Le prĂ©sident de l’Union des forces du changement -UFC-, M. Aboubacar Sylla est lâun des leaders qui Ă©tait prĂ©sent le 28 septembre 2009 au stade du mĂȘme nom. Dans un tĂ©moignage fait face Ă ses militants lors dâune rĂ©cente assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale hebdomadaire de son parti, lâancien ministre de la Communication est revenu sur cette folle journĂ©e du 28 septembre. De la prĂ©paration Ă lâaboutissement de la marche, ainsi que la rĂ©pression exercĂ©e sur les leaders politiques et les jours qui ont suivi, tout a Ă©tĂ© abordĂ© par l’opposant qui, Ă lâĂ©poque, Ă©tait le prĂ©sident de la commission communication des forces vives.
Les raisons de la marche
« On a dĂ©cidĂ© de se lancer dans les manifestations parce que nous avons vu venir la candidature de Moussa Dadis Camara. Alors qu’il sâĂ©tait engagĂ© devant tout le monde Ă ne pas ĂȘtre candidat. Il sâest engagĂ© Ă ce quâaucun membre de son gouvernement ou du CNDD ne soit candidat et sur cette base, les forces vives ont dĂ©cidĂ© de faire un partenariat avec le CNDD pour aller jusquâau terme de la transition. Mais quand on a vu quâil Ă©tait en train de violer sa parole, on a dĂ©cidĂ© donc de faire une manifestation au stade du 28 septembre, câĂ©tait un simple meeting. On a dit quâon voulait juste manifester et montrer Ă la face du monde que les forces vives et les GuinĂ©ens en gĂ©nĂ©ral Ă©taient opposĂ©s Ă toute candidature dâun membre du CNDD. »
La veille de la manifestation
« Le CNDD a commencĂ© Ă travers les medias Ă dĂ©sinformer la population, en racontant Ă 2 jours de la manifestation, que cette derniĂšre est reportĂ©e. Nous avons fait une confĂ©rence de presse Ă la veille de la manifestation, câest-Ă -dire le 27 septembre 2009. La confĂ©rence sâest tenue au siĂšge de Louceny Fall, du FUDEC Ă lâĂ©poque. Deux personnes ont prĂ©sidĂ© cette confĂ©rence de presse. CâĂ©tait Yamodou TourĂ© au nom des syndicats et moi Aboubacar Sylla au nom des partis politiques. Nous avons reconfirmĂ© Ă la presse que la manifestation aurait bien lieu le lendemain, c’est-Ă -dire, le 28 septembre au stade, quelle que soit la position du gouvernement la nuit. Je rappelle, les forces vives ce sont les partis politiques, la sociĂ©tĂ© civile et les syndicats. La nuit, la sociĂ©tĂ© civile et les syndicats se sont rendus chez Jean-Marie DorĂ© qui Ă©tait Ă lâĂ©poque le porte-parole des forces vives pour se dĂ©solidariser, pour dire quâils ne vont pas participer Ă la marche. Alors que la confĂ©rence de presse de la veille Ă©tait coprĂ©sidĂ©e par Yamodou TourĂ© et  moi. Donc, nous on avait rendez-vous le matin du 28 chez Jean-Marie DorĂ© parce quâil Ă©tait Ă Donka, on dit on va marcher Ă pied venir au stade du 28 septembre. »
Le jour-j
« Donc le matin, tous les leaders se sont retrouvĂ©s chez Jean-Marie. Ce dernier, dit ah, il y a un changement. Nous lui avions posĂ© la question, lequel. Il dit les leaders de la sociĂ©tĂ© civile et les syndicalistes ont dĂ©cidĂ© de ne plus participer Ă la manifestation du 28 septembre 2009. Donc, vraiment, il faut quâon revoie, il y a aussi les religieux qui ont promis de venir nĂ©gocier entre nous et le CNDD, je prĂ©fĂšre quâon les attende ici. Nous avons dit quâil nâest pas question quâon les attende, parce quâon a dĂ©jĂ demandĂ© aux populations de sortir, de venir au stade, les jeunes sont en train de sortir, nous nous ne pouvons pas rester assis lĂ , il faut quâon aille avec eux.
Jean-Marie dit alors certains nâont quâĂ partir et dâautres vont rester. Il mâa indexĂ©, il a dit Sylla tu restes avec moi ici. Jâai dit non, je ne reste pas. A partir du moment oĂč je fais partie de ceux qui ont appelĂ© Ă la manifestation, il faut que je parte Ă la manifestation. Donc, Jean-Marie lui, a dĂ©cidĂ© de rester et dâattendre les religieux. Les religieux câĂ©taient lâimam et lâarchevĂȘque de Conakry. Nous, nous avons marchĂ© Ă pied. Tous les leaders, on sâest tenu de Donka pour aller maintenant au stade du 28 septembre. »
PremiÚre péripétie
« Nous sommes arrivĂ©s au niveau de lâuniversitĂ© Polytechnique (Gamal Abdel Nasser), on est tombĂ© sur le cordon qui Ă©tait dirigĂ© par TiĂšgboro Camara. Il nous a bloquĂ©s, il a dit quâon ne passe pas. Alors on a commencĂ© Ă discuter avec lui. Il a dit non, il faut reporter la manifestation, le 28 septembre est une journĂ©e historique pour la GuinĂ©e. Vous pouvez faire la manifestation le 29 ou un autre jour, mais le 28 vraiment quâil nâest pas question. On a dit quâon a dĂ©cidĂ©, câest trop tard. Les gens dĂ©jĂ sont dans la rue et nous attendent, câest mĂȘme mieux de nous laisser tenir le meeting dans un cadre fermĂ© comme le stade du 28 septembre au lieu dâinterdire le meeting, et que les gens se dispersent dans la nature, ça risque de provoquer des troubles. Bref, on a insistĂ©, il nâa pas voulu parce quâil avait des instructions fermes. Mais on est venu lui chuchoter que les jeunes de BambĂ©to, Cosa Ă©taient dĂ©jĂ descendus, ils Ă©taient au niveau du pont de Bellevue. Alors, lorsquâils ont appris ça, ils ont quittĂ©. Ils ont dĂ©mantelĂ© tout le dispositif qui Ă©tait lĂ , les policiers, les gendarmes, ils ont tous quittĂ©. Donc, nous, nous avons continuĂ©  à marcher. Sur lâesplanade du stade du 28 septembre, les jeunes venus de BambĂ©to et consorts nous ont pris et soulevĂ©s. On est restĂ©s lĂ . Nous Ă©tions deux personnes qui Ă©taient devant, câĂ©tait Mouctar Diallo et moi ».
De lâarrivĂ©e au stade
« Nous sommes partis jusquâau niveau du portail du stade. Mouctar me dit bon ! Quâest-ce quâon fait maintenant. Je regarde, je trouve que le portail est ouvert, je dis mais câest ouvert, notre programme câest de tenir notre meeting. Donc, on va rentrer au stade. On a Ă©tĂ© les deux premiers Ă rentrer au stade du 28 septembre. On est montĂ© Ă la tribune. Câest nous qui avions accueilli dans la tribune, Cellou, Sidya, Louceny Fall et les autres. Donc, on est restĂ© lĂ , on ne pouvait pas tenir de meeting. Parce que comme le meeting nâavait pas Ă©tĂ© autorisĂ©, on ne pouvait pas parler, il nây avait pas de sonorisation. Alors, jâai Ă©changĂ© avec Sidya, qu’est-ce quâon va faire maintenant, Sidya dit bon ! Ăcoutez, on va attendre de remplir complĂštement le stade, au moins il y aura des images dâun stade complĂštement plein, aprĂšs on va partir. Donc on Ă©tait prĂȘt Ă partir parce quâon ne pouvait pas sâadresser Ă la foule. »
Des coups de feu à la débandade
« Et puis quelques temps aprĂšs, on entend des coups de feu. On a vu des jeunes tombĂ©s au niveau de la pelouse. On sâest dit quâest ce qui se passe, parce que jamais il nây avait eu un prĂ©cĂ©dent comme ça en GuinĂ©e. Il y a eu maintenant la dĂ©bandade. Tout le monde sâest dispersĂ© au niveau de la tribune. Il nâest restĂ© que 5 leaders au niveau de la tribune, Cellou, Sidya, Louceny Fall, Mouctar et moi. Tous les autres ont fui, se sont dispersĂ©s. Nous qui sommes restĂ©s, nous avons dit que nous, nous sommes des leaders, on est quand mĂȘme reprĂ©sentatifs de lâopinion nationale, on ne peut pas fouir. »
De la tribune Ă la pelouse
« Donc, câest Toumba en personne avec les militaires qui Ă©taient autour de lui qui est montĂ© jusquâĂ la tribune, qui nous a pris pour nous faire descendre sur la pelouse. Jâai commencĂ© Ă sentir quâil y avait, une diffĂ©rence dâapproche quand ils ont pris Sidya au collet, commençant Ă le gifler. Je me suis dit mais câest extraordinaire, câest nouveau en GuinĂ©e. Donc, il insultait, il racontait nâimporte quoi. Ils nous ont alignĂ©s sur la pelouse. On Ă©tait dans un esprit que câĂ©tait peut-ĂȘtre que Dadis voulait nous effrayer, câĂ©tait pour nous prendre et nous amener devant lui pour quâil nous fasse encore ses discours habituels. On sâest dit encore quâon nâen Ă©tait vraiment pas Ă un niveau oĂč on pouvait tuer pour une simple manifestation. Jâai Ă©tĂ© le premier qui a Ă©tĂ© bousculĂ© par un militaire, jâai rĂ©agi violemment, le militaire mâa tapĂ© sur la tĂȘte, jâai encore la cicatrice, jâai eu un flot de sang qui sâest dĂ©versĂ© sur ma tenue, jâai perdu connaissance, je suis tombĂ©. Ils ont pris les 4 autres, ils sont partis avec eux. Je me suis relevĂ© aprĂšs. »
Les premiers soins
« Je suis sorti avec la foule, tout ensanglantĂ©. Les militaires que je rencontrais au lieu de me venir en aide parce que jâĂ©tais gravement blessĂ©, câĂ©tait pour me fouiller les poches. Ils ont pris tout ce que jâavais en poche mĂȘme mes stylos.
Je me suis retrouvĂ© par miracle au niveau de la station qui est en face du stade du 28 septembre. Et câest lĂ que jâai rencontrĂ© lâambassadeur dâAllemagne qui Ă©tait venu avec son chauffeur. Il mâa dit M. Sylla qu’est-ce que vous avez, il mâa vu vraiment jâĂ©tais dans un Ă©tat effrayant. Il voulait mâamener, jâai dit non ce nâest pas la peine, jâai pu joindre mon beau-frĂšre, ils sont en train de venir me chercher. Donc jâai quittĂ©, je suis parti vers la route qui est parallĂšle Ă lâaxe de Donka, la petite ruelle dans le quartier Landreah. Jâai Ă©tĂ© dans une famille, oĂč une jeune femme qui mâa vu, mâa donnĂ© une chaise pour que je mâassoie dans la cour, mais son mari est sorti a criĂ© sur elle, a retirĂ© la chaise et a engueulĂ© la femme. Jâai dit Ă la femme vraiment de laisser. Il y avait un banc Ă cĂŽtĂ©, je me suis installĂ©. Il y a des gens qui mâont amenĂ© de lâeau parce que je ne voyais plus, tellement il y avait le sang, surtout mon visage. Dr Marega, lâactuel dĂ©putĂ© de lâUFDG, qui avait fui au stade aussi je crois, mâa vu dans cet Ă©tat-lĂ , il mâa examinĂ© un tout petit. Et finalement, on est venu me chercher. »
Le lendemain
« AprĂšs jâai fait une confĂ©rence de presse pour expliquer ce que je vous ai expliquĂ© lĂ parce que jâai Ă©tĂ© un peu de cĂŽtĂ© par rapport Ă mes collĂšgues qui ont Ă©tĂ© envoyĂ©s Ă la clinique Ambroise ParĂ©. Eux, ils ont Ă©tĂ© agressĂ©s de nouveau lĂ -bas. Il a fallu que des imams et les archevĂȘques interviennent pour quâon les libĂšre, alors que moi jâĂ©tais dĂ©jĂ rentrĂ© chez moi. »
Exil des leaders
« Beaucoup de nos collĂšgues ont eu peur pour leur sĂ©curitĂ©, ils ont quittĂ© la GuinĂ©e. La plupart, câĂ©tait exilĂ©. Il nâest restĂ© ici que Jean-Marie DorĂ© et moi comme leaders politiques des forces vives. Tous les autres sont partis Ă lâĂ©tranger. Et Ă un moment donnĂ©, Jean-Marie avait voyagĂ©, finalement jâĂ©tais le seul qui reprĂ©sentait les forces vives. Lorsque la mission dâenquĂȘte internationale sâest rendue en GuinĂ©e, sur dĂ©cision des Nations Unies, on sâest rencontrĂ© Ă la maison commune des Nations-Unies. Toutes les forces vives Ă©taient lĂ , et comme jâĂ©tais le seul leader politique prĂ©sent, et câest moi qui prĂ©sidait la dĂ©lĂ©gation. Câest moi seul qui me suis soulevĂ© devant la commission pour relater les faits et les replacer dans leur contexte. Je me souviens quand jâai fini de parler, les Ibrahima Fofana qui est dĂ©cĂ©dĂ©, les Rabiatou ont voulu parler, mais ils ont dit, il nâen est pas question. Sylla a fini de parler, et câest fini. »
Du leader du RPG
« Je rappelle, dĂšs quâon a fixĂ© la date du 28 septembre pour notre manifestation, Alpha CondĂ© a voyagĂ©, sans dire aurevoir Ă personne. Câest aprĂšs quâon a appris quâil nâest plus en GuinĂ©e, quâil a voyagĂ©. Donc, la manifestation sâest dĂ©roulĂ©e Ă son absence, mais on Ă©tait au stade avec les Mohamed DianĂ©, Tidiane TraorĂ©. »
Des propos recueillis  par Sadjo Diallo