Censure

Bah Oury parle des racines du terrorisme en Afrique de l’Ouest

Le lundi 14 août, Ouagadougou s’est réveillé dans la douleur et l’indignation avec le décompte macabre de 19 victimes fauchées par le terrorisme. Il en était de même en janvier 2016 avec 30 tués au café cappuccino et à l’hôtel Splendid de la capitale burkinabée . Cette vague de tueries place le Burkina dans la ceinture de feu du terrorisme djihadiste qui part de la Mauritanie à l’ouest pour atteindre les confins de la Corne de l’Afrique à l’est. Le Mali, la République Centrafricaine, le Soudan du Sud et la Somalie sont devenus peu ou prou des épicentres de violences qui leur ont fait douter de leur souveraineté.  Rares sont les Etats africains qui ne sont pas affectés par des éruptions de barbarie quelle soit de nature terroriste ou guerrière .

Cette dramatique situation nous interpelle. Dans cette rubrique Entretiens sur bahoury.com  avec M.BAH Oury nous passons en revue ses réflexions  sur ce nouveau fléau qui endeuillent nos pays et nos familles. Cette rubrique permet également, d’expliciter notre propre approche des problèmes qui sont les nôtres. En effet le développement d’une pensée neuve est indispensable afin d’esquisser des pistes de solutions pour envisager l’avenir de nos pays et de nos populations  autrement.

Bahoury.com : L’actualité internationale est régulièrement ponctuée par les attentats à caractère terroriste « djihadiste » : votre première réaction.

BAH Oury : D’abord c’est avec une profonde consternation que nous assistons à ces tueries qui déciment des familles pour semer la terreur  et la haine dans leur sillage. Les attentats terroristes ont toujours été présents dans l’histoire moderne. Nous sommes toutefois éloigné des thèses anarchisantes du XIXème siècle. La globalisation du monde aujourd’hui est telle que des simplifications sommaires amènent à utiliser le même mot pour désigner des réalités proches dans leur manifestation à savoir l’utilisation de la violence aveugle contre des populations innocentes ,mais dont les racines sont dissemblables et éloignées. Par exemple , l’Europe Occidentale subit dans son territoire les contrecoups et les prolongements de la crise proche orientale. Ce qui est différent en Afrique de l’ Ouest ou plus exactement dans le Sahel.

Bahoury.com : Donc selon vous chaque région du globe en proie à la violence terroriste présente des spécificités particulières.

BAH Oury : Bien entendu ! C’est une évidence. En effet de la même manière  que nous ne pouvons pas faire pousser le riz en plein désert , chaque phénomène social pour se développer a besoin d’un terreau propice. Le terrorisme djihadiste en Europe est à cet égard une expression périphérique de la violence malgré le caractère terrifiant plein d’horreur que la sur-médiatisation présente comme réalité centrale et dominante de la société. Comme dans les années 70 et 80 avec des cellules comme les Brigades rouges en Italie, la bande à Baader en Allemagne, Action Directe en France, et les actions de détournements des avions des fédayins pro-palestiniens ,les Etats Européens ont les moyens de venir à bout du terrorisme qui les prend pour cibles. La raison est simple. La cohésion des sociétés européennes, est une réalité profonde ,façonnée par les épreuves historiques, unifiée par le partage de valeurs qui ont transcendé les différences ethniques ,religieuses et politiques.  C’est pour cela que je considère la violence terroriste dans ces pays comme périphérique. Il en est autrement ailleurs.

Bahoury.com : Soyez plus explicite s.v.p. !

BAH Oury : Les méfaits du terrorisme djihadiste au Pakistan, en Afghanistan, et au Proche et Moyen-Orient sont incalculables aussi bien sur le plan humain et matériel. Les victimes se comptent en plusieurs milliers . Le vocable terrorisme est d’ailleurs faible pour définir ce qui en réalité s’assimile à une « guerre civile confessionnelle » entre chiites et sunnites. Dans cette lutte fratricide, les musulmans se comptent parmi les plus nombreux des victimes. Dans cette partie du monde l’appartenance à une confession religieuse est la première référence d’identification de l’individu . En plus le fondement religieux est la légitimité fondamentale de la construction étatique. Dans ce contexte où le printemps arabe a secoué les fondements étatiques il n’est pas étonnant d’assister à ces déchirures qui divisent le monde arabe. La disparition idéologique du progressisme proche oriental comme les mouvements du panarabisme de Nasser, les dérives dictatoriales des régimes laïcs en Egypte, en Syrie et en Irak et le triomphe aussi bien en Iran qu’en Arabie Saoudite des fondamentalistes chiites d’une part et wahhabites d’autre part ont accentué les clivages et les contradictions au sein de la société. Aucun pays dans cette région y compris Israël n’est épargné par la résurgence du fondamentalisme religieux avec comme corollaire la montée du radicalisme politique, l’effacement des courants laïcs et démocratiques et le renforcement de l’extrémisme et de l’intolérance. D’où la multiplication des conflits asymétriques !

Bahoury.com : Que dites-vous de la persistance du terrorisme dans le Sahel

BAH Oury : D’abord il est important de noter que les attaques terroristes dans le Sahel ont tendance à s’étendre . Cela aggrave le contexte sécuritaire dans la région. Ainsi nous devons prendre conscience du danger que cela représente pour la stabilité de notre région, car il ne pourra pas y avoir de développement économique et social dans un tel contexte. La logique terroriste vise à étendre l’espace d’in-gouvernabilité afin d’y faire prospérer le non-droit pour le triomphe de leur ordre politique. La destruction des vestiges culturels et religieux de Tombouctou ,ville carrefour de civilisations et de populations pluriethniques et berceau d’un islam multiséculaire, ouvert et tolérant traduit le rejet à la fois de la modernité , des traditions et des croyances des populations. L’instrumentalisation à outrance de la violence pour imposer un retour aux pratiques d’un islam « mythique » est une fausse réponse à des interrogations et des réalités pertinentes et fondamentales.

Bahoury.com : Comment en est on arrivé là

BAH Oury : Les causes premières ou directes sont connues. Elles sont liées à la crise libyenne  qui, depuis 2011 a été un puissant  facteur déclencheur libérant ainsi des forces puissantes de déstabilisation de la région. En effet le régime du Colonel Kadhafi disposait d’un arsenal militaire impressionnant. Ce matériel a été disséminé dans tout le sahel par des réseaux de trafics d’armes et de drogue, alimentant ainsi des zones de conflits de faible intensité qui prirent ainsi une dimension plus grande. Kadhafi avait aussi entretenu pendant plusieurs décennies des armées issues de plusieurs nationalités africaines avec une prédominance de sahéliens aguerris et vivants peu ou prou de la rente sécuritaire et guerrière.  L’éclatement de l’Etat libyen a charrié chez ses voisins au Sud et en Tunisie cette main-d’œuvre prompte à s’engager dans des activités lucratives de mercenariat et de trafics.

La crise algérienne et la guerre impitoyable que les forces de sécurité et les milices « islamistes » se sont livrées pendant toute une décennie ont généré également les noyaux djihadistes qui se sont  installés dans des contrées périphériques du Sahel.

Ces deux causes ont toutefois trouvé un terreau propice pour essaimer dans la région.

Bahoury.com : En quoi le Sahel présente t-il un terreau propice pour l’implantation de réseaux djihadistes

BAH Oury : La pauvreté en est un déterminant social majeur. Mais il n’est pas suffisant pour expliquer que du jour au lendemain des jeunes gens paisibles, nourris d’une tradition de tolérance et élevés pour la majorité dans la pratique religieuse de la confrérie soufie la Tidjaniyya ,se laissent subjuguer par une doctrine « éradicatrice et violente ». Il est également important de noter que ces mouvements terroristes ont pu s’épanouir dans des zones où prévaut des antagonismes ethniques ,sociaux et territoriaux sous-jacents, comme le Nord du Mali, la région d’Agadès au Niger , les sud algérien et libyen où existe une revendication autonomiste touareg depuis plusieurs décennies. L’entrisme politique a permis aux courants djihadistes d’orienter progressivement les frustrations collectives quelles soient de nature sociales, économiques et politiques vers leurs thèses globalisantes et absolues comme l’unique alternative sanctifiée par le sacré. C’est la méthode qui a été utilisée en Afghanistan pour en faire le sanctuaire de Alqaïda. C’est aussi le même mode opératoire qui est en œuvre au Nord du Mali et en Somalie.

Bahoury.com :Existe t’il d’autres facteurs qui expliquent la facilité avec laquelle les réseaux djihadistes se sont imposés dans certaines parties du Sahel

BAH Oury : Les Etats en déliquescence sont les espaces territoriaux où prospèrent aussi bien les réseaux maffieux que djihadistes . Le Nord du Mali ,la Somalie , la région du Lac Tchad et la République Centrafricaine en sont une parfaite illustration. Les Etats fragiles tels que les définit l’index des « Etats en déliquescence » du think tank américain Fund for Peace sont parmi les plus fragiles face à cette vague de développement du terrorisme. A cet égard , la zone du Sahel présente toutes les caractéristiques à savoir, mouvements massifs de réfugiés et de déplacés internes, cycle chronique de conflits intercommunautaires ,  persistance de fortes inégalités de développement ,criminalisation et de-légitimation de l’Etat du fait de la corruption ,culte de la violence généralisée contre les droits de l’homme et absence notoire des services publics de base( indicateur annuel : the failed states index).

Bahoury.com :A l’aune de l’observation et de la durée des gouvernances africaines, quels sont les enseignements que vous tirez de la déstabilisation du Sahel

BAH Oury : La faillite de la construction de l’Etat postcolonial est la source des multiples maux qui gangrènent les sociétés africaines au sud du Sahara.  En 1962, la parution de « L’Afrique Noire est mal partie » du célèbre agronome français René Dumont fut accueillie avec condescendance et mépris par les élites africaines de l’époque. En 2007, un rapport de la Banque Mondiale lui rendit hommage sous la forme d’un mea culpa en bonne et due forme. Le rapport a reconnu que l’agriculture avait été négligée comme facteur de développement alors que 75% des populations les plus pauvres habitent les zones rurales. Ainsi l’accès à la terre ,à l’eau et à l’éducation des paysans  n’avait pas retenu l’attention des experts du développement pendant très longtemps. Le modèle de développement choisi dés l’accession à l’indépendance avait déserté les préoccupations essentielles de la majorité de la population d’origine rurale et agricole pour privilégier les pratiques rentières aussi bien sur l’économique que sur le politique. Il y a eu une double conséquences qui ont impacté profondément la construction de l’Etat et l’évolution des sociétés africaines post coloniales. D’abord c’est le divorce entre l’Etat et la Société Civile et son corollaire l’édification d’un Etat néo-patrimonial avec une corruption institutionnalisée. La combinaison de ces deux facteurs et  une pression démographique de plus en plus forte aggravée par les effets néfastes du changement climatique ( manque d’eau , manque de pâturages fertiles et avancée du désert du fait des sécheresses récurrentes)ont transformé la bande sahélo sahélienne de l’Atlantique à la Mer Rouge et la Centrafrique en un brasier de violences et de haine.

Bahoury.com : Qu’entendez-vous par divorce de l’Etat et de la Société Civile

BAH Oury : Les Etats postcoloniaux francophones pour la plus part ont calqué leurs institutions en faisant fi des cultures politiques traditionnelles . En d’autre terme la construction étatique s’est faite en dehors de la société civile. Les populations ont été de ce fait déchirées entre la dualité de deux modes de gouvernance différentes et dés fois opposés.  Certains pays ont su malgré tout maintenir un équilibre « intelligent et pragmatique » comme au Sénégal. Dans ce pays , le Président Senghor , fidèle à la nécessité d’opérer la synthèse entre les traditions et la modernité à engager son pays dans la voie de la stabilité et de la pérennité de ses institutions. En effet, la résilience de la société repose sur le degré de légitimité de l’ordre politique. Celle-ci est d’autant plus grande que la bonne gouvernance peut l’accroître en faveur du gouvernement renforçant ainsi la gouvernabilité. Qui dit gouvernabilité ,suppose l’existence d’un cadre institutionnel politique ,solide et capable d’interactions pour l’atteinte de l’intérêt général. Les réflexes d’auto-défense d’une société font appel aux mythes du passé, au sacré idéalisé, aux identités communautaires spécifiques et aux relents conservateurs et hostiles à toute autre diversité. Voyez comment un long conflit politique en RCA s’est vite mué en une conflagration meurtrière  entre chrétiens et musulmans. Observez la descente aux enfers de la RDC –Congo où les sectes armées pullulent comme le Bundu Dia Kongo qui prône la réhabilitation de l’héritage spirituel et historique des grands ancêtres, les Kimbanguistes ,les partisans de Kamuina Nsapu etc…Les représentations politiques classiques (partis politiques, associations de la société civile, syndicats) disparaissent peu à peu de la scène en assistant impuissants à la confrontation chefs coutumiers à la tête de sectes armées et les forces de l’ordre. Cette tragique décomposition des structures de l’Etat et de la faillite de la représentation politique précipitent  ce grand pays vers une in-gouvernabilité désastreuse pour toute l’Afrique centrale et des grands lacs . Ces exemples prouvent la nécessité d’accorder un regard plus attentif sur les relations ambivalentes entre Etat et Société Civile.

Bahoury.com : Votre conclusion s.v.p.

BAH Oury : La réponse sécuritaire est loin d’être suffisante pour lutter contre les vagues djihadistes en Afrique de l’Ouest. La remise à l’endroit de la construction étatique est au cœur de la problématique de la gouvernabilité et du développement. Cela interpelle la gouvernance globale qui mérite d’être orientée vers la satisfaction des intérêts du plus grand nombre tout en assurant une juste et démocratique représentation de tous les secteurs de la société. Aller dans ce sens, ce sera l’amorce d’un nouveau départ vers le progrès et une cohésion durable entre tous.

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