Le jeudi 23 mars dernier, Toumba Diakité était pour la première fois devant le pool des juges constitué pour instruire le dossier du 28 septembre. Son avocat Me Paul Yomba Kourouma a bien voulu faire un état des lieux de la procédure d’instruction dans cette interview accordée à notre reporter. Dans la même foulée, l’avocat dénonce le communiqué du ministère de la Justice qui s’insurge contre les commentaires qui fusent sur l’évolution du dossier du 28 septembre.
Bonjour Me Kourouma, votre client était pour la première fois devant le pool des juges. Comment ça s’est passé?
Me Paul Yomba Kourouma : Effectivement, Toumba a comparu devant le pool des juges d’instruction pour être interrogé sur le fond de cette affaire, sur les accusations portées à son encontre. Comme vous le savez, Toumba est rentré pour se décharger, pour dire sa part de vérité. Il a comparu devant des juges expérimentés, qui possèdent la maîtrise. Ils marchent comme sur des œufs et font preuve de beaucoup de finesse, de sobriété et de professionnalisme. A côté d’eux aussi, il y a le procureur de la République près du TPI de Dixinn, M. Sidy N’Diaye qui œuvre beaucoup au respect des droits de la défense et au respect de la légalité. C’est dans cette atmosphère sereine que l’interrogatoire de Toumba Diakité a eu lieu, et Toumba a fait preuve de beaucoup de maturité. On l’a trouvé très serein, très courtois, respectueux de ces juges avec une très grande fertilité de mémoire. Il a expliqué les faits comme s’ils venaient de se dérouler. Toumba donc, est venu dire que l’heure de la vérité a sonné, et qu’il relatera les faits tels qu’il les a vécus, tels qu’ils se sont présentés à lui ce jour sombre du 28 septembre 2009.
Est-ce qu’on peut savoir, quels sont les chefs d’accusation retenus contre Toumba?
Ils sont nombreux. Il est accusé d’assassinat, de violence sexuelle, de détention de matériels de guerre de première génération, de viol, de pillage, d’incendie volontaire, de destruction d’édifices. Au moins, c’est une panoplie de 14 inculpations.
Qu’a-t-il dit par rapport à ces accusations?
L’instruction est secrète. Mais Toumba a essayé de démontrer, de dire aux juges qu’il n’a participé ni de près, ni de loin à cette affaire. Il a fait beaucoup de révélations. Je crois que c’est le moment de garder une grande discrétion autour de ce qu’il a dit. Parce que c’est très nécessaire à la manifestation de la vérité. Nous craignons aussi que les personnes indexées ne prennent la clé des champs, ou n’utilisent d’autres subterfuges.
Est-ce qu’il y a eu un changement dans les conditions de détention de votre client?
Il n’y a eu aucun changement dans l’amélioration des conditions de séjour de Toumba à la maison centrale en dépit des promesses de l’autorité de lui accorder quelques commodités. Nous, nous disons qu’il s’agit d’une mauvaise foi de nos autorités, car elles ne sont pas à ces meubles prêts. L’arrivée de Toumba n’était pas du tout préparée par nos autorités. Et nous avons dénoncé que son site ne devait pas être la maison centrale de Conakry. Mais la liberté, la mise sous contrôle judiciaire comme ses co-inculpés. C’était là le principe. A la rigueur, on devait l’admettre dans une chancellerie étrangère de la place.
Quelle sera la suite après cette audition devant le pool de juges?
L’instruction n’est pas terminée. Elle suit son cours après 5 heures d’interrogatoire. L’interrogatoire a été suspendu pour être repris le mardi à 10 heures.
La tentative d’assassinat contre Dadis figure-t-elle dans les chefs d’accusation?
Cette affaire ne figure pas à l’ordre du jour. Elle ne fait pas l’objet de poursuite, et n’a jamais été évoquée.
Un procès est-il possible sans la présence des autres inculpés qui vivent à l’extérieur?
Toutes les personnes concernées par cette affaire devront nécessairement être à Conakry, si l’on veut réellement la manifestation de la vérité dans cette affaire. L’un d’entre eux a déjà manifesté la ferme volonté de venir. Mais il se heurte à un manque de volonté politique, à des barrières humaines et institutionnelles infranchissables. Mais son arrivée finira par devenir une réalité. Parce que l’heure du procès a sonné. Le peuple a tant attendu et veut connaître ses bourreaux.
Que pensez-vous du communiqué du ministère de la Justice qui vise à ‘’restreindre’’ la communication dans cette affaire ?
Le communiqué du ministère de la Justice n’est ni plus, ni moins qu’une grave violation des droits de la défense et la liberté des citoyens à faire connaître ce qui semble à leurs yeux être de l’arbitraire, quand on sait que Toumba n’est pas le seul à avoir été cité dans cette affaire. Il est poursuivi en même tant que les autres, mais c’est lui qui croupit en prison. Qu’il y ait eu plusieurs morts, que les gens ne puissent connaître les tombes de leurs proches, n’ont pu leur offrir un enterrement digne, et qu’il y ait eu des centaines de disparus, alors que l’on vienne museler cette couche pour la réduire encore au silence. Alors que l’affaire est à l’ordre du jour, je me dis que l’autorité veut couvrir tout simplement à travers ce communiqué ses protégés, perchés à des hauts degrés de responsabilités dans l’appareil d’Etat.
Cette ère est complètement révolue dans cette affaire. Les langues se sont déjà déliées. Nul ne connaît le fond de ce dossier, l’on ne peut parler vu le secret de l’instruction. Tout ce que les citoyens disent, c’est ce qu’ils ont vécu, vu, entendu. C’est encore la limitation de vous-mêmes, vos droits à l’information. C’est vous dire tout l’Etat de santé de notre démocratie, de l’Etat de droit dont les fondements sont sapés.
Et vous voyez encore l’interférence de l’exécutif dans cette affaire. Cette affaire, elle est évoquée, on ne peut plus la rattraper autrement. Le procès de ces gens, c’est le procès de la société. C’est le moment pour les Guinéens de savoir comment nous sommes gérés. Et pourquoi voudrait-on masquer la manifestation de la vérité en empêchant des volontaires au retour d’être au pays, c’est inéquitable.
Votre confrère sénégalais Me Diop dénonce une violation des lois sur l’extradition de Toumba ? Quel est votre point de vue ?
Notre confrère Me Diop est un grand défenseur des droits de l’homme, de la légalité, qui, avec beaucoup d’abnégation a assuré la conduite de cette extradition. Il a empêché, pas parce qu’il ne voulait pas que Toumba vienne, mais que cette extradition ait lieu dans les règles de l’art en respectant des lois édictées au Sénégal, de la procédure de stipulation même du décret. L’Etat sénégalais a violé le décret qui était révolu, périmé du fait du retard de nos autorités à aller chercher Toumba au Sénégal.
Il a exercé un recours devant les autorités sénégalaises. Mais Toumba a été arraché des autorités sénégalaises. Cette attitude équivaut à une expulsion, à un enlèvement, à un opprobre jeté contre la justice sénégalaise. Dans cette affaire, c’est la politique et les relations entre Etats qui ont prévalu sur le droit sur la légalité, sur la justice.
Entretien réalisé par Sadjo Diallo