Censure

Bauxite: pourquoi la Guinée court un grave risque écologique (Par Par Aliou Barry)

Et si les félicitations reçues par le président Condé à la COP22 pour ses initiatives en matière d’énergies renouvelables n’étaient pas si méritées que ça ? Unanimement reconnue comme un grand succès en matière de politique environnementale, la 22e conférence des parties (COP22) de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques a donné l’occasion au Maroc de réunir un grand nombre de chefs d’État africains en vue de rechercher les solutions aux conséquences du réchauffement climatique. À cette occasion, le président de la Guinée, Alpha Condé, a reçu un grand nombre de félicitations pour ses initiatives en matière d’énergies renouvelables.
Certes, les déclarations d’Alpha Condé ont eu le mérite de bien placer notre pays quant à son approche sur les questions climatiques et écologiques. Au regard de ce qui se constate sur le terrain, on est en droit de se demander si ce n’était pas une posture pour que la Guinée bénéficie de l’argent du Fonds vert pour le climat notamment destiné aux pays africains mais aussi pour apporter un gage de bonne volonté à un pays ami, la France, coorganisatrice de la COP22.

Un problème de cohérence

La Guinée met, selon son président, tous les moyens en œuvre pour assurer un rôle de chef de file du continent sur ces sujets. Encore faudrait-il qu’elle mène une stratégie cohérente et véritablement indépendante et qu’elle mette ses actes en accord avec ses paroles pour combattre la corruption, empêcher le pillage organisé de ses réserves minières et l’exploitation sauvage de ses richesses naturelles. On est loin de ce constat.
En tant que président de l’Observatoire national de la démocratie et des droits de l’homme, je reçois de multiples témoignages qui appellent à relativiser les déclarations d’intentions officielles. C’est vrai, en particulier dans le secteur de l’extraction minière, pourtant l’un des leviers majeurs pour sortir la Guinée de la pauvreté. Avec 514 euros de revenu par habitant par an, la Guinée se range au 9e rang des pays les plus pauvres au monde.
Le secteur de la bauxite constitue un exemple édifiant de ce paradoxe guinéen qui voit un pays assis sur des ressources minières extraordinaires et incapable d’assurer à sa population le minimum vital. Ses réserves en bauxite se chiffrent à 25 milliards de tonnes, soit près d’un tiers des réserves mondiales de ce minerai. Ses mines sont aujourd’hui livrées à un pillage systématique de la part de certaines entreprises, en particulier chinoises, provoquant non seulement un énorme manque à gagner pour l’économie nationale et ses populations, mais aussi une menace sur ses équilibres écologiques.

Ne surtout pas suivre les exemples de l’Indonésie et de la Malaisie

Il y a quelques années, l’Indonésie et la Malaisie ont été contraintes, au regard des dégâts environnementaux provoqués par une surexploitation de leur bauxite, de mettre un frein à l’extraction du minerai sur leur territoire. L’exploitation sauvage et le transport inadapté du minerai ont entraîné l’érosion des sols, le déboisement des forêts, la pollution de l’air et la contamination des eaux, avec un fort impact sur l’agriculture et la pêche. L’Indonésie mène désormais une politique dite de « nationalisme » concernant ses ressources en appliquant des programmes de développement de son industrie de transformation et en privilégiant les investissements responsables en aval. La Guinée paraissait suivre cette voie. Elle se montrait très exigeante face à toute demande de permis d’exploration et d’exploitation de ses mines de bauxite. Elle imposait force contreparties économiques, sociales et environnementales.

Les exigences ne doivent pas être revues à la baisse

Aujourd’hui, le gouvernement du pays ne fait plus preuve de la même exigence et paraît prêt à accorder ses permis quel que soit le prix à payer pour sa population et son environnement. Pour preuve, la région de Boké, qui recèle une grande partie des mines du pays, est devenue un véritable champ de bataille où tous les coups sont permis. Les nouveaux entrants, les mêmes qui ont dégradé l’environnement en Indonésie et en Malaisie, promettent à la Guinée de devenir le numéro un dans la bauxite et montent au créneau rapidement. Trop rapidement pour pouvoir instaurer une exploration durable et respectueuse de l’environnement et des peuples. Comme en témoignent d’ailleurs de nombreuses protestations de la population locale (scandalisée par la complicité des autorités guinéennes avec les Chinois !), la région étant devenue « championne » par leur nombre… Les enjeux dépassent largement le seul pays tant la bauxite et derrière elle l’aluminium constituent un élément fondamental pour une production faiblement carbonée à l’échelle de la planète.

Il est nécessaire d’imposer des règles claires

Le secteur de la bauxite est un exemple édifiant qui résume bien tous les défis posés à la Guinée. Si Alpha Condé a l’ambition de jouer le rôle de leader en Afrique en matière de questions environnementales et climatiques, il doit encore imposer des règles claires, à commencer par l’exigence que la bauxite extraite sur son sol soit « propre », transformée sur place avant d’être exportée et surtout qu’elle n’alimente que la production la plus propre possible de l’aluminium.

On est loin de cette exigence et les belles professions de foi d’Alpha Condé, mises en exergue au cours de la COP22, ne doivent pas relever d’une stratégie cosmétique. Elle serait alors vaine et dangereuse pour la Guinée. Et ce serait dommage pour la réputation de notre pays.

Aliou Barry, Géopolitologue, spécialiste des questions de défense et sécurité en Afrique, et président de l’Observatoire national de la démocratie et des droits de l’homme (ONDH) en Guinée.

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