Censure

Un enseignant demande l’annulation du baccalauréat pour la dignité de la république: Lettre ouverte au ministre Konaté

Monsieur le ministre,

Lorsque cette lettre vous parviendra, j’aurai le sentiment d’avoir accompli, peut-être au risque de ma vie mais par loyauté à la république, un devoir des plus nobles de ma citoyenneté de guinéen. Parlant de loyauté justement, il m’a été donné de constater que la république court à sa perte et que sa ruine est en train d’être ensemencée par ceux qui devraient la bâtir. Je n’ignore pas tant soit peu, que de nombreux compatriotes n’ont pu vivre heureux qu’en voyant la république poignardée gisant dans le sang de ses bourreaux. Or, comme le dirait l’autre, « le mal ne triomphe que par l’inaction des hommes de bien ». L’importance des propos que je transcris dans ces lignes, traduit ma volonté d’agir pour le salut, espéré ou hypothétique, de la république.

Monsieur le Ministre, j’ai décidé de vous écrire cette lettre pour dénoncer la parodie de baccalauréat qui vient d’être organisé en république de Guinée et qui fait la honte d’un pays déjà empêtré dans une situation polico-sociale scandaleuse. Le baccalauréat est le diplôme le plus important de l’enseignement pré-universitaire et son organisation répond du besoin de préparer la jeune génération à continuer l’œuvre de construction de la république. A voir ce qui s’est passé, il semble que cet objectif soit perdu d’avance.

Le déroulement du baccalauréat nous a replongés dans un passé si proche et si décrié qu’on n’eut pas cru qu’il reviendrait de sitôt. Et pourtant oui, il est bien là et son évidence frise le sabotage.

Le premier constat qu’il nous a été donné de faire de ce pseudo baccalauréat, c’est l’usage de téléphones à une échelle qui provoque des suspicions. Dans les salles d’examen, des candidats ameutés, ont systématiquement utilisé des appareils pour recevoir par ce moyen les traités des épreuves auxquelles ils étaient soumis. Quid des surveillants qui ont renoncé à faire rigueur après avoir été menacés, ou lorsqu’eux-mêmes, dans bien des cas, étaient de la longue chaine de complicités, qui fera l’objet d’une partie de cette lettre.

Les comités de rédaction autour des centres d’examen étaient insensés du temps du feu Général Lansana Conté. Leur retour l’est tout aussi. Cette fois, cela a bien repris, sonnant le glas des six dernières années qui ont connu des centres d’examen sans attroupement. Les premiers responsables de cette résurrection sont les   fondateurs d’écoles privées qui ont décidé de ne plus continuer à perdre la manne que leur versent les parents d’élèves en concédant de mauvais résultats au baccalauréat. C’est donc à leur solde qu’ont été préparés et financés les fameux groupes de Rédacteurs, c’est-à-dire ces enseignants dont le zèle iconoclaste, a prostitué la profession et qui se complaisent à se faire trimer leur conscience à coups de billets de banques.

J’en viens maintenant, Monsieur le Ministre, à la pratique la plus abjecte que cette session du baccalauréat a remise au goût du jour. Le photocopiage en masse des sujets traités par les rédacteurs, distribués aux candidats. Quoi de plus normal ? Pourquoi y aurait-il des comités de rédaction si les auteurs de ces actes répréhensibles n’étaient pas assurés de pouvoir atteindre leur objectif ?

Monsieur le Ministre, nul homme d’Etat ne saurait réussir sans la loyauté de ses collaborateurs. Et d’ailleurs, si je pus m’exprimer autrement, la réussite de l’homme d’Etat se fait à son insu.  Je voudrais évoquer par ces mots la question des complicités inadmissibles qui ont mis un voile ténébreux sur la qualité de cet examen.

Je ne peux faire une induction amplifiante de ce que je dis, mais je sais en même temps que la tendance a été générale. Ce sont les agents examinateurs qui ont trahi la république en se faisant complices des candidats fraudeurs. Pourquoi les candidats d’un centre d’examen porteraient en triomphe un délégué et les surveillants à la fin de la dernière épreuve de baccalauréat ? Pourquoi des candidats ont fait la fête durant de longs moments comme s’ils avaient déjà été déclarés admis au baccalauréat ? Pourquoi certains surveillants ont été menacés, insultés ou hués alors que d’autres étaient devenus des héros, l’instant d’une fin de baccalauréat ?

Les réponses sont simples : c’est parce que les délégués et les surveillants ont participé à la tricherie. Et les facilités accordées par certains surveillants et délégués, rapportées par des candidats à leurs camarades des autres centres ont été à l’origine des cas de révolte comme à Kaloum où les examinateurs ont été séquestrés par les candidats pour revendiquer leur droit de frauder.

Monsieur le Ministre, ce dont la description précède m’amène à vous demander de prendre vos responsabilités politiques et sociétales pour sauver la nation. L’avenir d’une nation dépend des décisions courageuses de ses gouvernants. Vous avez récemment affirmé, lors d’un passage à Mamou, que par le passé, « …Nous les enseignants, les parents d’élèves, nous avons triché et trahi nos propres enfants ». Au vu de ce qui s’est passé, avez-vous le sentiment que la trahison soit terminée ? Sans doute non. C’est pourquoi vous devez ne plus donner libre cours aux consciences médiocres qui ternissent l’image de votre département et de toute la république. Vous faites face à une situation historique, qui appelle à une décision tout aussi historique, qui déterminera la trajectoire de votre séjour à la tête du département de l’enseignement pré universitaire. Vous êtes attendus et la décision que vous prendrez ou même si vous décidez de ne rien faire, de fermer les yeux, tout cela est scruté. Sachez seulement que l’audace réussit aux hommes honnêtes et que nul ne saurait être fier de ses turpitudes. Pour ma part, je vous demande d’annuler cet examen pour la dignité de la république. Ainsi l’histoire retiendra de vous l’image de l’honnête homme qui a voulu servir dignement son pays et son peuple en agissant dans la vérité et par honneur. Le devoir de chacun le justifiera.

Denis Gamy,

Professeur,

Certifié du Projet Rajeunir et

Féminiser l’Administration,

Master 2 en Gestion des

Systèmes Educatifs de

L’Université d’Alexandrie

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