Le secteur de gestion des déchets solides et assimilés est à l’instar de nombre d’autres, en République de Guinée, en crise. Mais plus que jamais nous scotomisons. Nous refusons de reconnaître notre absence d’aggiornamento et nous nous accrochons aux brides d’idées et pis, à la quête des compromis velléitaires. Nous nous mentons et avons fait de la vérité un blasphème.
Quand la problématique des déchets solides et assimilés, que nous réduisons par notre goût de la simplification à outrance aux ordures ménagères nous a bourrelée, le choix des solutions de courte portée s’est imposé depuis le sommet de l’Etat. Et pour donner l’impression d’adresser la question, le choix a porté sur le génie militaire. On ne s’est jamais poser la question de savoir ce qui n’a pas marché. Ici, comme à nos habitudes, on ne récuse rien, on marche les yeux bandés et à tâtons .Nous avons un grand amour pour les pseudo-solutions parce que le courage de nous regarder dans la glace, ne nous habite plus, il nous a quittés.
Confier la gestion des ordures à l’armée est une décision qui ne saurait être pérenne et je me réserve de l’applaudir. Je comprends bien qu’il fallait un délai interne pour mettre en place celle pérenne et qu’en un coup d’éclair comme par baguette magique rien ne changerait. Mais même avec le génie militaire, les problèmes qui ont toujours abâtardis nos efforts subsistent et subsisteront : ceux de coordination sous-optimale des acteurs, ceux de financements, les coûts de transaction. En plus, la gestion des ordures n’est pas celle d’un stock, mais d’un flux. Chaque jour se produisent des tonnes d’ordures et si vous collectez et ramassez moins que vous produisez, un excédent d’ordures subsiste. Il faut pourtant le ramasser. Dans l’état actuel des choses, nos efforts s’apparentent à faire rouler et remonter de la pente, la pierre de Sisyphe.
Ma révolte contre ce manque de courage politique procède du fait que nous aimons l’inertie alors que la gestion des déchets solides et assimilés soulève des externalités et a un coût d’opportunité. La bonne gestion du secteur des déchets solides et assimilés pourrait contribuer à l’inflexion de la courbe du chômage dont nos autorités n’ont jamais communiqué les chiffres et qui frappe de plein fouet nos populations et surtout la couche juvénile. La mauvaise gestion du secteur à déparer notre capitale qui a plus que jamais perdu son charme de jadis et devenue la capitale où les dépotoirs sauvages avec leurs odeurs nauséabondes font surface, où la mer trop agressée et salie se débarrasse des détritus et ordures de toutes sortes débarrassées en son sein, en les ramenant sur les bords. Elle est aussi la capitale où le risque d’exposition aux maladies est très grand ; les canaux d’évacuation étant bondés et jonchés d’ordures, la moindre pluie débarrasse leurs contenus et les déverse dans les rues. La conduite des eaux étant déviée, les populations sont prises aux rets et se voient obliger de marcher dans les eaux stagnantes et puantes soit pour rentrer chez elles ou vaguer à leurs occupations à la quête de la pitance dont l’obtention devient de plus en plus dure. Les enfants sont plus que jamais exposés à la bilharziose et à d’autres maladies. D’importantes sommes d’argent et non des oboles ont été détournées de leurs usages du fait de l’opacité dans la gestion du secteur, de la collusion des pouvoirs et du conflit des intérêts. C’est aussi cela ces externalités négatives. Mais on n’a fait aucun bilan et en un coup de décret, l’exécutif guinéen en déphasage des réalités a voulu adresser le problème. La culture de reddition claire et de redevabilité lui est méconnue. Il n’en a cure !
Pourvoir le génie militaire en moyens techniques, en ressources financières, etc., ne suffirait jamais pour réussir le pari de la salubrité. Rendre Conakry définitivement propre, nécessiterait des moyens et ressources que l’Etat par le truchement de la déconcentration des pouvoirs et la décentralisation, qui sont en vérité des mirages, ne saurait réussir. La gestion des ordures qui se limite à la simple collecte et au transport vers une décharge devenue dépotoir sauvage n’est qu’amateurisme et ne saurait révéler d’une solution efficace. Celle efficace est une grappe de solutions, en une chaîne. Et, la collecte et le transport, n’en sont que ses maillons et étapes.
Oui, au délai interne, mais il faut poser les jalons de la véritable solution. Oui, je suis d’avis avec ceux qui pensent qu’il faut confier la gestion de ce secteur à une entreprise experte. Mais est-il que l’on clarifie les modalités de son choix et qu’il y ait de la transparence – absente dans nos appels d’offre et nos passations de marché public ! Nous ne tirons jamais les leçons de nos erreurs, d’ailleurs les reconnaissons-nous ? Sinon, pourquoi nos itérations d’erreurs ? Notre mémoire collective est lacunaire, me le dira-t-on.
Oui, il ne suffit pas d’émettre le vœu de confier la gestion des ordures à une entreprise experte, il faut que l’on se dote aussi d’une stratégie nationale de gestion des déchets pour Conakry et au-delà pour la Guinée qui ne saurait se réduire à Conakry. Nous n’avons pas, aujourd’hui, ce plan stratégique. Pourtant, aucun pays au monde n’a réussi sa gestion des déchets sans qu’il n’eût élaboré un plan stratégique qui définisse et réglemente les différentes catégories diverses de déchets : solides, semi-solides, liquides et biomédicaux. La stratégie est aux pays ce que sont les œillères aux chevaux, elle les permet voir droit et de se mettre à l’abri du fourvoiement .Ne pas l’avoir, c’est marcher à tâtons avec les béquilles. Est-ce bien cela que nous voulons ?
Oui, il faut confier la gestion des déchets à une entreprise experte et n’est-ce pas que nous réduisons, soit par méconnaissance ou par mépris, les déchets aux ordures ménagères ? N’est-ce pas qu’il faut définir les modalités de financement de la gestion des déchets du secteur. L’Etat a consenti des efforts, mais a été incapable de pouvoir l’essentiel des ressources financières utiles à la gestion vertueuse du secteur. La privatisation du secteur pourrait conduire à plus de transparence dans la gestion des déchets et conditionner le retour des partenaires financiers dont l’arrêt des concours financiers a été coup dur. Mais cela suffirait-il ?
Oui , la question de gestion des déchets conduit à parler aussi des élections, car les communes doivent être impliquées dans la gestion des déchets . Mais devons-nous aujourd’hui nier le fait qu’elles sont manchotes et percluses de leurs mains : de capacité de mobilisation des ressources financières ? Elles n’ont rien et ne pourront pas pourvoir dans l’état actuel des choses aux financements pour l’enlèvement des ordures dans leurs villes. Notre Guinée qui ressemble à un fantôme dont la tête se trouve être Conakry pourrait-elle irriguer ses autres membres atrophiés et anémies qui sont nos préfectures, régions et communes ?
Il faut que nos communes aient des moyens de financement pour l’enlèvement des ordures , autrement nous tiendrons des discours spécieux et continuerons , comme à notre habitude, de nous mentir . Qu’il est malheureux, le peuple qui, pour résoudre ses maux se ment et nie la réalité ! Nous l’avons toujours dit, les emballages et plastiques sont des types d’ordures ménagères que nous produisons assez, ils peuvent être recyclés. Et ceux qui les produisent, commercialisent doivent payer aux communes des taxes sur leurs produits non biodégradables engendrant aussi d’externalités négatives. Cela ne suffirait pas. Une taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères ne doit-elle pas être instituée en vue de mobiliser les ressources financières utiles à gestion des déchets, de conditionner les habitudes de nos populations et de les pousser à réduire le volume de les ordures par le biais du tri sélectif depuis les ménages ?
Oui, il faut confier la gestion des déchets à une entreprise experte. Est-il qu’il ne faut pas limiter la gestion des déchets aux seuls collectes et transports ! La collecte et le transport sont parties de la chaîne de gestion des ordures, mais pas le tout. La collecte des ordures pourrait-elle réussir sans que nous n’installions des poubelles le long de nous routes, dans nos quartiers, dans les espaces publics ? Sans que nous les vidions, régulièrement, de leurs contenus ?
Le transfert des déchets vers la décharge ultime est coûteux et la décharge actuelle est invivable. Celle-là, de Khorira , en phase d’opérationnalisation est éloignée et exige que l’on construise des stations de transfert pour faciliter le transport des déchets vers la future décharge ultime . Cela contribuerait à faire éviter aux camions de transport des déchets, des congestions et l’embouteillage, qui grèveraient leurs consommations en carburant. N’est-ce donc pas un moyen de rationnaliser les coûts ? Ces centres de transfert pourraient aussi servir à d’autres choses : aux lieux et places de tri.
Oui, il faut confier la gestion des déchets à une entreprise experte, mais cela ne suffirait pas. Il faut que les ordures de la décharge publique soient recyclées et compostées. Les emballages, les plastiques, les caoutchoucs, les verres, etc., sont recyclables. Les déchets verts, effluents d’élevage, boues d’épuration, etc., peuvent donner du compost. Il en faut donc des usines pour recyclage et compostage. Il en faudra aussi une autre : celle d’incinération avec option de valorisation énergétique. Ces unités industrielles créeront des milliers d’emplois à la fois qualifiés et non qualifiés. Les différents maillons de la chaîne de gestion en feront autant pourvu que nous soyons cohérents avec nous et ambitieux.
Le consortium américain WISE SOLUTIONS INC qui obtint en juin 2014 le marché de traitements des ordures en Côte d’Ivoire, avait promu de créer 4000 emplois par le truchement du recyclage et de l’incération avec option de valorisation énergétique des déchets. ECOPLASTIC du Rwanda, usine de recyclage, crée aussi des milliers d’emplois.
Personne ne semble prêter une oreille à ce que nous disons. Je fais de ce message une ritournelle. J’espère qu’enfin, en le ressassant, il passera. Il me semble que je prêche dans le désert, et demain, ou après, nos autorités enverront comme à leur habitude une autre délégation en République de Côte d’Ivoire pour aller apprendre de leurs expériences en matière de gestion des déchets. Nous aurons ainsi perdu en coût d’opportunité. Si depuis, nos dirigeants eussent écouté nos propos, ils eussent changé assez de choses. Quand un pouvoir est coupé de son peuple, il est autiste et devient incapable de faire croître qualitativement le niveau de bien-être de ses populations.
Oui, il faut une entreprise experte, mais il faut aussi éduquer non pas par la langue et la perfidie, mais par l’exemplarité. C’est une vérité toute nue que le leadership éthique fait défaut à ce pays. Ceux qui pourfendent le plus les lois dans ce pays sont ceux qui les pontes de l’Etat. Il est bon d’instaurer une semaine dédiée à la citoyenneté, mais celle-là se vit au quotidien, dans les autres jours et mois. Que les pontes de l’Etat qui ont repoussé la mer pour y construire leurs demeures, qui évacuent dans la mer leurs ordures ménagères, commencent le changement, celui-là progressif : arrêter de jeter dans la mer leurs ordures. Que les dirigeants qui ont refusé au peuple des poubelles le long des routes et dans les quartiers, les installe d’abord et ils ne plaindront plus jamais personne.
Oui, à l’éco-citoyenneté, notre avenir en dépend. Nous parler de la ratification des accords de la COP21 et sans appeler à l’avenant l’Etat de Guinée à se doter d’une stratégie nationale de gestion des déchets solides pour Conakry et au-delà pour la Guinée est une incohérence et pis , une condescendance .
Pourquoi, préférons-nous la médiocrité qui détériore notre faible niveau de bien-être à l’excellence et au courage qui nous affricheraient ? Pourquoi, voulons-nous rester dans les pseudo-solutions transitoires quand celles pérennes suffiraient pour créer des milliers d’emplois pour nos populations et rendraient nos villes propres et attrayantes ? « Conakry , ville propre ! » , devenue ritournelle , le message de quelques spots de publicités est uniment une goguenardise . Ils l’ont accepté oralement et trahi dès lors que cela n’arrangeait pas leurs intérêts. La gestion des ordures est un puits artésien d’où jaillissent des colossales sommes d’argent, d’où la décision calculée de ne pas implémenter les solutions pérennes. « Conakry, ville propre »est possible, mais le choix de « Conakry, ville sale » est consommé. Devrons –nous vivre en incohérence ?
Ibrahima SANOH, citoyen guinéen