traoré Abdoulaye, diplômé de la Faculté de l’Economie et finance de l’université de Sonfonia Conakry et porte-parole des rapatriés de Lybie, qui sont revenus au bercail le 14 juillet dernier, conte son calvaire dans cet entretien accordé à notre reporter. Et appelle les autorités guinéennes à leur venir en aide, pour qu’ils puissent mener des activités génératrices de revenus.
L’étudiant diplômé que vous êtes, qu’est-ce qui vous a poussé à ce voyage dans la clandestinité, qui s’est achevé malheureusement par un échec?
Traoré Abdoulaye : Les motivations qui m’ont poussé à me lancer dans ce voyage clandestin sont d’ordre conjoncturel. Car après avoir effectué une période de stage, après la fac, je me suis trouvé une activité génératrice de revenu. Et dans ça, j’ai évolué un peu. Après, quand j’ai appris qu’à partir de la Lybie, qu’on pouvait traverser pour gagner l’Italie, je me suis dit que pour un début, je n’allais pas courir le risque d’aller en Lybie, une zone aussi dangereuse, où les tensions persistent entre les acteurs politiques. Mais quelque temps après, un tour que j’ai effectué au village m’a fait changer d’avis. Dans le village Diakhanké où j’ai été, j’apprenais au gré des jours que des gens du village étaient parvenus à rallier l’Europe par la Libye. Ce qui a fini par me redonner du courage, à faire le voyage, en traversant le désert nigérien. Avec un ami, qui avait aussi la même ambition que moi.
Alors racontez-nous votre mésaventure?
C’est le 26 avril 2016, qu’on a pris le départ de Conakry. Notre première escale a été le Mali voisin. Il y a un correspondant de notre convoyeur là-bas, qui a récupéré toutes nos cartes d’identité. Et à partir de là, on a pris un autre convoi, en direction de Ouagadougou, puis Niamey et Agadez, au Niger, qui constitue la dernière étape, dans ce pays sahélien. Une ville frontalière avec la Libye. Donc à Agadez, on a fait une escale d’une semaine, juste le temps de regrouper un grand nombre de clandestins. De là-bas on s’est embarqué dans des pickups 4×4. Dans ces pickups là, vous êtes au nombre de 25 personnes dedans, et toutes ces 25 personnes là, sont disposées de sorte que les personnes petites de taille sont au milieu, et celles qui sont élancées sont à la périphérie du véhicule. On tient un bois d’un mettre de longueur entre nos jambes comme support sur lequel vous vous accrochez. Saba, je rappelle que c’est la première ville qui sert d’entrée sur le territoire libyen. La traversée entre Agadez et Saba, quel qu’en soit la rapidité du véhicule, vous ferez au moins trois jours de parcours en voiture dans le désert, avec des escales bien sûr. Je signale qu’au niveau de tous les barrages, ce depuis Khourémalé, entre la Guinée et le Mali, jusqu’en Lybie, on demande de l’argent aux passagers. Cela varie entre 5 mille FCFA, 10 mille, et parfois 25 mille. Je rappelle qu’au niveau de Saba là, on peut faire une ou deux semaines ou trois semaines, voire un mois. Vous qui êtes là-bas, votre départ dépend du convoi qui se trouve à Bennwalide. Tant que le convoi de Bennwalide ne bouge pas pour Tripoli, vous qui êtes à Saba, vous ne pouvez quitter. Dès que le convoi de Bennwalide bouge pour tripoli, et automatiquement celui de Saba bouge. Au niveau de Saba c’est le calvaire même pour avoir à manger. Il faut procéder à des cotisations, sinon tu es obligé de faire la corvée, ou tu cherches du fagot de bois ou tu prépares pour les autres, ou tu laves les ustensiles, en guise de compensation. Donc tout dépend de Tripoli qui est le centre de commandement. Je veux dire que si le convoi de Tripoli bouge vers le bord de la mer, tous les autres points se mettent en mouvement, à savoir Saba, Bennwalide.
Maintenant au niveau du port d’embarquement de Tripoli, le départ dépend des conditions
météorologiques. Ainsi si la marée n’est pas agitée, on vous embarque. En plus si la collaboration entre les marins, c’est-à-dire les gardes côtes est parfaite, on fait partir. Le départ se fait dans une pirogue, taillée sous forme de chambre à air gonflable. Mais très épaisse et dure, elle peut contenir 120 personnes, parfois 80 personnes, 50 personnes c’est le minimum. Généralement c’est 80 personnes. Comme notre convoi, on était au nombre de 120 personnes à bord. Il y avait même des femmes en grossesse là-bas, au nombre de six femmes. Deux parmi elles parlaient les langues de la Guinée, une d’elle la langue malienne. Les autres surement étaient des Nigérianes. Donc à l’embarquement, une dame a hésité de s’embarquer. Je l’ai vue au bord de la mer au moment de l’embarquement, elle a regardé la pirogue et la mer, elle a remué la tête. Elle a renoncé au voyage. C’est l’unique personne qui s’est retournée. Il y avait deux personnes qui ont été rajoutées à nous, ce qui fait en tout 121 personnes, plus le capitaine de bord, et celui qui est chargé de la boussole. Mais les deux malheureusement ne se sont pas compris, ils n’étaient pas Guinéens, ils étaient Gambiens. Ce qui a fait notre malheur. Donc il y avait une certaine traitrise dedans. On est même pas allé loin, il a commencé à appeler au téléphone, or on ne doit pas
appeler au téléphone, tant qu’on ne dépasse pas la zone libyenne. Comment peut-on se rendre compte en pleine mer, qu’on est sorti de la zone libyenne, c’est à partir du réseau. Dès qu’on allume le téléphone, on trouve qu’il y a le réseau, c’est que tu es toujours du côté libyen. Dès que le réseau ne s’affiche pas, c’est que tu n’es plus sur les côtes libyennes. Donc, c’est ce qui nous est arrivés. Il a allumé le téléphone, les gardes libyens se sont rendus compte, parce que sûrement il n’y a pas eu de négociation, quand il s’est rendu compte qu’il s’est perdu, il a encore éteint le téléphone. Je vous dis le capitaine à tous les numéros. Le numéro de la croix rouge, c’est eux qui récupèrent les naufragés de la mer ou ceux qui se sont perdus dans la mer. Ils sont là-bas en pleine mer, non seulement il a ce numéro là, mais aussi le numéro des gardes libyens. Ceux qui gardent les côtes libyennes, il
a également le troisième numéro, le numéro du convoyeur qui nous a embarqués à bord de l’embarcation en mer.
Ces numéros servent à quoi ? Le premier numéro du convoyeur là c’est le guide. Si on a un problème appelle la croix rouge ou appelle la garde Libyenne. Le deuxième c’est le numéro des gardes libyens. Quand il y a un naufrage qui est proche, on appelle les gardes libyens, pour qu’ils viennent au secours. Si on est du côté de la Libye ou si on est perdus totalement, parce que le capitaine ou le gérant de la boussole peut s’embrouiller, dans ce cas, on peut appeler les gardes libyens, le troisième numéro, il peut appeler la croix rouge avec. Là c’est arrivé au niveau des eaux internationales, c’est-à-dire quand vous dépassez les côtes libyennes il appelle la croix rouge. Donc si la croix rouge vient en aide, c’est de vous récupérer pour vous embarquer dans leur bateau, et vous faire rentrer en Italie. Mais nous on a été appréhendés par la garde libyenne.
Comment cela est-il arrivé?
Arrivés à un certain niveau d’après le capitaine, il a pu parler avec un correspondant. Celui-ci dit qu’on n’arrive pas à vous repérer, identifiez votre GPS. Il a activé le GPS, il dit ok. Vous êtes repérez mais néanmoins, il faut rester à ce niveau-là, on viendra vous chercher. Il dit est-ce que vous avez des femmes parmi vous ? Il dit oui ! Il dit passe le téléphone à une des femmes, le capitaine a passé le téléphone à une femme. Puis le monsieur au téléphone a parlé avec la femme-là. Elle s’est lamentée en disant ‘’venez à notre secours, nous sommes en danger, on est souffrantes etc. …’’ On a retourné le téléphone au capitaine, il nous donnait des conseils‘’, tels que ‘’une fois arrivés, ne faites pas de bruit, notre pirogue ne peut pas supporter plus que ce que vous avez là. Si vous faites des grimaces, on risquerait de vous laisser et chercher notre tête.’’ On a obéi.
Mais il y avait un malentendu entre nous. Un groupe dit avançons un peu, un autre dit non, on est repérés déjà par la croix rouge, restons ici pour ne pas qu’on se perde encore. Dans cette discussion, la majeure partie était pour qu’on reste sur place, jusqu’à ce que la croix rouge vienne nous chercher. On est restés là-bas, quelque temps après, on a aperçu un bateau en face de nous, qui venait. Le gens ont crié à la joie, entre temps, on a vu encore là ou l’horizon semble se fermer un petit truc, et au fur et à mesure que ça s’approchait, ça s’agrandissait, et brusquement on a compris que ce sont des navires libyens. Quand ils sont venus, ils nous ont débarqué dans leurs navires, après nous avons tous été débarqués au niveau du débarcadère libyen. Là-bas, on nous a fouillés, embarqués dans un bus, puis transportés dans un autre centre. Là aussi on a été encore fouillés. Après, on nous a envoyés dans un centre de détention libyen. Ce centre-là est en rapport avec l’OIM. Une fois-là-bas, vous vous apprêtez au rapatriement. On a fait là-bas 40 jours, après avoir réglé notre situation avec l’OIM, avant de rentrer au pays.
Est-ce qu’on peut savoir ce que l’OIM vous a dit ?
L’OIM a dit ‘’acceptez de regagner votre pays d’origine, vous aurez des mesures d’accompagnement. On s’est posé la question, on s’est dit certains ont vendu leurs terrains, d’autres leurs voitures, leurs étals, ou leurs restaurants, pour se lancer dans l’aventure. Donc se retourner en Guinée sans rien, c’est une désolation pour nous. L’OIM nous a rassurés, en nous promettant des mesures d’accompagnement.
Tous vous aviez accepté de retourner ?
Non, ceux qui n’ont pas eu confiance ont négocié pour s’évader en complicité avec des gardes libyenne. Et présentement ceux-ci sont en Italie. Ceux qui ont eu le courage de rester, aujourd’hui la majeure partie d’entre nous sommes déçus. Déçus, ce n’est pas parce qu’ils ont regagné le pays, plutôt c’est parce que les engagements n’ont pas été respectés.
Qu’est-ce qui s’est passé lorsque vous êtes arrivés à l’aéroport de Conakry?
Arrivé à l’aéroport, j’étais toujours le porte-parole, parce que je l’étais depuis la Libye. Le représentant de l’ambassadeur de la Guinée en Libye, Mohamed Cherif Sylla, m’a tenu informé à la descente que sa mission s’arrêtait là. Il m’a demandé de mener des démarches au niveau de l’OIM et du ministère de la Jeunesse, pour avoir gain de cause. Et qu’au cas contraire, nous sommes foutus à jamais. Mais j’ai dit à monsieur l’ambassadeur que le problème est que nous sommes arrivés, mais on n’avait rien. Comment regagner nos différents domiciles ? Telle était notre première préoccupation. Il m’a dit qu’on allait recevoir l’équivalent de 50 Euros, comme frais de transport, et toi en tant que porte-parole, tu vas mener les démarches pour avoir le reste des avantages. Alors, au lieu de 50 Euros, nous avons reçu 997 000 FG, l’équivalent de 100 Euros chacun. Seulement 20 personnes n’ont-elles, reçu que les 50 Euros, l’équivalent de 497 000 FG. Je me suis dirigé vers un responsable de l’OIM du nom de Ben Zouma qui faisait partie de l’équipe qui nous a raccompagnés depuis la Libye. Je lui ai demandé par rapport à cette différence, parce que ce n’était pas ce qu’il nous avait promis. Il m’a répondu de ne pas lui créer des problèmes. J’ai posé le problème à une autre dame de l’OIM. Elle a répondu que ce sont les 20 personnes là, qui auront les avantages. Donc c’est pourquoi elles n’ont pas eu le même montant que nous les autres. J’ai demandé quels sont ces avantages ? Elle a répondu qu’elles recevront 1000 dollars us après. J’ai demandé comment c’est possible, elle a dit que celles-ci ont été les plus vulnérables. Je ne comprenais pas parce qu’on a reçu les mêmes traitements, les mêmes souffrances. Alors je me suis intéressé à la situation. Moi je suis allé à l’OIM. J’ai chargé un des camarades qui est allé au ministère de la Jeunesse. D’abord le lendemain de notre arrivée, nous nous sommes rendus à la maison des jeunes de Matam où le ministre Moustapha Naité nous a rencontrés. On lui a fait part de nos inquiétudes. Il nous a promis qu’il ne va pas nous donner tous de l’emploi, mais si on arrivait à mettre en place une ONG, et qu’on lui a faisait part, qu’il est prêt à nous accompagner au niveau de l’OIM, pour nous éclaircir pourquoi le reste du groupe n’aura pas les autres avantages, qui sont les 1000 dollars us. Donc depuis lors, on a tout fait du côté du ministère de la Jeunesse, on n’a pas eu gain de cause.
Et du côté de l’OIM ?
Là-bas ils nous ont demandé de faire un memo et déposer au ministère de
la Jeunesse et à leur niveau. Ce qui fut fait. Malheureusement il n’y a pas eu de suite. Moi j’ai la certitude qu’il y a un flou dedans. Mais je me battrai jusqu’à ce que tout le monde chasse qu’il n’y a pas eu gain de cause.
Qu’est-ce que vous savez des montants de ces 20 personnes ?
J’ai appelé l’OIM récemment, ils m’ont dit que le montant de 20 personnes est disponible. J’attends la semaine prochaine pour les rappeler. Mais même ces 20 personnes, certaines n’ont encore rien reçu d’autre comme assistance.
En guise de conseil, qu’est-ce que vous avez à dire à la jeunesse guinéenne aujourd’hui. Une jeunesse qui rêve d’un eldorado européen ou nord-américain?
Je sais que c’est dure quand tu es la, tu vois les autres se lancer dans l’aventure et réussir. Tu vas te dire que moi aussi je vais réussir, alors que tel peut ne pas être le cas, parce qu’on n’a pas la même chance. Je leur dirai que si tu as une activité génératrice de revenu aussi petite qu’elle soit, il faut accepter de la gérer parce que se lancer dans l’aventure n’a rien que des conséquences négatives, l’avantage étant très minime.
Avez-vous un mot à l’endroit des autorités ?
Je demande un apport en guise de soutien pour nous les rapatriés. Je tiens à vous informer que parmi nous, il y a des personnes qui n’ont pas bénéficié de mesures d’accompagnement. D’autres ont repris le chemin encore. Je demande à l’autorité de venir en aide aux jeunes, et surtout ceux qui ont des projets de soutenir ses projets. Donc l’Etat en collaboration avec l’OIM n’a qu’à aider ceux qui sont revenus au pays après ce voyage difficile. Car pour que nous puissions encore rester ici, il faudrait bien qu’il y ait des mesures d’accompagnement, pour nous permettre de reprendre des activités génératrices de revenus. Ainsi, nous pourrons contribuer à prodiguer des conseils à ceux qui veulent se lancer dans des voyages clandestins.
Entretien réalisé par Alpha Amadou et Binta Baldé