16 juin 1976 à Soweto, banlieue sud-africaine
Cette date dont on commémore aujourd’hui l’anniversaire est celle d’une des pages sombres de l’Afrique du sud sous le régime injuste et raciste de l’apartheid, terme signifiant «séparation» en afrikaans, langue d’origine néerlandaise. Ce jour-là à Soweto, instituteurs et élèves appuyés par de leaders légitimement investis dans la défense de la cause des leurs battirent le pavé selon les instructions d’un comité d’action pour dire ‘’Non’’ à l’imposition de l’afrikaans comme langue d’enseignement, dont le seul but était la formation d’une main d’œuvre exploitable. Et, Steve Biko, leader de Conscience noire, une des figures emblématiques de la lutte anti-apartheid sera arrêté et torturé en prison jusqu’à ce que mort s’ensuive; aussi dans l’élan du mouvement de protestation et la transcendance de la noblesse de la cause aidant, certains étudiants blancs y adhérèrent et apportèrent leur soutien.
En réaction, les forces de l’ordre -la police, en l’occurrence- dressées et conditionnées à la répression sanglante n’hésiteront pas sur ordre d’un pouvoir foncièrement inique, à tirer sur la foule et une des premières victimes, un élève de treize(13) ans, Hector Pieterson. La photo de cet enfant sans vie et porté par un autre suscita colère et indignation à travers le monde. En souvenir du massacre, cette date du 16 juin est désormais consacrée à la jeunesse sud-africaine -Youth day-, mais aussi dédiée à l’enfant africain depuis 1991, dans l’esprit de la défense des droits. Mais, dans la fièvre de la promotion du livre et l’obstination du président à trouver de traits de ressemblance avec Madiba, la symbolique de la date sera détournée à Conakry. Comment? Marquer cette date par la célébration de la figure de Madiba, sauf son respect, témoigne de la légèreté dans la considération de mémoires et de l’absence de rigueur intellectuelle.
Madiba, l’icône de la lutte anti-apartheid mérite respect aussi bien pour l’exigeante lutte qu’il mena que pour le pardon prôné, appelant ses compatriotes au dépassement de l’esprit vindicatif, privilégiant ainsi l’égalité des droits, la fraternité et la conscience d’une nation arc-en-ciel. Ce pacifiste, partisan de la non-violence à ses débuts, sera obligé par la force des choses, à opter pour une lutte armée, guérilla; considéré de ce fait comme «terroriste», il ne sera retiré de la liste noire des États-Unis qu’en 2008. Ce, malgré qu’il fut Président de la République et bénéficiaire du fameux prix Nobel de la Paix en 1993. Madiba est un personnage historique inspirant, forçant respect et admiration. C’est à juste raison qu’il est adulé à travers le monde, pour ses convictions, son attachement aux valeurs humanistes, à la justice, à l’égalité, à la paix, à la promotion de l’esprit de tolérance. Madiba, ce géant politique au parcours inspirant est d’une forte part d’humanité inconciliable avec les sentiments d’ingratitude.
Honnêtement, il y’a quand même une exagération dans la volonté de récupération de la figure de Mandela. Sans conteste, notre pays épris de valeurs de justice, de solidarité et jalousement attaché à sa liberté, a fièrement soutenu les mouvements de libération sur le Continent dont l’ANC, mais ce soutien au-delà des leaders, était apporté aux Peuples !
Madiba, vivant alors dans la clandestinité, quitte son pays en janvier 1962 sous le nom d’emprunt de David Motsamayi, pour une tournée africaine… avant de se retourner, en juillet 1962. Lors de cette tournée, il a reçu une formation militaire au Maroc dans les camps de l’ALN (Armée de Libération Nationale, bras armé du FLN, Algérie) et en Éthiopie. Il sera arrêté à son retour, le 5 août 62 avec un passeport éthiopien. C’est le lieu de rappeler que d’aucuns soutiennent plutôt crânement qu’il détenait ce jour-là un passeport guinéen? Apparemment, même son «premier» pistolet, le doit-il à notre pays? ‘’Mandela’s first gun’’!
Déguisé en chauffeur et probablement signalé par la CIA, Madiba à son arrestation niera sa vraie identité laquelle, pourtant était précise à la fois chez l’agent de police qui lui présenta un mandat d’arrêt et son collègue au commissariat qui ne cessait de l’appeler Nelson. Madiba lui, insistait sur son nom d’emprunt : David. Ironie de l’histoire, le prénom ‘’Nelson’’ qu’il refusa de reconnaître lui a été dédaigneusement attribué à l’école par une institutrice blanche. Ce prénom, sa mère habituée à l’authenticité africaine, ne sut jamais l’articuler, à bien le prononcer.
En vérité, notre pays n’était pas le seul à attribuer un passeport diplomatique à Madiba; même l’ancien président sénégalais, L.S.Senghor, qu’une grande partie de l’opinion ne soupçonne porté aucune fierté africaine, lui en procura aussi. La formation militaire de Mandela et compagnons de lutte a été aussi incontestablement l’œuvre d’autres pays, au nombre desquels le nôtre. Devoir de gratitude. Madiba, pour manifester sa reconnaissance aux pays africains, n’a pas attendu de recouvrer la liberté, en février 1990. Il l’a d’abord clamée haut et fort à l’occasion du procès dit de Rivonia octobre 1963- juin 1964 où, il assura sa propre défense. Et, nous ne sommes pas peu fiers de découvrir qu’au nombre des Présidents -par ricochet, les Peuples- cités, figurait notre feu Président Ahmed Sékou Touré, panafricaniste dans l’âme.
Six (6) ans après la mort du Camarade Sékou Touré, l’homme n’était pas en odeur de sainteté dans son pays; sa famille biologique et politique en pâtira et ce pan de notre passé récent fait aujourd’hui partie de l’épineuse question de l’unité nationale. Ce climat d’hostilité, objectivement, ne pouvait encourager Madiba de s’y rendre. Mais, l’expression de la reconnaissance, puisqu’elle est de l’ordre de devoir moral, se fera. D’abord à Abidjan, par cette chaleureuse rencontre empreinte de cordialité, d’intense émotion et de souvenirs entre Hadja Andrée et l’icône de la lutte anti-apartheid; ensuite en 2005, avec l’attribution de prix à titre posthume à Ahmed Sékou Touré, en guise de remerciement pour notre noble contribution; enfin, le sens du devoir obligera le peuple sud-africain à témoigner directement sa reconnaissance à notre peuple, car en juillet 2006, c’est le président Thabo Mbéki qui se rendit à Conakry, et l’élan de gratitude mêlé de curiosité, l’amènera à poursuivre sa visite jusqu’à Kindia d’où, avec émotion, il découvrit les traces de passage des militants de l’ANC, au nombre desquels son père, Govan. C’est à tort donc, que certains de nos compatriotes cependant de bonne foi, traitent l’homme d’ingrat.
Madiba ne fut pas ingrat et nous continuons à lui vouer respect pour son combat. Mais, la rigueur nous oblige à soutenir qu’il pouvait autrement être célébré en Guinée que par l’érection d’une statue, par ailleurs détournée et cyniquement exploitée pour fouetter l’orgueil du président. La date qui consacre les douloureux événements du 16 juin, mérite-t-elle d’être appréciée avec gravité et le sens des responsabilités commande d’éviter tout mélange des genres.
L’honneur de la promotion du livre, par extenso de l’éducation simplement, fait à notre pays, suscite chez nous, de la fierté. Cependant, sauf à vouloir faire une entorse à la logique intellectuelle et au bon sens, sinon, la symbolique est mieux incarnée par Hector et les braves instituteurs inspirateurs du refus. Dans cette logique donc, Madiba, sauf son respect, n’est pas concerné. Loin de toute manifestation chauvine, ce symbolisme est aussi vivant dans notre histoire; et, d’autres mériteraient mieux que Madiba et celui qui mime, notre président.
Hector, un enfant de treize(13) ans, tombé sous les balles de la police. Hector, symbolique pour la jeunesse de son âge, pour le sens de la lutte menée, pour les circonstances douloureuses de sa mort sur le chemin de l’espoir, du savoir donc de la lumière. Hector, parce qu’il a été arraché à notre affection dans la lutte pour l’avenir. Hector, ils t’ont refusé la part de contribution de notre peuple au respect de l’humanité, à l’exigeante promotion de la justice, au vertueux attachement à l’égalité, à la considération du savoir et à l’hospitalité due à celles et ceux investis à sa recherche.
Sûrement sous influence, le commissaire général du mandat ‘’Conakry Capitale mondiale du livre’’, Sansy Kaba aura contribué au détournement de l’esprit caractéristique de l’événement culturel par le mélange des genres, en y associant intérêt multinationale et motivation politique. Nous nous risquerons de soutenir que l’histoire nous apprendra que le professeur est l’inspirateur de ces monuments. N’est-ce pas qu’il est de notoriété publique que de manière presque obsessionnelle, notre président a toujours forcé les traits de ressemblance de destin avec Madiba ? Et, cela ressort manifestement dans l’érection de ces monuments. Remarquez, que tout y est pour cultiver le culte de la personnalité, la sienne en l’occurrence.
Les œuvres artistiques s’expliquent, car l’inspiration s’explique. Stéphane Cipre, l’artiste français est tenu par ce devoir d’explication de ces monuments dont il en est le réalisateur. D’ailleurs, que sait-on du coût de réalisation et de la contre-partie possiblement fiscale -ou autre- à la «généreuse donatrice» multinationale SMB-WAP?
M.Fadi Wazni président du Conseil d’Administration du consortium abondant dans notre sens reconnaît que «Ce sont des œuvres qui ont une signification très importante de par leur conception», et poursuit-il «mais pour nous SMB-WAP, elles ont une toute autre signification. Parce que la matière première qui a été utilisée, l’aluminium provient de la bauxite de Guinée ». L’argument relatif au symbolisme de la bauxite, matière première, constitutive des monuments est léger et suscite plutôt des interrogations voire des inquiétudes. C’est une belle feinte! Question : en quoi ces œuvres ont-elles une signification très importante par leur conception? Le diable est dans les détails!
Tous les deux monuments participent du culte de la personnalité du président et leur relation est incontestable. Le premier malgré la figure de Madiba, symbolise un modèle qui restera dans l’imaginaire collectif associé à son image comme sa source d’inspiration; et le second à son effigie, contrairement à l’image renvoyée vient établir la relation avec la figure de Madiba. Obsessionnel!Remarquons que les barreaux sur l’image du président ne sont pas là à de fins esthétiques, mais symbolisent plutôt les barreaux de prison et apparaissent comme une réplique du monument de l’artiste sud africain, Marco Cianfanelli, à Howick sur les lieux de l’arrestation de Madiba -46664 sera son numéro matricule. Certains détails peuvent paraître banals mais ils sont le fruit d’une construction consciente, savante. À Howick, deux(2) monuments sont érigés sur les deux(2) côtés de la route à la gloire de Madiba, exactement comme à l’entrée de Kaloum. Même la mention ‘’I’ve a dream’’ du pasteur King n’est pas innocente et est là pour rappeler que le président a combattu pour les ‘’droits des noirs’’ à la Feanf -Fédération des étudiants d’Afrique noire en France-, dont il fut un des présidents.
L’homme a un goût pour le symbole. À sa première investiture en 2010, fièrement et ostensiblement, nous avions eu droit à un bref exposé sur la jarre symboliquement trouée, logo de fédération. Il rappellera d’ailleurs qu’il est le premier président de la Féanf à devenir Président de la République. Mais, ce passionné et amoureux de l’Afrique préférera quand même une littérature étrangère à celle africaine, un patrimoine littéraire, intellectuel et plein de sagesse pourtant : les citations sur le monument à son effigie cacherait mal -la fatalité de- notre dépendance intellectuelle.
Citoyen,
PENDESSA A.
18 juillet, haapy birthday to you our Madiba !