La Guinée tout comme les autres pays africains connaît ces dernières années une réelle ruée des jeunes vers Internet. Les opérateurs du domaine n’ont pas tardé, face à ce fort intéressement des jeunes, à proposer des offres multiformes de service et à offrir un large panel de possibilités à l’internaute en vue de se plaire sur le Web.
Ce phénomène s’est accentué particulièrement en Guinée avec la presque banalisation et généralisation du phénomène de l’‘‘accès internet par mobile’’. Les opérateurs téléphoniques travaillent à satisfaire ce nombre explosif de mobinautes que compte le pays. Les pouvoirs publics ne semblent pas en reste, ils agissent même dans le sens d’encourager l’accès à l’internet chez les jeunes par la mise en place des initiatives (une tablette par étudiant, la couverture des établissements scolaires des centres informatiques, etc.).
L’habitude des internautes ou mobinautes guinéens est connue, Facebook enregistre l’essentiel du trafic des utilisateurs web. Cela est d’autant vrai que rien qu’en 2011 la Guinée comptait 132 884 internautes dont la plupart ont un compte Facebook.
Les réseaux sociaux dont Facebook ont des avantages certains (discussion, des rencontres, l’organisation des évènements), mais encore faut-il qu’on en fasse un usage ordonné et encadré. Plusieurs scandales (affaire Tamsir) dont la dernière en date et sans doute la plus médiatisée (l’affaire dite de sextape) démontrent avec éloquence de l’usage on ne peut plus incontrôlé et irresponsable des réseaux sociaux en Guinée. Il faut aussi signaler d’autres pratiques fréquentes et dont souffrent plus d’un utilisateur web guinéen : l’atteinte à la e-réputation, les usurpations d’identité, la violation de la vie privée, des rumeurs fréquentes, la diffusion de fausses informations par des sites fantômes sous le label guinéen…
Eu égard à la tournure que prennent les affaires dites d’‘‘atteintes aux mœurs’’ ou de ‘‘Facebook’’ dans l’opinion guinéenne, il sied d’encadrer juridiquement les agissements sur internet et les réseaux les sociaux. Il ne s’agit pas de réactions ponctuelles ou opportunistes, nous estimons que les pouvoirs publics guinéens à l’instar de ceux des autres pays africains ou occidentaux, se doivent de mettre en place une politique globale non liberticide visant à encadrer sur le plan du droit des comportements abusifs sur le web.
La problématique de la régulation d’internet en Guinée se pose avec acuité. Il est toutefois utile de faire un état des lieux de la réalité d’un tel encadrement mais également de mettre en exergue les différents modes de régulation issus des pratiques à l’étranger dont l’État peut s’inspirer.
Encadrement juridique d’internet, un vide juridique constatable en Guinée
La Constitution garantit la liberté d’expression (article 7) et de presse (y compris en ligne) en Guinée mais que dans le cadre de la loi. Cependant le constat révèle qu’il n’existe aucune loi spécifique encadrant internet en Guinée. Ce sont des lois ‘‘normales’’ qui sont souvent invoquées dans les cas d’abus sur le cyberespace guinéen.
Les législations en matière pénale et dans le cadre de la liberté de la presse – LOI ORGANIQUE L/2010 / 02 / CNT DU 22 JUIN 2010, portant sur la Liberté de la Presse – (y compris la presse en ligne) sont souvent le fondement juridique sur lequel s’appuient les autorités judiciaires pour traiter des affaires d’abus sur internet. La récente sortie médiatique du Procureur Général de la République annonçant l’ouverture d’une enquête judiciaire dans l’affaire dite ‘‘Sextape’’ (une affaire de partage d’images de nature pornographique sur internet impliquant des hauts cadres guinéens) dont il juge le contenu des images contraire aux ‘‘valeurs de la société guinéenne’’ et portant atteinte ‘‘aux mœurs et à la vie privée’’ est assez illustrative de ce vide juridique.
Pourtant au vu des contenus illicites et préjudiciables qui circulent sur les réseaux sociaux, une intervention urgente du juge ou du législateur est essentielle pour la prise en compte des nouveaux défis législatifs et judiciaires que présente internet. Cela passe immanquablement par l’adoption des textes spécifiques protégeant les utilisateurs du web et leurs données contre les abus dont ils peuvent être victimes : les usurpations d’identités, les allégations, les invectives, l’injure publique…
Le législateur devrait en collaboration avec les différents acteurs concernés combler le vide juridique dans le cyberespace de la Guinée.
En attendant les internautes guinéens se devraient de faire preuve de prudence dans l’usage des réseaux sociaux et une véritable prise de conscience.
Internet n’est garant de la réputation numérique de personne
Les internautes guinéens ou ‘‘facebookeurs’’ tardent à intégrer cette donnée. La mémoire d’Internet est illimitée et nos publications nous suivent toute la vie. Certes les réseaux sociaux sont un espace de libre expression, mais il apparaît utile que chacun veille sur les contenus qu’il publie. Internet ou Facebook n’est pas notre allié dans la construction de notre e-réputation, nous sommes les seuls responsables de nos propos et publications. Les informations mises en ligne sont difficilement supprimables (peuvent l’être mais des traces resteront dans des copies de sauvegarde) et peuvent être très gênantes ou même coûter chers à un moment donné de notre vie. C’est malheureusement le cas des personnes impliquées dans la vidéo obscène (Sextape) qui a circulé sur Facebook.
Une prise de conscience nous semble de mise d’autant plus que la législation guinéenne ne prévoit aucune mesure spécifique d’encadrement des contenus qui circulent sur les réseaux sociaux.
La régulation d’internet, une nécessité pour les pouvoirs publics
La régulation consiste à réglementer, contrôler et à sanctionner. Pour ce faire, le préalable pour toute régulation sérieuse reste la mise en place des textes juridiques spécifiques qui seront à même de couvrir les abus sur internet et d’y prévoir des sanctions. Mieux l’État guinéen doit bâtir un modèle de régulation d’internet propre. Les expériences étrangères dans ce sens peuvent être d’un grand apport pour les pouvoirs publics guinéens. Nous en avons décelé trois :
– La régulation publique : c’est le mode en vigueur au Canada. Il consiste pour l’État ou tout autre personne publique (telle la Haute Autorité de la Communication-HAC-) de jouer un rôle actif dans la régulation de l’internet en posant des principes, droits et obligations qui constituent les règles de jeu que chaque internaute doit respecter dans le cyberespace. La personne publique devient ainsi ‘‘l’arbitre’’ en censurant des données qu’elle jugera contraire à la législation. Cela suppose que l’État devienne un fournisseur d’internet comme le sont les opérateurs téléphoniques aujourd’hui en Guinée.
– L’autorégulation : ce mode de régulation consiste pour l’État de donner aux professionnels du secteur ou aux fournisseurs d’internet en Guinée (les opérateurs téléphoniques) de réglementer, contrôler et de sanctionner eux-mêmes directement. Les professionnels du secteur pourront ainsi s’autoréguler en l’absence de toute intervention de l’État et seront ainsi ‘‘les censeurs de l’internet’’, il leur reviendra donc d’intercepter toutes les données contraires aux textes juridiques en vigueur.
– L’emploi des logiciels de filtrage des informations : c’est une solution alternative que propose la Cour Suprême des États-Unis (arrêt 26 Juin 1997) que peut utiliser l’autorité de régulation en vue soit de bloquer des données ou sites indésirés ou de sélectionner des sites consultables.
Enfin ces méthodes non exhaustives de régulation sont des pistes pouvant permettre aux autorités publiques guinéennes d’avoir un œil sur internet en vue d’une meilleure protection juridique des internautes. Mais elles ne doivent pas consister en des mesures liberticides.
HABA Maxim,
Master Droit Public(France)
BIBLIOGRAPHIE :
1) J. Larrieu, Droit de l’internet, 2e ed., Ellipses ,2010
2) F. Mattatia, Internet et les réseaux sociaux. Que dit la loi, 2e édition, Eyrolles, 2015
3) C. Vier, L’internet et le droit. Droit français, européen et comparé de l’internet, Actes du colloque organisé par l’Ecole doctorale de droit public et de droit fiscal de l’Université Paris, Légipresse 2000