Les peuples qui oublient leur passé, sont condamnés à le revivre, comme l’a dit un homme célèbre.
A l’heure où émerge une nouvelle tentative de réécriture, ou de réinterprétation du long, très long règne du P.D.G., il m’apparait utile de donner ici une tranche de vie extraite du livre d’un ancien prisonnier politique bien connu, Alpha Abdoulaye DIALLO dit Portos. Dans cet extrait, tout prisonnier qu’il est, il ne parle pas de lui, ni de sa condition.
Au contraire, il parle d’un autre prisonnier qui par son humanité, sa dignité, et sa noblesse dans l’épreuve l’impressionne, immensément, lui le Ministre (même prisonnier) qui a côtoyé les personnalités les plus éminentes de l’Afrique des années 60 et 70, parlé dans des assemblées où se décide le destin de millions d’êtres humains, a bataillé ferme dans toutes les instances internationales où il était invité à défendre les intérêts de sa Patrie. Lui qui fut une personnalité gouvernementale importante, en admire une autre qui n’est pas de sa condition sociale, mais qui est devenue son compagnon de captivité. Son admiration n’est pas feinte. Elle est sincère. Il admire sans emphase, mais avec sincérité. Il est impressionné par le calme et la sérénité de ce nouveau prisonnier qui dans la vie ordinaire fait partie des petites gens. . La description qu’il en fait, est mesurée, empreinte de retenue, sans emphase, mais avec force. On le sent ému, désemparé, décontenancé que le pouvoir qu’il croyait défendre le peuple, en soit rendu à embastiller, puis torturer de petites gens innocentes. Son propre emprisonnement a l’air de lui peser moins, en face de celui d’un simple citoyen et pour un motif presque farfelu.
Son héros est humble, très humble : un simple chauffeur de taxi, ou de camion, il ne sait plus. Il s’agit d’un certain Camara Mamadi, originaire de KANKAN, un Malinké, à l’allure fière et altière comme l’écrit Portos, lui-même. Le MOTIF de l’arrestation et de l’embastillement par le très « démocratique » régime du P.D.G. et de Sékou TOURÉ du malheureux Camara Mamadi ?— Sans commentaire. Lisez plutôt cet extrait.
Dr. Abdoul BALDÉ
« …..Les arrivées sont devenues plutôt rares : quelques détenus de droit commun transférés de la sûreté au bloc. Il faut signaler toutefois, un nouveau venu, un chauffeur de Kankan, un malinké à l’allure fière et altière, taciturne de tempérament et toujours respectueux des autres. Son nom : Camara Mamadi. Motif de son arrestation ? Il avait placé sur le passage du cortège présidentiel une espèce de barrage, avec de grosses pierres. Il s’était muni d’un stylo à bille et d’un papier. Appréhendé, on le « déposera » au bloc où, après avoir subi sa diète d’accueil, il comparaîtra devant la commission. Interrogé sur les raisons pour lesquelles il voulait arrêter le cortège présidentiel, il s’en expliquera très calmement :
— « Je voulais simplement demander au chef de l’Etat de démissionner et de céder son poste à un autre. Il a prouvé qu’il est incapable de faire le bonheur du peuple. Il ne fait que mentir et tuer… »
Ahuris, les membres du comité révolutionnaire, effrayés d’avoir entendu des paroles aussi graves, aussi «contre-révolutionnaires», se débarrasseront de lui en l’envoyant immédiatement à la cabine technique. Il connaîtra la torture mais maintiendra ses déclarations. On lui demandera de dénoncer ses complices et notamment au sein du B.P.N. et du gouvernement. il s’y refusera et finalement le comité révolutionnaire conclura qu’il est fou.
Après avoir été longtemps enfermé, il « tentera la belle » un jour que l’occasion s’en offrait à lui. On le rattrapera, bien sûr, les chances de s’échapper du bloc étant extrêmement limitées sinon inexistantes car, même en sortant du bloc, on retombe encore à l’intérieur du camp, au milieu des logements des gardes.
On le ligotera alors : jeté par terre il sera roué de coups de ceinturon par les hommes de l’équipe de garde. Ceux-ci mettront d’autant plus de hargne à s’acquitter de cette tâche qu’ils avaient craint pour leur vie, car la règle ici c’est qu’un prisonnier qui s’échappe du bloc est aussitôt remplacé dans sa cellule par tous les hommes de l’équipe de garde, qui ont alors très peu de chances de s’en tirer.
Nous ressentions tous dans notre chair les coups qui pleuvaient sur Mamadi Camara. Nul n’entendra pourtant un cri, un gémissement, la moindre plainte de cet homme d’une trempe exceptionnelle ! On le jettera dans sa cellule, incapable de se tenir debout ! Et recommencera pour lui le dur régime de cachot que les anciens connaissaient si bien! Qu’est devenu Mamadi Camara ? A ma libération, à la fin de l’année 1980, il était encore en vie…»
Alpha Abdoulaye DIALLO dit Portos. Extrait de : La vérité du ministre. Dix ans dans les geôles de Sékou Touré
Paris. Calman-Lévy. 1985. 203 p