Des réformes éducatives, politiques et économiques sont nécessaires en Guinée. C’est l’avis de M. Bah Oury, vice-président « exclu » de l’Union des forces démocratiques de Guinée. Dans cette interview accordée à votre semainier, il évoque ses ambitions pour son parti et une opposition plus dynamique, avec des nouvelles idées qui vont permettre au pays de sortir de l’ornière. Il promet aussi de relancer son opération de quête de fonds lancée, il y a juste quelques semaines, pour financer son mouvement »UFDG, Renouveau ». Lisez.
Le débat politique en Guinée est en train de se rabaisser de jour en jour à travers des discours ethnocentriques ou régionalistes. Quelle lecture faites-vous de cela M. Bah?
Bah Oury: Moi, je pense que les débats politiques ne sont pas en train de se rabaisser. Mais ce que vous constatez montre qu’il y a des acteurs politiques qui sont déphasés par rapport à l’évolution de la situation sociologique de la Guinée d’aujourd’hui. Et comme leurs références politiques ou idéologiques, c’est seulement l’ethnocentrisme pour ne pas être complètement éjectés de la scène politique. Ils ont recours à ce qu’ils ont l’habitude de faire. Et donc c’est un progrès contrairement à ce que vous pensez parce que la société guinéenne est en train de dépasser ce débat ethno-stratégique qui a perduré depuis le début de l’indépendance. Parce qu’il y a des questions nouvelles, parce qu’il y a un cycle politique nouveau avec des acteurs nouveaux.
Je prends l’exemple de votre génération. Vous êtes des générations de réseaux sociaux. Il n’y a plus de clivage entre telle et telle région, tel est de telle religion, tel est de telle ethnie. Il y a des familles virtuelles qui se créent des amitiés virtuelles qui transcendent les considérations sociales, ethniques, et religieuses. Vous baignez dans cette atmosphère qui a fait éclater les frontières à tous les niveaux. C’est ça la vraie scène politique, la vraie scène politique, c’est-à ce niveau-là. Donc les gens qui sont dans l’ancien climat politique veulent ressurgir ces débats pour exister. Donc, ils ont des problèmes à ce niveau-là. Donc de ce point de vue, je pense que c’est une évolution qu’il faut noter et le débat ira de plus en plus avec d’autres chantiers, d’autres motivations, d’autres références et une autre classe politique est en train d’être condamnée à sa disparition.
je ne veux pas être dans un schéma où on nous enferme dans les anciennes frontières des partis
Nous avons appris que M. Bah souhaite se présenter aux élections communales sous la bannière de l’UFDG, alors que vous n’êtes toujours pas en odeur de sainteté avec votre famille politique. N’est-ce pas un forcing?
Non, je suis en bonne odeur de sainteté avec ma famille politique. Mais il y a un petit clan qui a pris en otage l’UFDG et qui veut coûte que coûte imposer ses façons de faire et à l’ensemble aussi bien de l’UFDG que d’autres institutions politiques qui sont en place dans le pays. Mais de ce point de vue, je ne m’inquiète pas outre mesure parce que j’ai le soutien d’une large base politique importante.
Et puis, ce qu’il faut noter que je ne veux pas être dans un schéma où on nous enferme dans les anciennes frontières des partis. On veut aller de l’avant, on veut accompagner une dynamique de renouvellement en profondeur de la classe politique guinéenne. Donc j’ai des partisans dans l’UFDG. Le courant politique incarné par Bah Oury est très présent à l’intérieur de l’UFDG. Mais, ce courant politique ne s’arrête pas seulement au niveau de l’UFDG. C’est ce schéma-là que nous sommes en train de construire pour aller vers d’autres horizons beaucoup plus larges que les frontières actuelles de l’UFDG. Donc je n’ai pas d’inquiétude en la matière.
Personnellement je n’ai pas dit que je serai présent, mais j’encourage la mise en place d’équipes un peu partout pour apporter la rénovation indispensable dont la scène politique guinéenne a besoin. Pour les élections communales, je n’ai pas encore arrêté ma philosophie sur la question et puis, il faut que j’en discute avec les partisans parce que j’estime qu’il y a beaucoup d’autres choses à faire. Et je ne veux pas être dans ce cadre-là, être obligé d’avoir beaucoup de casquettes au risque d’abandonner l’essentiel.
Alpha Condé à des mouvements de soutien en Forêt, en Haute Guinée, en Basse Côte. Pourquoi n’en aurait-il pas en Moyenne Guinée?
De plus en plus des mouvements se créent en Moyenne Guinée en soutien au président Alpha Condé. Quelle lecture faites-vous de cet engouement ?
Bon ! Pourquoi ça pose problème? M. Alpha Condé à des mouvements de soutien en Forêt, en Haute Guinée, en Basse Côte. Pourquoi n’en aurait-il pas en Moyenne Guinée? Donc c’est tout à fait normal, comme il est tout à fait normal. Tout acte politique majeur de la scène nationale est un soutien dans toutes les régions du pays. Et donc, le président de la République qui est en situation de responsabilité, il ne faudrait pas s’étonner qu’il puisse avoir des soutiens aussi bien en Moyenne Guinée qu’ailleurs.
L’axe Hamdallaye-Enco5 est convoité par les politiques. On assiste de plus en plus à des tentatives de récupération, et chez l’opposition et chez la majorité présidentielle. Il paraît que M. Bah y a placé ses pions. Qu’en est-il ?
Bon ! Vous savez croire que quelqu’un peut s’imposer au niveau de l’axe Hamdallaye jusqu’à maintenant au niveau de l’axe cimenterie pour des considérations purement politiciennes, il se trompe. Il faut connaître l’histoire de cet axe et se rendre compte que les jeunes qui sont nés et qui ont émergé autour de cet axe sont entrés dans la scène politique parce qu’ils étaient les victimes principalement de la destruction de Kaporo Rails. La plupart d’entre eux, c’étaient des enfants des familles qui ont été complètement détruites par la démolition de ce vaste quartier de Kaporo-rails. Et du jour au lendemain, les enfants se sont retrouvés fortement dans la rue. C’est cette révolte qui est la base de l’engagement politique de beaucoup de jeunes de Hamdallaye jusqu’à la cimenterie aujourd’hui.
Et donc c’est une génération de jeunes gens qui étaient descendus dans la rue, dans les années 2006-2007 pour le changement, pour une action positive pour toute la Guinée. Ils ont payé un tribut très lourd. Et de ce point de vue, cet axe est devenu l’axe politique le plus actif dans notre pays. Et symbolise la quête d’une jeunesse qui aspire à un profond changement, qui aspire à la modernité, qui aspire au progrès mais qui est engluée dans le chômage, dans le déclassement social. De ce point de vue pour avoir cette génération d’acteurs politiques nouveau, il faut proposer un projet qui puisse les conforter d’être des citoyens à part entière, d’avoir de l’espoir pour l’avenir et de pouvoir résoudre les demandes sociales qui sont presque le chômage, disons le logement etc. la plupart d’entre eux, la question de logement, ceux qui étaient actifs dans les années 2000 ont pratiquement plus de 30 ans. Ils doivent se marier, ils n’ont pas de logement, pas de travail. Qu’est-ce que vous voulez qu’ils deviennent ?
Donc, c’est extrêmement important de ne pas se tromper de chemin et de savoir que l’axe Hamdallaye-cimenterie si quelqu’un veut avoir une implantation solide à ce niveau-là, il faut aller de manière concrète vers la résolution des graves demandes sociales qui se posent à cette majorité de la population. Et bon si je suis très présent là-bas, c’est parce que beaucoup d’entre eux estiment que je les ai toujours accompagnés depuis très longtemps pour aller vers disons un avenir meilleur et nous continuerons d’y aller. Je souhaite que beaucoup d’entre eux deviennent les leaders dont principalement la commune de Ratoma aura besoin pour les prochaines communales.
Vous aviez à un moment lancé une opération de quête de fonds en faveur de votre parti. Où en est-on aujourd’hui dans la mobilisation de ces fonds ? Quelle est la somme récoltée à ce jour?
Avec le mois de Ramadan qui avait coïncidé avec le lancement de cette campagne de collecte pour le mouvement ‘’UFDG renouveau’’, nous allons relancer la campagne de manière beaucoup plus systématique à partir de la semaine prochaine. Parce qu’au-delà de tout, la question de démocratie est liée à la question du financement des activités politiques. Il faudrait que les militants et les sympathisants se rendent compte que le mouvement ait les idées qui sont avancées. C’est pour eux, pas pour l’ambition d’une seule personne. Donc, il faudrait de ce point de vue qu’ils apportent leur part pour permettre au mouvement d’assurer son autonomie, d’assurer son indépendance et d’assurer son développement.
le chef de file a une conception trop personnelle de tout ce qui est institution, tout ce qui est dynamique de rassemblement
Que pensez-vous de la création du FAD, un front qui réunissait au départ 3 partis politiques et qui regrouperait une dizaine de partis aujourd’hui ?
Premièrement, je considère comme je l’avais toujours dit que la configuration de l’opposition dite républicaine avec son chef de file n’était pas dans une dynamique de fédération et de rassemblement de l’ensemble des oppositions qui existent dans le pays.
Deuxièmement, le chef de file a une conception trop personnelle de tout ce qui est institution, tout ce qui est dynamique de rassemblement. De ce fait, il ramène tout à sa petite personne. Donc, ça a pris du temps pour que ces responsables politiques se rendent compte qu’avec ce chef de file, ils ne feront qu’accompagner quelqu’un qui est en train d’aller dans une impasse totale.
Troisièmement, je me félicite aujourd’hui que le FAD existe; que ces responsables aient pris leurs responsabilités. Ils se sont démarqués de la stratégie de Cellou Dalein et je les encourage à poursuivre dans cette voie pour faire en sorte que l’opposition soit beaucoup plus responsable, beaucoup plus crédible et qu’elle puisse émerger de manière beaucoup plus forte au niveau de la scène politique guinéenne.
le système éducatif est en crise
Les résultats des examens nationaux de cette année ont été marqués par de nombreux échecs. Que ce soit au niveau de l’élémentaire que du Baccalauréat. Cela fait partie des réformes engagées par le gouvernement pour purger le secteur de l’éducation. Partagez-vous cette manière de faire M. Bah Oury?
Moi, je considère que ces résultats traduisent une réalité qu’il ne faut pas occulter. Il y a une situation, le système éducatif est en crise. Il y a des déficits à tous les niveaux, au niveau du système éducatif guinéen, la qualité laisse à désirer. Les enfants n’ont pas l’encadrement nécessaire. Les infrastructures font défaut à tous les niveaux. Peut-être, aujourd’hui, les résultats ont été beaucoup plus structurés de manière plus sérieuse pour refléter les niveaux réels et montrer ce que c’est qu’un baromètre de la situation de la qualité du système éducatif guinéen.
Donc ça, c’est un premier élément. C’est comme si quelqu’un tombe malade, il va à l’hôpital, on place le thermomètre, sa température indique s’il est en bonne santé ou pas. Les résultats de 2017 montrent que le système éducatif guinéen est malade.
Dans la même lancée, le département de l’Enseignement supérieur vient de rehausser les primes des chargés de cours et autres professeurs d’Université. Un geste accueilli favorablement au sein de la corporation même si au niveau des assistants cela est en train de provoquer la grogne. En tant qu’Universitaire, M. Bah pensez-vous que c’était la meilleure façon de faire pour améliorer les conditions de vie des enseignants, des éducateurs ?
Vous savez, il y a trop de problèmes dans le système éducatif guinéen. Il y a des problèmes qui auraient dû être résolus depuis plus de 10 ans, depuis plus de 15 ans. Mais rien a été fait et chaque jour, il y a des accumulations de frustrations, des difficultés qui font qu’à un moment donné dès que vous voulez résoudre un aspect de ce problème qui est global, au lieu d’être accueilli favorablement, vous risquez de créer d’autres demandes qui seront cumulatives. Et en fin de compte, on se retrouve dans un amas de problèmes nouveaux injustifiés.
La crise est profonde. Il est souhaitable d’avoir une démarche globale au risque de créer des appétits catégoriels et de frustration dans certains secteurs qui estimeront être lésés. Vous savez, lorsque ces questions se posent comment ça pourrait se développer. La crise étant globale, il faut avoir une démarche globale pour parvenir à des résultats qui peuvent être tangibles. Mais, c’est un problème de fonds, ce n’est pas des formules qu’il faut, ce sont des réformes en profondeur et qui doivent mobiliser l’ensemble de la nation pour que la décennie prochaine qu’on puisse espérer avoir un système éducatif qui puisse tenir la route.
Mais bon ! Je suis content pour ceux qui ont une amélioration de leur salaire. C’est une bonne chose. Mais ceux qui n’en ont pas, vont grogner. Et en fin de compte vous allez voir ce que ça va donner. Mais, c’est une bonne chose que certains puissent avoir une amélioration de leur pouvoir d’achat. Mais aussi, je dis, vous savez chaque question amène d’autres questions. La question de demande sociale en Guinée nécessite des réformes économiques en profondeur. Et là, ça interpelle aussi bien la politique budgétaire que la politique monétaire de ce pays. Il ne suffit pas de distribuer de l’argent dans un contexte où on ne maîtrise pas les paramètres économiques, parce qu’au long terme, ce sera une inflation qui va grignoter le peu de supplément que des gens ont obtenu.
Si les contre-pouvoirs sont faibles, il va de soi que le pouvoir risque de dériver
Qu’est-ce que vous proposez pour une opposition unie et forte ? Est-ce que vous soutenez l’ouverture des classes le 15 septembre prochain
Pour la rentrée des classes au mois de septembre, c’est des questions opérationnelles. Est-ce que le système éducatif est prêt pour ça ? Est-ce que toutes les conditions logistiques sont réunies? Est-ce que la sensibilisation est insuffisamment faite pour préparer les parents d’élèves et le corps enseignant par rapport à l’ouverture dès le 15 septembre. Si ceci est fait, je trouve que ce serait une bonne chose. Mais historiquement, les rentrées des classes, c’est début octobre pour des questions climatiques, pour des questions d’habitude. Et s’ils estiment qu’ils peuvent ouvrir le 15 septembre…
En ce qui concerne l’opposition forte, je suis en train de construire une opposition constructive sur la base d’idées et de stratégies qui marquent une rupture avec le passé, parce que ce qui est fondamentale, il faut des contrepouvoirs efficaces dans un pays pour que ce pays puisse évoluer dans la stabilité. Si les contrepouvoirs sont faibles, il va de soi que le pouvoir risque de dériver surtout dans un contexte culturel et politique qui est marqué depuis très longtemps par la violence et l’instabilité politique. Donc reconstruire de contrepouvoir efficace, cela veut dire avoir une démarche politique, faire émerger d’autres façons de faire qui vont renforcer ce que j’appelle une véritable opposition constructive et c’est sur ce chemin-là que nous sommes en train de se faire.
Maintenant que les divisions que vous constatez par-ci par-là, cela veut dire qu’il y a un monde nouveau qui est en train d’arriver. Il y a un monde nouveau qui émerge, il y a un ancien monde qui est en train de disparaître. Et dans cette période, disons de turbulence, il va de soi qu’il va perdre des repères. Mais l’évolution politique de la Guinée dans le contexte sociologique est une bonne dynamique. Et donc, je suis heureux de plus en plus que l’opposition constructive, la démarche constructive prenne plus disons le pas sur certains archaïsmes et immobilismes que nous connaissons dans notre société.
Votre mot de la fin
Moi, je considère que la situation actuelle est intéressante pour le pays. Mais ça demande un engagement et une remise en cause et une remise en question de beaucoup de pratiques qui se sont passées auparavant. Il y a des gens qui vont être capables de se renouveler, il y a d’autres qui ne seront pas capables de se renouveler. Ceux qui ne seront pas capables de se renouveler disparaîtront de la scène politique à terme.
Entretien réalisé par Alpha Amadou et Amadou Tidiane Diallo (L’Indépendant)