Ahmed Kourouma, ancien membre de lâUnion pour le peuple de GuinĂ©e – UPG- a une lecture trĂšs critique de la situation sociopolitique actuelle de la GuinĂ©e. Dans cet entretien quâil a accordĂ© Ă votre semainier, le jeune leader a dĂ©plorĂ© la mal gouvernance qui sĂ©vit dans le pays. Pour lui, la coopĂ©ration chinoise dans le secteur minier est malheureuse pour la GuinĂ©e.
Vous venez de quitter le navire UPG. Quelles sont les raisons de votre départ?
Ahmed Kourouma: Il y a eu des divergences. Je suis un homme politique neuf qui a des idĂ©es, qui a des convictions, qui crois en cette devise, qui est celle de beaucoup de pays dĂ©mocratiques en Afrique. Câest que nous sommes une nation, une et indivisible. Donc, Ă lâintĂ©rieur de cette nation, il y a des individus, il nây a pas dâethnies pour moi. Et Ă lâintĂ©rieur de ce pays, il y a des gens compĂ©tents et notamment des jeunes universitaires que jâai rencontrĂ©s. Je trouve que lorsque lâon prĂȘche lâouverture, le renouvellement des gĂ©nĂ©rations, cela doit se faire au sein de son parti.
Alors câĂ©tait ma ligne de conduite, câĂ©tait ce que jâavais envie de faire Ă lâintĂ©rieur du parti. Le renouveler dans ces instances politiques et dirigeantes. Il se trouve que comme dâhabitude, les vieux nâont pas voulu cĂ©der leurs places. Vous savez en Afrique, on ne sait pas ce que ça veut dire partir Ă la retraite ou renouvellement de la gĂ©nĂ©ration ou encore laisser sa place Ă la jeunesse. Donc, constatant cela Ă lâintĂ©rieur de mon propre camp, jâai dĂ©cidĂ© de me mettre en retrait et de quitter et partir.
Jâai Ă©tĂ© sollicitĂ©. Jâai rencontrĂ© beaucoup de gens
Quelles sont vos intentions maintenant? Allez-vous rejoindre un nouveau parti ou créer un parti politique ?
Je nâai pour le moment nulle autre intention que celle de faire avancer par le dĂ©bat politique, par lâargument mon pays. Je nâai pas encore pris une dĂ©cision. Jâai Ă©tĂ© sollicitĂ©. Jâai rencontrĂ© beaucoup de gens. Jâai rencontrĂ© Papa Koly Kourouma. Jâai rencontrĂ© Elhadj Cellou Dalein Diallo. Jâai rencontrĂ© Ă©galement des membres du RPG aussi. Parce que je pense que jâai des choses Ă apporter Ă mon pays. Mais je ne le ferai quâen conscience, je ne le ferai que si jâai en face de moi un parti politique qui conviendra aux convictions qui sont les miennes et Ă lâenvie profonde que jâai dâen finir avec cette mĂ©diocritĂ© de cette gĂ©nĂ©ration.
Quelle lecture faites-vous de la situation sociopolitique actuelle du pays ?
Elle est catastrophique Ă tous les points de vue politique et sociologique. Nous sommes dans un pays oĂč nous ne maitrisons pas notre Ă©conomie, oĂč les Ă©trangers viennent prendre lâargent, nâinvestissent pas et repartent. Nous sommes dans un pays oĂč une gĂ©nĂ©ration entiĂšre est en train de se sacrifier oĂč le GuinĂ©en nâa pas le droit, il nâa pas accĂšs dans la plupart des business ou des points de rĂ©munĂ©ration. Il faut un changement de politique, idĂ©ologique et de gĂ©nĂ©ration.
on est en train dâenlever au peuple le peu de dĂ©mocratie qui lui reste
Lâaccord politique paraphĂ© le 12 octobre dernier ne fait pas lâunanimitĂ© au sein de la classe politique. Notamment le point 2 de lâaccord. Quel est votre point de vue lĂ -dessus?
Le point de vue qui mâintĂ©resse, ce nâest pas celui de la classe politique, câest celui du peuple. Je constate quâon est en train dâenlever au peuple le peu de dĂ©mocratie qui lui reste. Parce quâon parle dâĂ©lection des chefs de quartiers et des conseillers communaux. Câest-Ă -dire des gens qui sont chargĂ©s de remonter Ă lâEtat, au gouvernement ou responsable politique la souffrance du peuple. On est en train de faire une petite bataille lĂ -dessus.
Câest-Ă -dire quâils vont sâarroger le droit chacun dans son coin de les Ă©lire en fonction de leurs intĂ©rĂȘts personnels. Ce qui Ă©tait en cause, ce nâest pas lâavenir de quelques petits partis ou du RPG ou de lâUFDG. Parce que ce qui est en cause, câest lâavenir de notre pays, la dĂ©mocratie. Je refuse qu’on prenne la dĂ©mocratie en otage.
Je pense que câest aux citoyens guinĂ©ens dâĂ©lire que ça soit Ă la base ou tout autre, leurs reprĂ©sentants et je ne suis pas dâaccord avec cette petite guĂ©guerre de pouvoir qui est en train de se faire entre principalement lâUFDG et le RPG, qui sont en train de prendre en otage notre dĂ©mocratie.
Et en tant que responsable politique de ce pays, quelquâun qui fait partie  dâune gĂ©nĂ©ration qui est amenĂ©e Ă arriver au pouvoir plus tard, je refuse cela pour mon pays et au nom de la dĂ©mocratie.
La justice guinéenne est en marche
LâactualitĂ© aussi, câest lâarrestation de Toumba DiakitĂ© au SĂ©nĂ©gal. La justice sĂ©nĂ©galaise a donnĂ© rĂ©cemment son accord pour son extradition en GuinĂ©e. Quel regard portez-vous sur ce dossier?
Mon point de vue est simple. Je suis droit dans mes bottes et il est dans la mĂȘme lignĂ©e. Nous sommes un pays souverain. Je suis un souverainiste et un panafricaniste convaincu. Je refuse que le prĂ©sident Dadis soit jugĂ© hors de son pays. Donc, tout ce qui contribue Ă cela est une trĂšs bonne chose. La justice guinĂ©enne est en marche. Elle est en train de faire extrader un des principaux acteurs de cette horrible chose qui a Ă©tĂ© le 28 septembre 2009.
Donc je trouve que câest une bonne chose la manifestation de la vĂ©ritĂ© pour le droit et le devoir que nous avons en vers les victimes du 28 septembre. Câest une trĂšs bonne chose quâil soit rentrĂ© dâabord  dans son pays et quâil contribue Ă ce que la lumiĂšre soit faite sur cette horreur qui a Ă©tĂ© commise le 28 septembre.
Toumba DiakitĂ© est un citoyen guinĂ©en. Il nâest pas au-dessus de la loi
Pour sa sĂ©curitĂ©, il dit ne pas souhaiter ĂȘtre extradĂ© en GuinĂ©e?
Toumba DiakitĂ© est un citoyen guinĂ©en. Il nâest pas au-dessus de la loi. Et la loi est faite dans une Ă©quitĂ©. Il sera jugĂ© dans ce pays Ă©quitablement. Mais ce nâest pas Ă lui de dicter les rĂšgles. Câest Ă la nation de lui dicter la rĂšgle. Câest Ă lâEtat qui doit ĂȘtre fort  de lui dicter les rĂšgles. Surtout ne lâoublions pas que le crime pour lequel il est prĂ©sumĂ© innocent, mais pour le moment, il est accusĂ© de crimes contre lâhumanitĂ©. Câest lâun des plus graves crimes au monde.
En tant que citoyen et responsable politique, je trouve que câest une trĂšs bonne chose. Il nâa quâĂ rentrer et sâexpliquer devant la nation et la justice de son pays pour savoir ce qui sâest passĂ© ce fameux jour, qui a Ă©tĂ© une des grandes taches noires de notre pays. Je tiens Ă le dire trĂšs clair, Toumba DiakitĂ© doit et se doit, câest une obligation pour lui de sâexpliquer devant la justice guinĂ©enne et devant le peuple de GuinĂ©e pour justifier ou nous Ă©clairer sur ce qui sâest passĂ© ce jour-lĂ .
Mais depuis son arrestation, on a lâintention que la tentative dâassassinat contre le capitaine Dadis est oubliĂ©e. Comment vous jugez cela ?
Je nâai pas Ă juger ou Ă prĂ©juger de ce que la justice guinĂ©enne retient comme chefs dâaccusation. Je ne me prĂ©occupe pas de ce que les uns et les autres pensent. Je suis un homme qui pense que la justice doit faire son chemin. Elle doit passer. Et que cette justice-lĂ , elle est faite pour tous les citoyens quel que soit leur crime. Donc, ce qui mâintĂ©resse avant tout est quâil rentre, quâil soit extradĂ© et quâil soit jugĂ© dans son pays. Câest la seule chose aujourdâhui qui mâimporte. Le sort du capitaine Dadis est entre les mains de lâEtat guinĂ©en, il est entre les mains du peuple guinĂ©en.
Encore je le dis et je le rĂ©pĂšte, il fallait quâil rentre pour se justifier, pour pouvoir se dĂ©fendre aussi. Parce que câest important et quâil soit jugĂ©. Et sâil doit ĂȘtre condamnĂ©, quâil le soit et sâil doit ĂȘtre acquittĂ© il le sera. Mais il faut que la justice guinĂ©enne fasse son travail, que la justice se fasse au nom des victimes. Parce que ce qui nous prĂ©occupe avant tout, ce nâest pas les nantis, c’est le bas peuple qui a Ă©té piĂ©tinĂ©, ceux quâon a tuĂ© ce jour-lĂ .
Pensez-vous Ă un procĂšs Ă©quitable en 2017 comme lâa promis le ministre de la Justice ?
Dans ce processus-lĂ , il me semble que le ministre de la Justice a tenu parole contrairement Ă ce quâon disait. Il a dit et rĂ©pĂ©tĂ© que le procĂšs se tiendrait, que les principaux acteurs de ce procĂšs seraient jugĂ©s en GuinĂ©e. Et câest ce qui me semble en train dâĂȘtre fait. Donc apportons-lui ce crĂ©dit-lĂ , la parole tenue. Maintenant je ne suis pas quelquâun de naĂŻf. Jâattends de voir comme tout le monde.
MĂȘme si en 2016, Me Cheick Sako avait promis lâouverture de ce procĂšs. Mais rien nâen a Ă©tĂ©?
Vous savez, la justice ce nâest pas une question de temps, câest une question de moyens. Je crois que nos magistrats travaillent dans des conditions extrĂȘmement difficiles. La justice nâa pas forcĂ©ment les moyens financiers aujourdâhui de faire le travail qui devrait ĂȘtre le sien. Donc attendons. Lâimportant, c’est que la justice se fasse, que ce soit donc 5 ans, 6 ans,⊠il faut que ce crime-lĂ , soit jugĂ© pour ce quâil est.
Quelle lecture faites-vous de la loi de finances 2017?
Ăa me fait rire la loi de finances parce quâaucun responsable politique de ce pays ne justifie des dĂ©penses quâil fait. Nous ne savons pas aujourdâhui la loi de finance qui a Ă©tĂ© votĂ©e  en 2015, 2014, on ne sait pas Ă quoi, elles ont servi devant la reprĂ©sentation nationale. Et les dĂ©putĂ©s acceptent de venir nous embrouiller. Il nây a pas de loi de finances en GuinĂ©e, il nây a pas dâĂ©conomie dans ce pays.
LâĂ©conomie est dĂ©tenue par les Ă©trangers. Il faut quâon se le dise, aucun guinĂ©en aujourdâhui en dehors de quelques-uns. Et je prĂ©sume que câest 1% de la population qui monopolise 90% des richesses nationales. La loi de finances ne concerne pas le peuple, elle concerne ceux qui se la partagent entre eux.
Pour le moment, ce nâest pas ce qui mâintĂ©resse. Ce qui mâintĂ©resse, ce sont les emplois, câest quand est-ce que lâEtat va prendre ses responsabilitĂ©s et va donner de lâemploi Ă nos concitoyens, va favoriser les GuinĂ©ens sur son sol. La loi de finances, câest de la poudre aux yeux. Elle est vide parce quâils vont encore se servir. Ils vont encore dĂ©penser, ils vont creuser nos dĂ©ficits et câest malheureusement nos enfants qui devront payer tout cela.
Je considĂšre les Chinois comme des mercenaires
Est-ce que lâarrivĂ©e des Chinois dans le secteur minier guinĂ©en va changer la donne ?
Jâai toujours dit et je le rĂ©pĂšte que nous avons pendant 50 ans basĂ© notre dĂ©veloppement Ă©conomique sur les mines. Et, câest une trĂšs mauvaise orientation Ă©conomique. LâĂ©conomie dâun pays se fait sur le privĂ©, se fait sur la force de production de sa jeunesse, de son peuple. La coopĂ©ration chinoise est une coopĂ©ration malheureuse.
Je considĂšre les Chinois comme des mercenaires. Ils viennent nous acheter ou nous prendre nos matiĂšres premiĂšres pour des infrastructures qui sont construites avec  de trĂšs mauvais matĂ©riaux. Ils viennent avec leurs ouvriers au dĂ©triment des qualifications, des ouvriers guinĂ©ens. Donc, ce nâest pas un Ă©change gagnant-gagnant.
Jâai entendu le prĂ©sident de la RĂ©publique dire la derniĂšre fois, quâil ne voulait plus dâintermĂ©diaires entre ceux qui achĂštent et ceux qui vendent la bauxite. Câest une trĂšs bonne chose. Ce ne sont pas des terrains qui mâintĂ©ressent. Parce que ce ne sont pas des terrains qui sont pourvoyeurs dâemplois ou qui rapportent au peuple.
Il y a une extrĂȘme mauvaise gouvernance, une extrĂȘme mauvaise gestion des deniers publics dans ce pays. Raison pour laquelle, je dis quâil faut faire un moratoire complet sur les mines. OĂč va lâargent des miniers ? Il ne va certainement pas dans la poche des GuinĂ©ens. Parce que ça ne se voit pas au quotidien. Il ne va pas dans la construction de nos routes puisquâelles sont dĂ©foncĂ©es. Il ne va pas dans la construction dâhĂŽpitaux puisque nous allons dans des mouroirs. Il ne va pas dans la justice puisque les magistrats, les juges travaillent dans des conditions dramatiques.
Donc je me pose la question oĂč va lâargent des mines extraites de nos sous-sols ? Câest dâabord cette question-lĂ , quâil faut rĂ©soudre avant de parler de Chine ou je ne sais de qui encore. Nous devons redresser la situation dans notre pays. Parce que nous sommes dans une situation catastrophique, anarchique mĂȘme.
Nous sommes dans une espĂšce de nĂ©ocolonialisme Ă©conomique. LâĂ©conomie est dĂ©tenue par les Ă©trangers dans mon pays. Et ça, câest insupportable parce que ça veut dire que mes frĂšres, mes sĆurs et mes enfants sont laissĂ©s pour compte. Parce que les cadres de ce pays prĂ©fĂšrent nĂ©gociĂ©s avec des Ă©trangers plutĂŽt que de faire confiance Ă leurs propres frĂšres ou peuple et ça, câest insupportable. Il faut que ça sâarrĂȘte, il faut quâon redonne le pouvoir Ă lâĂ©conomie locale, quâon favorise nos enfants. Câest ce qu’eux, ils font chez eux. Il faut quâon lâapplique ici
Quelle analyse faites-vous de la situation qui prévaut en Gambie ?
Le sort dâun homme Ă ce niveau ne mâintĂ©resse pas, câest le sort du peuple gambien qui mâintĂ©resse. Yaya Jammeh dâaprĂšs ce que jâai compris, ça fait 22 ans quâil est au pouvoir. Il faut quâon en finisse avec ces Chefs dâEtat qui pensent quâils sont immortels, que sans eux lâAfrique ne va pas avancer. Avec ces gens qui pensent que le pouvoir est mystique. Le peuple gambien doit arrĂȘter dâĂȘtre un peuple de mouton, il faut quâil se soulĂšve contre ce genre de personnes.  Et jâattends que la CEDEAO fasse son travail. Si cet homme dĂ©cide de ne pas partir du pouvoir, il faut le bouter hors du pouvoir par la force parce quâil ne comprenne que ça, ces dictateurs.
On ne peut pas dialoguer avec ces gens-lĂ . Ce sont des hĂ©ritiers de la France-Afrique. Ce sont contrairement Ă lâimage quâil donne du panafricanisme, il nâen est pas un. Ce sont des hĂ©ritiers de Mobutu, de Bokassa et câest ce que jâappelle la caricature politique africaine.
Donc, je voudrais que la Gambie sâen sorte. Il y a une jeunesse intelligente, un panafricanisme qui est en train de naĂźtre et que ces gens-lĂ , ils doivent partir du pouvoir par dâeux-mĂȘmes ou par la force. Parce quâavec lâavenir de lâAfrique on ne plaisante plus. Il faut que ça soit les Africains eux-mĂȘmes qui le fassent.
Entretien réalisé par Amadou Sadjo Diallo