Le porte-parole de l’opposition s’est confié à nos confrères de la radio Lynx FM, à la veille de sa rencontre avec le chef de l’Etat, le 14 septembre dernier au palais Sekhoutouréa. Aboubacar Sylla s’était montré préoccupé par le retard mis dans la relance du dialogue inter guinéen, une situation qui favorisait les « manœuvres » de la CENI. Notre reporter a procédé à une synthèse de cet entretien à bâton rompu…
De « la fuite » en avant de la CENI
« Il est évident que l’opposition ne peut pas s’inscrire dans cette logique de détente totale si de l’autre côté, il n’y a pas d’avancée, c’est-à-dire du côté des autorités de ce pays on se contente de ces beau discours, des tapes sur l’épaule, des gestes sympathiques, l’opposition voudrait que des débats politiques progressent, que les cadres de dialogue se mettent rapidement en place pour que les questions qui nous divisent puissent faire l’objet de discussions autour d’une table. On ne peut pas bloquer le dialogue et se contenter de tenir des discours absolument détendus, très gentils, appeler à l’unité, appeler à la paix et puis dans le même temps laisser la CENI continuer à rendre obsolète et totalement sans objet le dialogue le jour où il va s’ouvrir. Parce que nous avons l’impression que tout le monde est dans un jeu de rôle, où d’un côté on empêche que les contraintes administratives et les contraintes juridiques légales soient levées parce qu’on bloque les textes à l’assemblée nationale, le ministre de l’Administration du territoire prend tout son temps pour publier les arrêtés faisant office de découpages administratifs, et publiant la liste des conseillers par circonscription électorale, et puis de l’autre côté, on estime qu’il n’y a pas de financement. Le gap de 50 milliards de fg qui étaient là on ne le comble pas. Il a fallu attendre que l’Union Européenne et les partenaires techniques et financiers se décident de financer ce gap pour pouvoir boucler ce financement des 450 milliards de francs guinéens, pour organiser les élections locales, encore que ce bouclage n’est que théorique puisque si les 400 milliards qui, en principe sont à la charge du gouvernement, qui sont prévus dans le cadre du budget national de développement, ont été alloués par l’assemblée dans la loi des finances 2016, et ça reste une allocation théorique. Le montant disponible n’est pas encore certainement viré dans le compte de la CENI. Donc on a l’impression qu’on bloque d’un côté et puis de l’autre, on pousse la CENI qui est en train de faire une fuite en avant. Et finalement de rendre le dialogue presque sans objet en ce qui concerne en tout cas les questions liées au processus électoral. Ça nous ne pouvons pas rester indéfiniment les bras croisés. Si la situation là s’est perpétuée, il est évident que l’opposition serait obligée de rompre en quelque sorte la trêve des manifestations et de reprendre les manifestations. »
De la reprise des manifestations de rue au cas où…
« Nous allons certainement nous déterminer à l’issue de la réunion plénière que nous allons tenir dans les jours à venir. On n’est pas encore convoqué parce qu’au plus tard jeudi ou vendredi cette réunion doit se tenir pour qu’on puisse faire l’Etat des lieux. Si les lignes n’ont pas bougé d’ici là, il est évident que l’opposition ne peut pas continuer à croiser les bras, alors que la CENI dans le même temps est en train de dérouler tranquillement son chronogramme sans aucun débat. Par exemple la question des élections locales devait être débattue dans le cadre de ce dialogue pour que nous nous mettions d’accord sur la nature des élections à organiser. Est-ce que c’est seulement les communales ? Est-ce que c’est les communales et les élections des conseils de districts et des quartiers? Est-ce qu’il faut les tenir séparément ? Est-ce qu’il faut les coupler. Ceci n’a pas fait l’objet de débat. La CENI est en train de nous entrainer sur un terrain qui n’est pas consensuel et qui va emmener nécessairement à rompre cette trêve d’autant que les perspectives d’ouverture de dialogue sont en train de s’amenuiser avec le temps. Je vous ai dit que bientôt deux mois que nous avons adressé le courrier au ministre de l’Administration et du territoire, qui nous a dit qu’il a transmis les propositions de cadre de dialogue et d’ordre de jour de dialogue à qui de droit, et qu’il attend la réaction. Jusqu’à présent, on n’a pas cette réaction. Depuis près de deux semaines la rencontre entre le chef de file de l’opposition et le président de la République en dehors de beaux discours, dans les faits, il n’y a aucun acte concret qui a été posé pour décrisper.
Ce n’est pas Cellou qui représente toute l’opposition, ce n’est pas non plus Cellou seule qui va aller au dialogue. D’ailleurs la plupart du temps en tant que chef de file de l’opposition, il ne participe pas au dialogue directement. Il envoie des représentants, des responsables de son parti qui sont présents au dialogue, c’était le cas en 2014. C’était le cas encore en 2015. Il était là avec les autres leaders politiques mais pas permanemment, il y a d’autres personnes qui participent à ce dialogue, qui participent à la réflexion et qui participent aussi à la prise de décision. Je voulais vous dire que nous avons les sentiments qu’on nous fait trainer en longueur, on nous miroite une décrispation qui ne semble être que de façade et puis dans le même temps, on veut nous mettre devant un fait accompli. Il faut rappeler qu’il y a un grand problème en Guinée, il faut oser le dire il y a la culture du chef dans ce pays qui fait qu’il y a toujours des thuriféraires autour du chef d’Etat qui parfois l’empêche de voir la réalité, qui le transforme en véritable bureaucrate. J’appelle des « bullocrates » des personnes qui vivent dans une bulle et qui sont déconnectées des réalités qui les entourent, et très souvent les chefs ici ne sont pas informés et le type de rencontres là va permettre justement d’informer les uns et les autres. Est-ce que vous croyez que si le président de la République est conscient et voit tout ce qu’il y a comme trous dans la capitale, il voit l’état du réseau routier de la capitale. Si lui-même descendait dans ces trous vous croyez qu’il n’aurait pas tapé la table peut être pour demander le ministre en charge de l’entretien routier, d’autant qu’il y a un fonds d’entretien routier qui est alimenté par tous les citoyens guinéens, 250 fg sont prélevés sur chaque litre de carburant vendu pour alimenter le fonds d’entretien routier. C’est des montants qui vont jusqu’à 200 milliards, qui sont normalement consacrés dans l’entretien des routes. »
Du fonctionnement de l’appareil judiciaire
« Comment vous, vous expliquez que tous les jours les Guinéens se fassent justice, c’est parce qu’ils n’ont pas confiance à la justice. Dès qu’il y a un événement quelque part, vous voyez la foule qui sort on casse une maison, on brûle une voiture, on arrête les citoyens parfois on les sort même dans les commissariats pour les brûler, c’est parce qu’on n’a pas confiance en la justice guinéenne. Dans un pays où il n’y a pas de Haute Cour de Justice, le président de la République ne veut pas être jugé. Les membres du gouvernement même quand le détournement dont ils sont sujets est prouvé, même s’il y a audit, et c’est prouvé, ils sont hors de la loi. On ne peut pas les poursuivre. On ne veut pas une justice à deux vitesses. On veut une justice indépendante et dans le cadre d’un gouvernement d’union nationale, ça peut être par exemple une des lettres de mission autrement une des feuilles de route de ce gouvernement, pour qu’on redresse la situation même si c’est pour deux ans. Pour qu’après, qu’on revienne à des fondamentaux, et que chacun fasse sa campagne pour les élections de 2020. Ceci dit, encore une fois, c’est un point de vue personnel, ça peut ne pas être partagé par nos frères de l’opposition. »
Des préalables au dialogue
« Non, non, je croix qu’il ne faut pas confondre deux choses : le fait que nous voulons dialoguer avec le gouvernement et sa mouvance politique, et le fait que dans le champ de l’opposition, nous ne voulons pas être soumis encore à la même polémique que celle que nous avons vécue, et qui n’est pas encore tranchée en ce qui concerne les représentants de l’opposition au niveau des démembrements de la CENI.
Jusqu’à présent, cette question est encore pendante au niveau des juridictions du pays après que le ministre de la Justice, le ministre de l’Administration du territoire, la CENI elle-même, se soit déclarés incompétents pour trancher cette question. Alors que cette question est résolue par une loi qu’il suffit d’appliquer. C’est la loi portant charte des partis politiques et les lois portant statut de l’opposition, mais on refuse de s’engager sur ce terrain parce qu’on entretient cette confusion au niveau des rangs de l’opposition pour justement nous empêcher de parler d’une seule et unique voix, et empêcher donc qu’il y ait un consensus qui puisse être obtenu au niveau de l’opposition elle-même. Nous avons dit que nous avons des problèmes essentiellement avec le gouvernement pour ce dialogue ci. Lorsque que vous voyez les différents points que nous avons inscrits à l’ordre du jour, ce sont des questions qui interpellent le gouvernement. Lorsqu’on parle de l’application des décisions antérieures en ce qui concerne notamment les poursuites judiciaires à engager vis-à-vis des auteurs et des commanditaires des actes de violence, qui ont émaillé nos manifestations en 2013, c’est le procureur de la République qui doit être actionné par le ministre de la Justice et qui doit engager ces enquêtes, qui doivent débouchées sur des poursuites, et elles-mêmes qui doivent se terminer par des procès qui doivent se tenir en bonne et due forme.
Donc ça c’est le gouvernement qui est interpelé. Lorsque nous parlons d’indemnisation des victimes ; l’indemnisation des personnes qui ont perdu leur vie, qui ont perdu leur santé et qui ont perdu leurs biens, là aussi c’est le gouvernement qui s’est engagé à le faire. Il ne s’agit pas d’engager des poursuites judiciaires, d’engager une procédure et d’attendre que cette procédure arrive à son terme pour que les indemnisations interviennent. C’est le gouvernement, c’est l’Etat qui indemnise. Et quand c’est l’Etat qui indemnise, mais cette indemnisation n’est pas liée à des résultats des enquêtes et des poursuites. Ce ne sont pas des personnes qui ont vécu des violences qui vont être indemnisées mais c’est l’Etat. Donc, on n’a pas besoin d’attendre l’aboutissement des poursuites judiciaires pour pouvoir donc indemniser les personnes concernées. Là aussi c’est l’Etat. Lorsqu’on parle de libre accès aux médias de service public, c’est l’Etat puisque c’est le gouvernement qui gère les médias du service public. Même si la Haute Autorité de la Communication (HAC) les interpelle, elle l’a fait quelquefois mais ça a toujours été sans effet. Les médias de services publics ont plutôt été considérés comme des médias du gouvernement. Ce qui n’est pas le cas normalement d’après la loi. Les médias du service public, mais c’est le lieu de rencontre géométrique de toutes les sensibilités politiques du pays, et ces médias doivent être ouverts à tous les partis politiques, quel que soit leur obédience. Mais ce n’est pas aujourd’hui le cas. La RTG est devenue évidemment les médias du gouvernement, vous avez parfois des événements qui concernent le gouvernement qui peuvent couvrir la durée de tout le journal télévisé, par exemple. Donc tout ceci est totalement illégal. Ensuite nous avons également parlé de l’égalité de traitement entre tous les animateurs de la vie politique nationale par l’administration territoriale à l’intérieur du pays. Tout ceci c’est le gouvernement qui est interpelé. Et lorsque nous parlons d’organisation des élections communales, mais là aussi nous en débattrons. La mouvance présidentielle étant concernée, c’est pour ça que nous, nous disons que notre interlocuteur c’est le gouvernement et sa mouvance politique. C’est ce que je vous ai dit tout à l’heure mais ce ne sont pas nécessairement tous les partis politiques. Lorsque nous parlons aussi de l’installation de la Haute Cour de justice, ça interpelle essentiellement le président de la République. Lorsque nous parlons du 4ème point de l’ordre du jour du fonctionnement des institutions, du fait que l’assemblée nationale ne fonctionne pas normalement, elle ne joue pas son rôle de contrôle de l’action gouvernementale parce toutes les démarches et toutes les initiatives que l’opposition lancent au niveau de cette assemblée sont étouffées dans l’œuf. Il y a jamais eu des commissions d’enquête parlementaire depuis que cette assemblée existe il y a deux ans et demi. Nos résolutions sont bloquées et de manière à ce que l’assemblée ne joue pas son rôle parce que la minorité que nous sommes n’est pas respectée. Tout passe par une majorité mécanique qui est constituée par les députés de la mouvance. Retenez que notre interlocuteur principale c’est le gouvernement et sa mouvance politique et ses alliés. Quand on parle de fonctionnement de l’assemblée nationale, il a fallu que la mouvance politique de la majorité présidentielle soit là… Elle doit être présente, doit avoir son mot à dire, parce qu’elle est présente à l’assemblée Nationale. Nous, nous sommes extrêmement clairs, nous ne voulons pas d’un forum des partis politiques.
On se retrouve à 200, à 300 dans la salle où il y a des partis politiques qui jouent des jeux qui sont commandités ainsi de suite, on aboutira jamais à une conclusion. C’est ce qui s’est passé en 2011, en 2012. Le dialogue qui a été parrainé par la société civile guinéenne principalement le clergé Monseigneur Gomez, c’était un forum des partis politiques. On s’est retrouvé avec des conclusions qui ont été rangées dans les tiroirs du président de la République, et jamais on a évoqué ces dialogues encore moins les conclusions qui en étaient issues. Donc nous avons dit que nous voulons avoir à faire à la mouvance présidentielle, principalement au gouvernement qui peut être avec sa mouvance politique, et d’autre part une opposition qui doit être là mais nous avons dit la vraie opposition. »
De l’opposition républicaine
« Première nouvelle… Jusqu’à présent Faya millimono a participé à toutes les réunions. Sauf quand il n’est pas en Guinée, il se fait représenter par quelqu’un, et jamais il n’y a eu une discordance dans ses positions par rapport au consensus que nous obtenons au niveau de l’opposition républicaine. Je vais vous dire un peu comment fonctionne l’opposition républicaine. Certains ont impression qu’à l’opposition républicaine, c’est une brigade dont le chef est Elhadj Cellou Dalein Diallo. Il vient, il dicte les ordres et puis tout le monde applaudit et on va, on applique les ordres. Ce n’est pas comme ça qu’elle fonctionne. Lorsqu’un problème est posé, nous demandons une plénière et généralement c’est moi qui envoie les invitations.
On se retrouve pour en discuter. Chacun émet son point de vue. Nous confrontons les idées des uns et des autres, et on essaye de voir qui a objectivement raison, et un consensus se crée autour de cette position-là, et dès que nous sortons de la salle, la presse nous attend, moi le porte-parole, j’improvise et je rends compte du consensus qui est obtenu. Personne n’a le temps de manipuler les décisions ou d’imposer une décision qui ne serait pas sortie de ce consensus. Les nouveaux adhérents à l’opposition, en tout cas ceux qui participent à nos réunions, vous avez parlé de Papa Koly et de Makanéra, mais ils ont été surpris de voir que nous fonctionnons de façon démocratique pour répondre à ce que vous disiez tout à l’heure. Il n’y a pas de veto du chef de file de l’opposition. C’est les arguments qui comptent. Chacun développe ses arguments et c’est la pertinence des opinions exprimées qui remporte, ce n’est pas le poids politique du parti qui s’exprime. Donc il faut que les gens comprennent cela. Parfois même le chef de file de l’opposition est mis en minorité parce que s’il n’a pas des arguments pertinents pour aller à un consensus sur tel ou tel sujet et qu’un autre est là, mais celui-ci finalement arrive à regroupe le consensus autour de lui, voilà».
Une synthèse d’Alpha Amadou Diallo