Le président du Conseil national des organisations de la société civile guinéenne salue la désignation d’Alpha Condé à la tête de l’Union Africaine (UA). Dans une interview qu’il a accordée à votre hebdomadaire, le Dr Dansa Kourouma a déploré cependant la manière dont fonctionne le système éducatif guinéen.
Vous rentrez d’une tournée à l’intérieur du pays. Quel en était l’objectif ?
Dr Dansa Kourouma: L’objectif était triple. Premièrement, il s’agissait pour nous de s’enquérir de l’état de fonctionnement des démembrements du conseil à l’intérieur du pays.
La deuxième chose, importante par rapport à cette mission, c’était d’évaluer l’état des infrastructures de la base où dans le cadre de notre politique contrôle citoyen sur l’action publique, qu’on puisse faire des interpellations et attirer l’attention des autorités sur les difficultés liées à l’achoppement ou à la qualité et à l’entretien de ces infrastructures, dont la plupart ont été approuvées lors des fêtes tournantes de l’indépendance.
La troisième chose, c’était d’expliquer aux démembrements la teneur de notre nouveau plan stratégique de développement institutionnel 2017-2020. Ce plan qui a été adopté les 3, 4 et 5 décembre dernier à Kindia sous l’égide d’un consultant international.
Il s’agissait d’expliquer aux démembrements le contenu de ce plan mais aussi les reformes que ça exige pour renforcer la mobilisation des ressources internes, pour que le conseil soit une institution plus performante, mais également faire un recentrage systématique. C’est-à-dire nous focaliser beaucoup plus sur les questions de développement durable et nous étancher un peu sur les questions politiques.
Alpha Condé a été désigné à la tête de l’Union Africaine. Quels sont vos sentiments ?
C’est un sentiment de satisfaction. C’est un sacre de tout le peuple de Guinée parce qu’on ne peut pas être président en exercice de l’Union Africaine sans être président de la République. Alors, c’est le peuple de Guinée qui a été honoré à travers son président. Alpha Condé n’a pas que des défauts, il a des qualités aussi. Nous, de la société, nous n’allons pas accepter de politiser notre évaluation d’une situation de ce genre. C’est un militant panafricaniste qui a été président de la FEANF. Aujourd’hui, le combat qu’il a mené pour une Afrique démocratique, on ne peut pas le mettre dans l’eau, même s’il a encore du mal à transformer sa vision en action de développement de la Guinée.
A quoi est-ce qu’on peut s’attendre de cette élection ?
Cette élection permettra de tourner les projecteurs des medias internationaux, mais aussi des bailleurs de fonds et des institutions internationales sur la Guinée. Notre pays va abriter pendant cette année la session des Chefs d’Etat et de gouvernements de l’UA, dans un contexte marqué naturellement par quelques remous sociaux dus au système éducatif qui est très malade, mais également la qualité des infrastructures routières de la ville de Conakry.
Certes, les efforts ont été fournis, mais Conakry est loin d’être une capitale dotée d’infrastructures qui nous permettent d’accueillir des grandes rencontres internationales. Certainement, nous avons des hôtels, mais nous n’avons pas de routes. La situation de salubrité de la ville montre à suffisance que nous devons attacher les ceintures et fournir de l’effort. Donc, l’élection du président je suis à la fois partagé entre espoir et défis.
En quoi c’est un espoir et un défi?
Un espoir parce que le président en exercice de l’UA n’est pas une petite chose. La relation avec l’Union européenne sera renforcée, mais aussi avec les institutions internationales. Si c’est bien géré, la Guinée peut voir la plupart de ses cadres intégrés dans les structures de l’UA, ou d’autres structures au niveau international.
L’autre chose qui me semble être un impact important, c’est ce que ça peut amener à la Guinée comme fréquentabilité du pays. Quand tous les Chefs d’Etat doivent venir dans un pays, ça accroit le domaine du tourisme. Les hôtels seront bondés avec tout ce que ça rapporte comme valeur ajoutée dans le secteur du tourisme. Mais les défis, c’est la gouvernance interne parce que quand tous les projecteurs sont projetés sur la Guinée, il faut bien que notre système démocratique se porte mieux, sinon on fera la une des medias internationaux.
Il faudrait que les conditions de vie des populations s’améliorent aussi pour ne pas qu’il y ait un contraste entre notre présence sur la scène internationale et les difficultés endurées par le peuple de Guinée. Il y a également, l’amélioration des qualités des infrastructures. Quand on doit organiser des rencontres, il ne faudrait pas que les gens quittent la Guinée avec un mauvais souvenir, les routes bondées d’ordure, des marchés infréquentables et un aéroport qui ne ressemble pas aux grands aéroports internationaux. Donc, le gouvernement doit multiplier les efforts pour qu’on ait des grandes routes à Conakry. C’est une opportunité de demander de l’aide internationale pour que la Guinée puisse avoir des grandes autoroutes, des boulevards, des échangeurs, pour que notre présidence à l’UA ne soit pas vaine.
Je pense que le président Alpha Condé a un autre défi en face pour l’institution elle-même. C’est la réforme de l’institution, pour que ça cesse d’être un syndicat des Chefs d’Etat, pour que ça soit une institution qui a des capacités d’intégration de la jeunesse tout entière, qui peut prendre des grandes mesures économiques pour le développement du continent africain.
Les reformes sont nombreuses. L’Agenda 2063 de l’UA, déjà, est une opportunité que le président doit saisir. La réforme du fonctionnement même de l’institution et les conditions d’accession à certaines fonctions doivent être plus équitables et basées sur des règles. Ce n’est pas une simple victoire qui a été arrosée triomphalement, mais aussi ce sont des défis qui se posent aujourd’hui devant le président en exercice de l’UA.
Vous êtes membres de la commission de réflexion sur l’éducation. Alors, par une décision du ministère de l’Enseignement pré-universitaire, les élèves sont en congés jusqu’au 13 février. Quel est votre point de vue ?
Je suis dans le regret, mais pas en tant que membre de la commission d’éducation parce que je suis dans l’obligation de réserve, mais en tant qu’acteur de la société civile et père de famille, je pense que l’éducation doit quitter dans la main de ceux qui n’aiment pas l’éducation. Il faut que le système éducatif soit dirigé par ceux qui croient à l’éducation, ceux qui ont la vocation et l’amour pour le métier.
Je crois qu’on ne peut pas avoir un système éducatif de qualité sans une volonté politique au sommet de l’Etat. Donc, le président en plus de sa vision très éclairée doit mettre les moyens et prendre le taureau par les cornes pour que l’éducation soit sa priorité cette année 2017 qui correspond aussi à l’année de sa consécration à l’UA. Nous, nous voulons que nos universités ressemblent aux autres universités africaines parce qu’aucune université guinéenne ne fait partie des 300 meilleures universités au monde. Ça veut dire globalement en plus du débat sur l’enseignement pré-universitaire, le débat sur l’éducation supérieure doit se poser malgré l’effort du ministre Yéro Baldé qui est en train de beaucoup faire pour changer la donne. Il doit y avoir une unité d’actions de tous les Guinéens autour des reformes qui sont envisagées pour que notre système éducatif soit compétitif. Mais ça demande, une volonté politique ferme, un courage institutionnel, des réformes profondes et des ressources importantes. On ne peut pas obtenir toutes ces choses en dormant sur nos lauriers.
Que pensez-vous de la grève entamée par les centrales syndicales ?
Je regrette aussi que cette grève n’est pas parvenue à mobiliser toutes les centrales syndicales du pays. C’est cette division du mouvement social guinéen qui fait qu’on ne parvient plus à mieux défendre la population. Tout ce qui est du combat pour l’amélioration des conditions de vie de la population, nous société civile, on est solidaire, ça doit se faire dans un cadre global ou structuré. Un cadre global où, il y a une certaine entente et harmonie. Il y a un débat sur la grille salariale, sur les conditions d’affectation des nouveaux fonctionnaires, mais aussi un débat sur la situation des contractuels. Il y a aussi des dossiers que j’ai sur la main, le dossier SATELCOM-Guinée, mais aussi d’autres situations où des fonctionnaires sont sanctionnés illégalement, ou encore des situations où des travailleurs sont mis à la porte sans rendre compte à quelqu’un. Toutes ces choses augmentent la frustration. Et l’accumulation des frustrations du fait de l’injustice sociale, aboutit à la désobéissance civile. Il faut qu’on soit capable de tirer toutes les leçons.
Heureusement, le ministre de l’Enseignement pré-universitaire m’a écouté. Diriger un ministère de l’Education nationale dans un pays comme la Guinée demande une vision, une compétence, une témérité, un courage et de l’imagination.
Je demande à mon grand frère Kourouma pour rentrer dans l’histoire, les 6 années passées à la tête de ce département doivent nous permettre d’avoir un système éducatif beaucoup plus cohérent, compétitif et crédible.
Sans ça, je crois qu’il aura marqué son passage à la tête de ce département avec beaucoup d’insuffisance. Il n’a pas encore perdu, il peut se racheter avec la bénédiction du Chef de l’Etat. Il doit aller à l’offensive, à la recherche du financement et prendre des décisions fermes pour la réforme du secteur. Le copinage, le clientélisme et la politique dans le système éducatif sont des maux qui gangrènent le système.
Vous étiez membre du Front pour la défense des droits des citoyens. Qu’est-ce qui a motivé votre départ de ce mouvement ?
Le CNOSC-G n’a jamais été membre et ne sera jamais membre du Front. Alors si quelqu’un l’a dit, c’est un abus de langage. Qu’on nous montre un seul texte où on est signataire. Je suis désolé, si le Front a des problèmes, ils n’ont qu’à trouver la solution ailleurs.
Que pensez-vous des propos tenus par Nantou Chérif sur un éventuel troisième mandat?
Ça n’engage qu’elle. Le peuple de Guinée est ferme derrière sa constitution. Le moment venu, on verra qui est capable de quoi. Nous, nous sommes regardants de la constitution. Nous sommes regardants aussi du serment du président. Nous sommes en phase avec le peuple de Guinée qui n’a pas l’intention de s’engager dans de telles aventures. Comme c’est une politicienne, elle peut dire ce qu’elle veut. Mais une femme de sa trempe ne doit pas se permettre de faire un certain discours sur la place publique parce que ça va la rattraper. Et c’est seulement en Guinée, tu entends des discours de ce genre parce que l’éthique politique est derrière nous. Alors tant que notre vie politique n’est pas normalisée par des règles d’éthique et de déontologie, la politique va se considérer comme la grande boite noire où tous les péchés sont permis.
Entretien réalisé par Sadjo Diallo