En Guinée, le secteur informel est semblable à une rivière qui trouve toujours une voie de passage, quels que soient les obstacles dressés sur son chemin. Il trouve sa force dans la faiblesse de l’économie nationale, gangrenée par la corruption, la mauvaise gouvernance et l’absence d’un patronat responsable. La fiscalisation du secteur informel, comme le souhaitent les nouvelles autorités du pays, est préalable à la mise en place d’une politique nationale de formalisation, celle-ci est obligatoire. En Guinée, l’agent économique informel contrôle celui formel.
Le secteur informel en Guinée est le plus grand employeur, il constitue une force économique parallèle et incontournable. Plusieurs études à travers le monde ont été réalisées par des organismes, et chacune d’elles a proposé une définition propre à une approche donnée ; à défaut, des descriptions du mode opératoire ont été clichées. Le secteur informel est le fruit des économies en consolidation qui ne peuvent prendre en charge l’ensemble des prérogatives induit par une politique inadaptée et incohérente propre aux économies africaines. Cet enfant pauvre est devenu plus riche, plus fort au point de constituer une menace (un concurrent) pour l’économie qui se veut formelle.
En Guinée, la formation du secteur informel connait deux (2) phases :
La première est celle qui interdit l’exercice du commerce sur tout le territoire national, par le régime socialiste (la Révolution) de la Première République de l’époque, par la mise en place d’une police économique qui avait pour mission de réprimer toute activité économique en dehors du contrôle de l’Etat. Tout contrevenant risquait une peine de prison ferme. Ainsi, un grand réseau de trafic de toutes sortes de marchandises légales ou prohibées s’est organisé à travers les frontières avec les pays voisins, approvisionnant ainsi le pays de biens de première nécessité ; d’où l’origine de la richesse de certaines familles commerçantes.
La seconde phase est celle qui fait migrer les fonctionnaires déflatés de l’Etat vers le secteur informel, trois ans après la prise du pouvoir par les militaires (CMRN). Par manque d’alternative, certains anciens fonctionnaires de l’Etat constitueront un capital provenant des indemnités de départ pour se lancer dans un secteur informel en pleine expansion et accessible à toutes les classes sociales. Parmi eux des lettrés, qui ont aidé à la mise en place d’un système intelligent et opaque qui s’interdit tout partage de richesses avec le secteur formel.
Viendront rejoindre cette catégorie les opérateurs économiques guinéens qui ont fait fortune à l’étranger. Ces derniers rentrent au pays, après la prise du pouvoir par les militaires en 1984 et créent des sociétés à l’image de celles qu’ils avaient à l’étranger. À cause des abus de l’administration fiscale et des fonctionnaires dépourvus de bon sens, leurs entreprises rejoignent très rapidement le secteur informel, grossissant ainsi le rang des entreprises informelles.
La modernisation des outils de travail, notamment les nouvelles technologies, permet au secteur informel de mieux s’organiser, afin de s’éloigner de toute politique de fiscalisation. Les flux financiers journaliers du secteur informel, à travers la banque informelle virtuelle et les plateformes de transferts d’argent, sont certainement supérieurs à ceux du système formel ; malgré le soit disant manque de visibilité, les banques commerciales présentes en Guinée font beaucoup plus de chiffres avec le secteur informel qu’elles ne le font avec le reste de l’économie nationale. Une bonne partie de la richesse créée par le secteur informel est une constituante du PIB non intégré dans la comptabilité nationale.
Fiscalisation du secteur informel
La fiscalisation du secteur informel passe par une stratégie de formalisation qui prend appui sur trois (3) politiques : bancarisation, reconversion, diversification des activités des agents économiques du secteur informel. Ce concept doit être la fondation de la politique nationale de formalisation qui intégrera des partenaires banquiers et un mécanisme de facilitation. Les Centres de Gestion Agréés et les Fonds de Garantie par corps de métier sont des outils indispensables à la formalisation des agents économiques du secteur informel. Le projet doit être porté par l’ensemble des organisations et fédérations des agents économiques évoluant dans des structures informelles. Les représentants d’un corps de métier ne peuvent prétendre représenter l’ensemble des corps de métier du secteur informel. Un projet pilote doit être testé et observé sur quatre (4) corps de métiers :
- Une coopérative agricole,
- Une coopérative de petits et moyens commerçants,
- Une coopérative des métiers de casse,
- Une coopérative artisanale.
Peuvent accompagner et soutenir la politique nationale de reconversion du secteur informel les partenaires au développement et les banques du pays. Les premiers par une offre d’assistance technique et les seconds par des produits financiers adaptés. Dans cette vision, les Centres de Gestion Agréés doivent être appuyés et contrôlés par les banques et les partenaires au développement. Ils ont pour mission de mettre en confiance les adhérents et de conditionner les appuis techniques et financiers par une discipline dans la gestion et la liquidation de la liasse fiscale. En contrepartie, les adhérents ont les avantages suivants :
- Allègement fiscal,
- Crédit bancaire bonifié,
- Droit de douanes allégés,
- Formation et sensibilisation gratuites.
Les banques et les partenaires au développement peuvent ensemble mettre en place un fonds de garantie afin de pouvoir conforter les levées de fonds par les adhérents des Centre de Gestion Agréés (CGA) en toute sécurité. La fiscalisation du secteur informel passe par ce concept.
Reconversion du secteur informel
Le secteur informel compte plus de 17 corps de métiers organisés autour des coopératives affiliées aux chambres de commerce, d’artisanat et d’agriculture. La reconversion du secteur informel est le fait de faire migrer les agents économiques informels vers la petite industrie de transformation de biens. Elle permet d’orienter des capitaux et les habitudes vers des activités plus rentables pour l’économie nationale et pour l’agent informel reconverti. Cette approche permet de créer des emplois, d’améliorer les recettes fiscales, d’économiser les devises pour le compte de la BCRG, de pouvoir exporter des biens, d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. La récupération du secteur informel permet de moderniser une économie pour la rendre plus compétitive.
Bancarisation du secteur informel
La bancarisation est un préalable à la reconversion du secteur informel. C’est le fait de faire passer par le circuit financier formel toutes les transactions financières des agents économiques en phase de reconversion et de les faire accéder aux produits financiers. Le circuit bancaire est une plateforme idéale d’accompagnement vers la formalisation. Le système bancaire peut être le moyen le plus souple et le plus intelligent pour fiscaliser les agents économiques informels. Les banquiers doivent donc prendre part à la réflexion et proposer des solutions financières et techniques.
Diversification des activités des agents économiques informels
La diversification des activités des agents économiques informels est une phase de la formalisation. C’est le fait de continuer les activités traditionnelles et investir dans les secteurs porteurs de croissance. Les capitaux accumulés par l’importation du riz durant des décennies peuvent être réinvestis par les importateurs dans la valorisation des plaines rizicoles ou dans les cultures destinées à l’importation. Cet exemple peut être transposé à d’autres corps de métiers. La diversification est un tremplin vers l’industrialisation des activités des agents économiques informels.
Toute politique et approche destinée à reconvertir le secteur informel ne doit pas avoir un objectif exclusivement fiscal mais plutôt projeter une vision globale et non restrictive. Autrement : la formalisation du secteur informel entraînera des effets induits sur des chaines de valeurs positives, en terme de croissance et d’emplois, à condition que les vrais acteurs ne soient pas exclus de la réflexion et surtout de ne pas se tromper d’interlocuteurs et de cible.
En résumé, le concept de reconversion du secteur informel est formulé comme suit :
Fiscalisation du secteur informel = Formalisation + Bancarisation + Diversification + Reconversion
THIAM Mohamed Jacob
Cabinet Centre de Gestion de Guinée (CGG)