Malgré ma récente tendance à faire le minimum de commentaires sur les activités socio-économiques de notre pays, ma conscience m’oblige à donner mon point de vue sur les récents évènements survenus dans le système éducatif de notre pays, notamment « les dix jours de congés forcés » administrés à nos enfants et frères.
L’écrivain et pédagogue français Jean Baptiste Blanchard, dans les maximes de l’honnête homme (1772), écrivait que : « De tous les devoirs des parents, le principal est la bonne éducation de leurs enfants ». C’est donc par devoir et par solidarité que je fais cette petite analyse en vue d’attirer les attentions sur l’impact économique de cette mesure incroyablement étrange. Le Suédois Axel Oxenstiern, dans ses Réflexions sur l’éducation (1652), confirmait que « La bonne éducation de la jeunesse est le garant le plus sûr de la prospérité d’un État ».Cette mesure n’est donc bonne ni pour notre jeunesse, ni pour notre Etat.
Donc, en réalité, quels sont ceux qui profitent de ces congés forcés, et qui en paient le prix ?Quel est le coût sur le budget de l’Etat et l’économie guinéenne ? Enfin, quelle principale leçon en tirer ?
1. Quel est le coût Economique des 10 jours de congés forcés sur l’économie guinéenne ?
Selon mes estimations, modestes, dont les explications suivent, la Guinée perd plus de 170 milliards de francs guinéens au bas mot, à cause de ces 10 jours de congés forcés.
L’année scolaire en Guinée va du 05 Octobre au 30 Juin, au meilleur des cas. Au cours de ces 9 mois de cours, on pourrait compter 181 jours effectifs de cours (9 mois x 21 jours ouvrables). Mais si on déduit les 20 jours de congés (10 jours pour pâques et 10 jours pour Noel) et les multiples autres jours fériés et journées de vaccination (environ 11 jours), on se retrouve avec finalement 150 jours de cours réels. Ainsi, 10 jours de congés forcés font 6,7% de la totalité de l’année scolaire.
Avec un budget annuel cumulé de 1.684 milliards de GNF pour les ministères de l’enseignement pré-universitaire et la formation professionnelle en 2017, le coût budgétaire public s’élève déjà à environ 113 milliards de GNF, sans compter le coût sur le secteur privé qui dépense autant, voire plus, pour le financement de l’éducation. Donc, en supposant que les dépenses privées ne font seulement que la moitié des dépenses publiques dans le cadre du financement de l’éducation, on peut conclure que notre économie perd un minimum de 170 milliards dans ces dix jours, et ce, en ne tenant pas compte des manques à gagner résultant des cantines scolaires fermées, des taxis moins utilisés, et des autres activités accessoires.Et on se demande ce que l’Etat fera de cet espace budgétaire supplémentaire.
2. Qui profitent de ces congés forcés et qui en paient le prix ?
De façon évidente, les autorités éducatives, les enseignants du secteur public et les fondateurs des écoles privées sont les principaux bénéficiaires de ces mesures tandis que l’Etat, le contribuable national et étranger (à travers les bailleurs de fonds), les parents d’élèves (surtout ceux des écoles privées) et la jeunesse paient le prix de cette mesure.
Les deux Ministères ont pris cette mesure dilatoire pour se donner du temps pour la gestion de la crise qu’ils ont créée dans leur système. Les enseignants du secteur public obtiennent gratuitement dix jours de congés qui leur seront payés comme s’ils les avaient travaillés. Les fondateurs d’école privée percevront toujours la totalité des frais de scolarité annuelle tandis qu’ils ne paieront pas une grande partie des enseignants pour ces dix jours, ne verront pas leurs immobilisations amorties et n’utiliseront pas les consommables (énergie, craie, cahier), réalisant ainsi des économies conséquentes à revenus inchangés.
Quant à l’Etat et le contribuable, ils paieront les salaires des enseignants et fonctionnaires du secteur public sans avoir reçu de prestation de leur part, ils paieront les bâtiments pris en location pour servir de bureaux et de salles de classes par endroits. Les parents d’élèves, qui se saignent profondément pour mobiliser le financement de la formation de leurs enfants, se voient obligés de payer la moitié d’une mensualité sans motif valable. Enfin, les élèves des écoles guinéennes se voient privés de 10 jours de cours au moment où les fils de nombre des ministres ayant pris cette décision vont dans des écoles françaises locales ou étrangères, où les cours n’ont pas été interrompus, une manière certaine de perpétuer l’inégalité.
3. Quelle principale leçon tirer de ces congés forcés ?
Je ne suis généralement pas d’accord avec les revendications de l’opposition de mon pays pour la simple raison qu’elle ne fait généralement que de revendications politiques. Dans pareille situation, j’aurais souhaité une opposition, parlementaire ou extra parlementaire, exigeante, qui demande des comptes. Je m’attends à la commission parlementaire en charge des questions éducatives convoquant les autorités en charge pour explication. Je me demande même si notre démocratie n’est pas en train de montrer ses failles en montrant que l’exécutif et à ses cadres ont le pouvoir de prendre des décisions d’une telle ampleur, selon leurs humeurs et sans conséquence aucune.
Je m’attends à une société civile qui se mobilise pour contrer une telle légèreté managériale, à des partenaires au développement réclamant des détails sur l’utilisation des ressources initialement allouées au financement de ces 10 jours désormais non ouvrés.
Je pense donc que parmi les leçons à tirer de « cette pagaille au sommet de l’Etat », il faut que les parlementaires agissent de sorte que désormais, une telle décision ne puisse être prise sans leur approbation.
Enfin, je pense que désormais, dans notre pays, il faut prendre des lois devant interdire à un Ministre de l’éducation d’envoyer ses enfants étudier dans les écoles privées ou à l’étranger (si l’option de l’enfant existe en Guinée), interdire à un Ministre de la santé de se faire soigner dans une clinique privée ou étrangère, interdire à un Ministre de l’énergie d’utiliser un groupe électrogène ou une ligne EDG personnalisée, interdire à un Ministre des Travaux Publics de paver la voie menant à sa concession ou de pratiquer certains trajets en avion (aller à Siguiri en passant par Bamako en avion par exemple), interdire au gouverneur de la Banque Centrale d’ouvrir son compte personnel dans les livres de la BCRG, etc. Certains peuvent trouver ces idées marxistes-léninistes, mais de toute évidence, dans les meilleures démocraties du monde, il reste inconcevable qu’un ministre de l’éducation n’ait pas confiance en l’école publique ou qu’un ministre de la santé s’écarte de l’utilisation des hôpitaux publics. De cette manière, ils comprendront le calvaire vécu par le citoyen ordinaire et, par compassion ou par intérêt personnel, poseront des actes plus rationnels.
Seulement de cette manière certains cadres comprendront que l’heure de la facilité est révolue et que le vent du changement n’épargnera personne car, tôt ou tard, notre Guinée cessera d’être tolérante et complaisante.
Batrou Ousmane