Quand j’ai appris hier, le cœur meurtri, le décès du journaliste-reporter du groupe de presse L’indépendant, Chérif Hamid Baldé, je me suis dit que je lui devais bien cet hommage. Quand on évoque le nom de ce reporter de terrain, il ne s’agit pas simplement d’un homme qui a consacré plus de 25 ans de sa vie à bourlinguer sur les terrains les plus difficiles qu’un journaliste peut affronter ; il s’agit d’une âme pure, sans la moindre once de vanité, d’une personne qui avait compris que, dans cette vie de mirages, la grandeur d’un homme se mesure d’abord et avant tout à son humilité.
Ceux qui ne le connaissent pas, ont dû croiser un jour ce freluquet qui ne payait pas de mine, regard malicieux, lunettes drôles posées sur le nez, qui s’habillait à la manière du héros du film de l’inspecteur Colombo, avec à peu près les mêmes mimiques, extrêmement concentré sous des dehors de distrait. En analysant de près sa personnalité, ceux qui ont un minimum d’expérience se rendaient tout de suite compte qu’ils avaient affaire à quelqu’un de très intelligent, un sacré personnage qui a passé sa vie à rendre service.
Le rouleau compresseur de la vie qui lui est passé dessus n’a jamais réussi à le faire plier : Cherif Hamid Baldé est resté debout et digne, a gardé son sens de l’humour, sa volonté, son dynamisme et sa voix si atypique, rappelant quelque chanteur de jazz. Je me souviens d’une mission périlleuse que nous lui avions confiée – feu Aboubacar Condé et moi (1) -, en 1997, alors que les rebelles du Front Révolutionnaire Uni (RUF), appuyés par des mercenaires libériens sponsorisés par Charles Taylor, maintenaient la pression sur Freetown, la capitale sierra léonaise. Le contexte était difficile et notre raisonnement était simple : avec le climat hostile entretenu par le président libérien dans ses rapports avec la Guinée du général Lansana Conté, la chute éventuelle de Freetown pourrait représenter un très grand danger non seulement (et évidemment) pour la Guinée mais pour toute la sous-région ouest africaine ! L’enfer à nos portes… Comme dans la fable des voleurs et l’âne, pendant que le président Ahmad Tejan Kabbah, harcelé par le RUF, tentait de sauver ses billes, survint à la surprise générale un coup d’état venu de nulle part et mettant en scène un ancien officier évadé de prison : le Major Johnny Paul Koromah. Tout le programme « géostratégique » était chamboulé et il fallait bien entendu y voir plus clair.
Nous avions donc naturellement décidé de programmer un reportage sur ce pan d’histoire qui était en marche chez le voisin capricieux. Quand on a parlé du projet de voyage à Freetown à Chérif Hamid Baldé, il était beaucoup plus impatient que sa rédaction en chef ! Et les choses sont allées très vite. En moins de quelques heures, ses frais de reportage et de séjour en poche, le reporter était déjà sur la route de Freetown ! Avec le recul, je me pose une question terrible : qui d’entre nous, à cette époque, aurait eu un tel courage ?
Ce fut pour Chérif Hamid Baldé une aventure extraordinaire, exaltante mais ô combien dangereuse, et qui lui a valu le surnom de « reporter de guerre ». A son retour à Conakry, il avait non seulement réussi à nous ramener des tranches entières de la vie dans une ville maculée de sang mais, cerise sur le gâteau, le journaliste intrépide avait décroché une interview du chef de la junte militaire Johnny Paul Koromah ! Pour des impératifs rédactionnels, il m’a raconté tous les détails de son voyage, du mini-bus pris où il ne savait pas qu’il y avait à l’intérieur des éléments rebelles, aux affrontements qui se sont déroulés sous ses yeux. Et Chérif Hamid Baldé parlait avec un naturel qui laissait entrevoir une grande force de caractère. J’observais avec grand respect cet homme et admirais son exploit. Ce fut un moment incroyable.
Durant toute notre collaboration, quand je travaillais encore pour la presse locale, j’ai toujours eu avec Cherif qui vient de nous quitter, des rapports cordiaux et fraternels. C’est l’occasion pour moi de tirer mon chapeau à tous ces journalistes « inconnus » qui savent se fondre dans la masse pour garantir une information de qualité. Ils représentent l’âme de ce métier : Chérif Hamid Baldé en était un et c’est la raison de cet hommage.
Mon ami du journal Le Lynx, feu Assan Abraham Keïta, décédé quelques jours avant Chérif en était si conscient qu’il avait développé un talent particulier pour encourager les « éboueurs de la presse ». Assan était grand homme très cultivé, qui vécu à sa manière comme dans une satire, dans son style propre et inimitable. Lui aussi avait réussi à se placer dans notre cœur qui ne saurait accueillir que ceux qui méritent notre respect. En ce moment même, je suis persuadé que Chérif et toi êtes en train de vous moquer de nous qui prenons la vie tant au sérieux, quelque part là-haut où vous avez rejoint tous ceux-là qui sont tombés la plume à la main.
Saliou SAMB
Journaliste, correspondant de l’agence Reuters
NB : Selon son ami intime, Mario Mara, Chérif Hamid Baldé aurait eu 67 ans. Il est père d’un enfant.
- Respectivement rédacteur en chef, et rédacteur en chef adjoint de L’indépendant à l’époque