À trois ans de la fin du quinquennat du Président de la République, le Pr Alpha Condé, la roue à rumeurs est déjà en marche et tourne à plein régime sur son départ supposé ou vraisemblable du pouvoir. Si le principal intéressé ne s’est jamais exprimé là-dessus de manière explicite, il reste que ses interventions évasives, cavalières et implicites sur le sujet suscitent et alimentent le débat dans l’opinion.
Deux visions aux antipodes sur la question d’un troisième mandat
De nos jours, deux camps diamétralement opposés ont déjà lancé leurs ballons d’essai partisans dans l’atmosphère politique guinéenne pour jauger l’opinion nationale sur la question. Le premier camp estime qu’Alpha Condé devra se délester du pouvoir au terme de son second mandat en se conformant à la constitution. Inversement, l’autre camp souhaite le voir rempiler pour briguer un troisième mandat consécutif; ce qui, du coup, ouvre un autre débat qui s’annonce décisif sur la révision constitutionnelle.
En effet, les thuriféraires du pouvoir qui soutiennent mordicus la thèse d’un troisième mandat, allèguent, à tout vent, que deux mandats présidentiels s’avèrent nettement insuffisants pour permettre à leur leader incontesté de réaliser complètement le programme gouvernemental du projet de société sur la base duquel il a été réélu.
L’un dans l’autre, et au-delà des positions respectives, il sied de noter des intentions sous-jacentes qui sous-tendent la volonté de ces deux camps à soutenir vaille que vaille leurs positions liées ou pas à leurs intérêts égoïstes inavoués ou à celui du parti. Pour le commun des raisonnables de ce parti, Dieu seul sait qu’ils ne sont pas nombreux, l’intérêt du RPG Arc-en-ciel, en tout cas en apparence, demeure la priorité absolue, c’est-à-dire la survie heureuse de leur formation politique, après le dernier quinquennat du Pr Alpha Condé. Si tel est le cas, et que cela se matérialise par la sincérité de leur idéal et des actions concrètes sur le terrain, il n’y a pas de raison que le RPG Arc-en-ciel ne survive pas à son fondateur, le Pr Alpha Condé. Pour l’instant, les vrais enjeux sont relégués au dernier plan des préoccupations de la majeure partie des instances dirigeantes.
Quelle image le Pr Alpha Condé laissera-t-il dans l’histoire?
Pour ce qui est du camp d’en face, celui des caciques du parti présidentiel, qui soutiennent en sourdine, l’hypothèse de son départ à la fin de son mandat, les avis divergent. Si les uns pensent que le départ du Pr Alpha Condé leur ouvrira la porte à sa succession, puisque il faut le dire aussi, la retraite politique probable du Pr Alpha Condé aiguisent l’appétit des prétendants à sa succession, qui tapis dans l’ombre du parti, caressent cette idée légitime depuis longtemps; les autres, quant à eux, se retranchent dans l’idée de le voir quitter en laissant le parti dans de bonnes mains pour la conservation du pouvoir et pour la suite de l’histoire. Cette dernière option implique des préalables en termes d’organisation et d’assainissement des structures du parti, car en l’état actuel des choses, le RPG-Arc-en-ciel mérite inévitablement une cure de jouvence pour se régénérer et se revitaliser dans la perspective des combats futurs.
Ainsi, cette dernière option, considérée plus raisonnable, offre une sortie honorable au président Alpha Condé pour deux raisons : d’abord sur le plan personnel, elle lui permettra de confirmer l’idéal démocratique qu’il a toujours incarné et qui appelle l’alternance politique, le partage du pouvoir et le respect de la légalité constitutionnelle. Agir à contre courant de cet idéal serait interprété comme un reniement de sa propre histoire, un désaveu des principes politiques qu’on lui reconnait. Tout un pari risqué pour ce vieux briscard de la politique guinéenne! Car toute volonté de briguer un troisième mandat serait vulgairement interprétée comme une résolution de se maintenir au pouvoir ad vitam æternam.
Au contraire, s’il acceptait de quitter le pouvoir constitutionnellement au terme de son second et dernier mandat présidentiel, le Pr Alpha Condé laisserait dans l’histoire l’image d’un président atypique. En outre, sur le plan de la morale politique, il apparaitra aux yeux de ses partisans et admirateurs comme un militant au sens propre du terme qui tient à l’intérêt supérieur et à la pérennité de son parti dans le sens du respect des principes de la république et des populations dont il a la charge de diriger vers le progrès et la victoire.
Troisième mandat et risques d’implosion sociopolitique
Un troisième mandat pour le professeur Alpha Condé n’est point un vœu pieux! Même si à l’heure actuelle ce projet reste une simple vue de l’esprit pour certains apparatchiks de la majorité présidentielle, la donne pourra changer avec le temps. Pour concrétiser ce dessein, la révision constitutionnelle reste la clef qui permettra de lever le principal verrou de la limitation des mandats présidentiels consacrée par la loi fondamentale. Dans un contexte d’équilibre précaire de l’unité nationale qui prévaut actuellement en Guinée, toute tentative de modification de la constitution pourrait déclencher une crise politique majeure, exacerber les tensions communautaires et saper dangereusement la paix civile toujours fragile.
Bref, à en croire le climat délétère et explosif qui ne cesse de s’extérioriser au gré des incohérences perceptibles dans les propos et actes incendiaires des instances dirigeantes du RPG Arc-en-ciel sur le terrain, le pire est à craindre pour la suite. L’urgence de la situation n’est plus à démontrer.
Le RPG Arc-en-ciel face au défi de l’avenir
Historiquement, les partis qui ont dominé la vie politique guinéenne survivent tant bien que mal à leurs fondateurs. C’est le cas pathétique du PDG qui ne s’est jamais remis de la mort subite du Guide suprême de la révolution. Pareillement, le PUP, naguère très populaire, n’est plus que l’ombre de lui-même depuis la disparition du Général Conté, et pire, n’arrive même plus à recruter au sein de la population. Qu’en sera-t-il du RPG Arc-en-ciel? A méditer! Comme le suggère le dicton : « qui veut voyager loin et bien ménage sa monture. » Le RPG Arc-en-ciel devrait méditer avantageusement sinon suivre cette pensée pour mettre tous les atouts de son côté.
En politique, le temps est à la fois allié et ennemi. Tout dépend de son utilisation opportune ou inopportune. Les instances ‘’décideuses’’ du parti sont-elles conscientes de l’urgence de la situation? Non, apparemment pas, en raison, sans doute, de l’éblouissement visuel et psychique dont elles sont victimes par l’exercice de la magistrature suprême qui leur semble éternel. Pourtant, tout a une fin peu importe la durée. Faudrait-il que les dirigeants du parti présidentiel et leurs soutiens se réveillent pour faire face aux vrais enjeux qui sont les leurs et agir par des actions concrètes, s’ils veulent réussir dans l’avenir. Pour cela, le doute est permis, car le nerf de ce combat qui est l’argent et le courage d’agir manque malheureusement à ce parti. Faut-il préciser sur cette question que le parti n’a pas de fonds propre conséquent pour prendre les charges liées à l’organisation d’un congrès qui devra définir les responsabilités et les actions pour un meilleur avenir. Là-dessus, entendons-nous que la grosse vache laitière du parti depuis sa création n’a été que son fondateur, le Pr Alpha Condé.
Un congrès national du parti qui se fait toujours attendre…
Ça fait des lustres que le parti présidentiel n’a pas tenu de congrès! Pour tout parti d’envergure nationale, ceci est un exercice collectif et démocratique qui permet de débattre, entre autres, des grands défis et enjeux du moment, d’adopter le programme ou l’orientation du parti en vue des futures échéances électorales et d’élire un nouvel organe directeur. Pourtant, le RPG Arc-en-ciel a changé. Autrefois parti de masse (avec des militants réputés fiers et engagés), le parti est devenu visiblement, le pouvoir suprême aidant, un parti d’élites (de cadres, carriéristes pour la plupart). Cette métamorphose est-elle une évolution normale ou une dérive opportuniste? Poser la question, c’est y répondre.
Les instances dirigeantes actuelles n’ont ni le pouvoir de décider ni les moyens financiers pour faire face aux dépenses liées à l’organisation et à la restructuration du parti qui passent inéluctablement par un préalable : le congrès. Pour cela, leur manque d’indépendance à agir à temps et de manière efficace est un sérieux handicap à leur victoire aux prochaines élections. (…..) Pour que les choses se mettent en branle au RPG Arc-en-ciel, comme toujours, il faut attendre, attendre et encore que le Pr Alpha Condé, tenant les cordons de la bourse, décide ou accepte de débourser de l’argent pour couvrir les dépenses courantes. Or, en sa qualité de président fondateur du parti, doublé de président de la république, les préoccupations du parti et sa gestion au quotidien lui échappent de plus en plus en raison de ce surcroît de responsabilités.
Dès lors, il importe de trouver d’autres sources de revenus pour s’émanciper, un brin, des caprices du président fondateur et s’affranchir de sa bourse. Le parti pense-t-il à une quelconque contribution financière de ses membres pour lever des fonds conséquents en prélude aux échéances électorales ? (…). Un vrai parti politique est censé avoir un budget de fonctionnement pour faire face aux dépenses électives internes de ses propres cadres selon un calendrier préétabli conformément au statut du parti. L’efficacité du parti à mobiliser des fonds pour des réceptions somptueuses ou des bombances n’est plus à démontrer quand on sait que la finalité de ces fêtes est destinée aux poches des profiteurs du parti. À cette allure, le parti devra être inquiet pour son avenir après son deuxième mandat présidentiel.
Eventuellement, le Pr Alpha Condé fait de son départ honorable une volonté cachée, d’autant que la manière et le moment de le faire restent à sa seule discrétion. Il lui revient donc, de motiver par son propre décret, une décision finale, irrévocable, exempte de toute influence partisane face à cette question cruciale. Au demeurant, on pourrait inviter le Pr Alpha Condé à méditer les paroles suivantes du chroniqueur québécois Mathieu Bock-Côté : « En politique, l’homme peut se grandir et s’avilir. Il lui arrive souvent de se grandir et de s’avilir en même temps. »
Fodéba Dioubaté, enseignant-journaliste au Canada
Fodebadioub918@gmail.com