Les Guinéens ont-ils choisi d’aller au suicide collectif ? C’est la question qu’il faut bien se poser aujourd’hui au regard de la crise qui secoue l’éducation et qui n’aurait pas dû exister si jamais les parties au dialogue social acceptaient chacune de jouer la carte de la bonne foi. Mais aussi si les habitants de Conakry n’avaient pas été embrigadés par la désinformation et orientés sciemment vers ce qu’il faut bien appeler, non pas une grève, mais plutôt une révolte, prélude à une éventuelle insurrection.
Contexte
Bien entendu, par les temps qui courent, la Guinée qui sort de l’épidémie d’Ebola pourrait à juste raison revendiquer le statut d’un pays post-guerre, tant son économie déjà mal en point a été laminée par la crise sanitaire des années 2014 et 2015. Toute chose qui a amené ses partenaires techniques et financiers à l’encourager à la relance de son économie à travers un programme post-Ebola. Pas superflu de dire dès lors qu’une grève syndicale à visée de revalorisation des salaires, dans ce contexte de résilience, est tout simplement mal venue. Aussi justifiée ou légitime soit-elle, hélas !
De la manipulation …
Lorsque dans les années 90, des Roumains avaient voulu se débarrasser de leur dirigeant Nicolas Ceausescu, ils ont profité d’une manifestation de rue de la ville de Timisoara dont ils ont grossi le bilan de la répression par les services de l’Etat.
Mais tout près, lorsque les politiques ont coalisé avec les syndicats en 2007 pour évincer Lansana Conté du pouvoir, ils se sont servis de la libération de Mamadou Sylla, actuel leader de l’UDG jusque-là enfermé dans un cachot de la Maison centrale de Coronthie. Le mensonge de ce jour, c’est qu’on a attribué au chef de l’Etat d’alors qu’il a dit à qui veut l’entendre : « J’ai libéré Mamadou Sylla, parce qu’en Guinée, la justice c’est moi ». Le lendemain, on a raconté partout qu’il délire.
Manifestement, cette fois encore la même méthode a fonctionné. La rumeur a été injectée dans l’opinion publique, amplifiée et entretenue que les contractuels de l’éducation sont allés en grève, parce que l’Etat après la proclamation des résultats du concours avait mis à la porte les non-admis de ces contractuels en situation de classe depuis cinq ans pour certains et huit ans pour d’autres. Or, lors de sa rencontre avec les médias au Novotel le 17 février dernier, le chef de l’Etat en personne a affirmé avoir demandé aux leaders syndicaux de lui présenter les contractuels non admis de huit ans de service pour qu’il les engage. Rien. Il est allé jusqu’à cinq ans de service. Impossible d’en trouver de la part des contestataires. Par finir, le Président Condé a indiqué que les contractuels qui n’ont pas de niveau bénéficieront d’une année de formation gratuite dans les ENI et du paiement de leur prime habituelle avant d’être testés à nouveau pour la fonction publique. Mais en plus, 70% des contractuels présentés à ce concours sont admis et aucun de ces enseignants en situation de classe (admis ou non) n’a été viré. N’empêche, il se racontera partout que le gouvernement a été ingrat vis-à-vis de ces contractuels qui devraient pour beaucoup de personnes être versés directement à la Fonction publique sans aucun test préalable. Même s’il fallait violer la loi qui voudrait qu’on intègre la Fonction publique que par voie de concours et même s’il fallait aussi faire fi du niveau des enseignants pour la qualification duquel pourtant l’Etat consent beaucoup de sacrifice.
L’entrée en scène du syndicat
Au même moment, les syndicalistes déjà en négociation avec les autorités autour de la nouvelle grille salariale des fonctionnaires ont été comme par enchantement pris de court par leur base, pour exiger une augmentation de salaire ex-nihilo.
La coïncidence ou la jonction des revendications des contractuels et de l’intersyndicale de l’éducation est-elle fortuite ? Toujours est-il que certains (non pas des grévistes, leur plateforme en faisant foi) ont réclamé après ; que des têtes tombent. Têtes de membres de gouvernement dont la responsabilité dans la survenue de la crise n’a pas été établie de façon formelle et implacable. Or « la cause du mal est la maladie et non le médecin », dixit Machiavel. Un observateur a ainsi déclaré à propos qu’en réalité, le limogeage de ministres en pleine crise aurait ouvert la voie à la demande de la démission du président de la République lui-même par d’éventuels manifestants. Vrai ou faux ? Toujours est-il que certains casseurs (qui n’étaient manifestement pas des élèves) l’avaient scandé dans les rues enflammées de Conakry, ce lundi noir, donnant ainsi échos à des appels lancés à partir des sièges de partis d’opposition le week-end précédent. Et comme il fallait s’y attendre, Alpha Condé qui a certainement fleuré le coup n’a pas prêté le flanc au traquenard.
Un autre signe qui ne doit point tromper est que du début au dénouement de cette crise, des messages de condamnation des violences et de sensibilisation à la non-violence auront été rares dans les médias. Tout se passait comme si c’est tout le monde qui voudrait d’un soulèvement populaire. Pour quelles rasions ? Le malaise dû aux réformes, comme cela est le cas dans tous les pays qui aspirent au développement, a-t-il été récupéré par certaines personnes pour provoquer une insurrection ? En tout cas beaucoup de personnes le pensent.
Et dans les explications qui suivent, de nombreuses personnes se demandent comment se fait-il que les enseignants pourtant de bonne foi qui ont bénéficié de près de 160% de hausse de salaires sous le régime d’Alpha Condé se sont-ils radicalisés et sont restés si longtemps sourds à toutes les supplications des pouvoirs publics ? Au point qu’il fallut l’implication des bailleurs de fonds de la Guinée pour faire plier les syndicalistes.
Les risques encourus par la Guinée…
Heureusement que les grévistes ont entendu raison. Sinon, si le gouvernement cédait sur la revendication principale des syndicalistes, les grévistes allaient faire courir beaucoup de risques au pays. A en croire une source gouvernementale, le maintien de la valeur monétaire du point d’indice des enseignants à 1030 aurait entrainé un dérapage des dépenses publiques de 560 milliards de francs guinéens par an. Comment l’Etat aurait-il financé cela ? Toutes les options envisageables étaient préjudiciables au dernier consommateur que nous sommes. La planche à billet (inflation), la hausse de la TVA, l’augmentation du prix du carburant, le gèle d’importants projets dans différents secteurs de la vie économique du pays. Tels que les projets routiers (construction et réhabilitation), services sociaux de base (eau, électricité, transport, soins de santé, l’éducation, etc.) Sans oublier que les partenaires financiers qui n’auraient pas été d’accord avec ce dérapage budgétaire allaient priver la Guinée d’importants concours financiers en perspective.
Evidemment, tout cela aurait représenté une véritable injustice des 110 000 fonctionnaires de l’Etat (entrainés par l’effet domino de la grève de l’éducation) vis-à-vis du reste de la population guinéenne qui est estimée à 11 millions d’habitants.
Mais ce qui était important, c’est qu’il y ait un accord. Et sur ce plan, reconnaissant à juste raison les efforts du corps enseignant, le gouvernement a consenti au terme de l’accord signé le 20 février, d’importants avantages à celui-ci. Notamment des primes et les pensions. Les contractuels de plus de cinq ans ayant échoué au concours sont d’office recrutés et les autres seront à former dans les écoles spécialisées (ENI et ISSEG) avec à l’appui leurs indemnités qu’ils ont touchées jusque-là. Ainsi la sagesse aura triomphé de la passion pour que les Guinéens tirent les leçons de tout cela. Et pour cause…
Choses vues à Conakry
Les tragiques journées noires de Janvier et Février 2007 ont désormais leur sœur jumelle, c’est bien celle de ce lundi 20 février. Soit dix ans après, et au même mois. La coïncidence est-elle fortuite ? Rien n’est moins sûr.
En tout état de cause, ceux qui se sont aventurés dans les rues de Conakry le lundi dernier ont dû voir les stigmates de l’apocalypse qu’ils vont difficilement oublier. Les troncs d’arbres, les pneus enflammés, les ordures, les blocs de pierre, les tables d’étalagistes et mêmes des murs de la haine, faits en briques, toutes ces choses se sont données rendez-vous dans les rues asphaltées de la capitale. Soigneusement gardées par des nervis, des Guinéens prêts à en découdre et ainsi prêts à empêcher leurs frères et sœurs de joindre leurs postes de travail ou de rejoindre leurs domiciles.
Ces personnes qui faisaient des vas et viens dans les ruelles fermées de Taouya, Kakimbo, Kipé et autres faisaient pitié dans leurs voitures ou sur leurs motos. Encore plus des malades qui n’ont pas pu rallier ce jour les hôpitaux et qui ont mourir si leur maladie ne s’est pas aggravée. Une personne âgées fatiguée à son volant accompagnée d’une femme enceinte m’a dit à Taouya : « Ce que je vois dans la rue est tout sauf une grève. Sauf une cause pour les élèves. J’ai peur ».
Et pourtant, toute la violence qui a déferlé sur Conakry ce lundi noir ne se justifiait pas. Car jamais durant la crise, il n’y a eu rupture entre les parties au dialogue. Forcément, elles seraient arrivées à un accord. Pourquoi des Guinéens devaient perdre la vie, d’autres être mutilés tout le reste de leur vie ?
Tout cela, au nom, non pas de la colère, mais de la haine tout simplement. Les Guinéens doivent faire attention. Car la guerre se construit tous les jours et de cette manière. A méditer !
Sékouba Savané, journaliste