Censure

Six questions à Mohamed Diawara, juge d’instruction de Kérouané

En votre qualité de Magistrat pouvez-vous nous dire ce que c’est que le pouvoir Judiciaire et quel rôle joue-t-il dans une République?

Le pouvoir judiciaire, l’un des trois pouvoirs constituant l’État de Droit a pour rôle de contrôler l’application de la loi d’une part et de sanctionner  son non-respect d’autre part. C’est pourquoi il revêt deux différents sens, un sens organique et celui fonctionnel.

Le premier désigne les cours et tribunaux  et le second la faculté de pouvoir trancher les litiges.

Les décisions y afférents sont prises conformément aux  textes de lois résultant soit d’un projet de lois c’est-à-dire du domaine du pouvoir exécutif  ou d’une proposition de lois c’est-à-dire du domaine du pouvoir  législatif  évidemment, votés par le pouvoir législatif.

Quel lien organique existe-il entre le ministère de la Justice et le Pouvoir judiciaire ?

Le ministère de la Justice est l’administration centrale chargée de la gestion du service public de la Justice. Il est placé sous l’autorité du Ministre de la Justice, qui peut également porter le titre de garde des Sceaux. Il n’exerce aucune fonction juridictionnelle contrairement à ce que certaines personnes pensent. Il n’est pas un juge mais un administrateur.

Il est important de rappeler que la séparation des pouvoirs veut que le pouvoir arrête le pouvoir par le biais d’un contrôle réciproque. Mais, c’est un contrôle visant l’équilibre des pouvoirs et non une immixtion d’un pouvoir dans l’activité essentielle de l’autre. Tout compte fait, aucun des trois(3) pouvoirs à savoir le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif ou celui législatif  ne doit être subordonné à l’autre au risque  de transgresser la Constitution.

De cette remarque, quelle solution envisagez-vous pour que votre indépendance soit effective ?

Ecoutez, en vertu de la nouvelle vision que j’ai de la justice, mieux, en tant que magistrat de la nouvelle génération, je pense qu’il revient indubitablement aux magistrats,  de faire valoir et, au besoin, de revendiquer régulièrement le respect du principe constitutionnel à l’indépendance du Pouvoir judiciaire, ne serait-ce que par des décisions courageuses, j’avoue que les magistrats de partout en Afrique parviendront sans nul doute à assurer leur indépendance vis-à-vis de l’Exécutif  et arriveront à annuler ou à constater la nullité des actes du Pouvoir exécutif  illégaux et inconstitutionnels. Que les magistrats des Cours et Tribunaux se débarrassent de tout complexe à l’égard des ministres, car ils ne leur sont nullement inférieurs, ils ne sont que différents d’eux puisqu’appartenant à un autre pouvoir.

L’autorité de surveillance et de contrôle du Pouvoir judiciaire est le Conseil Supérieur de la magistrature.

Tout en convient mes collègues, principalement ceux de la nouvelle génération, à participer activement et inlassablement au programme de réforme amorcé bien sûr,  par ce régime qui ne ménage aucun effort à date pour réussir la réforme tant attendue  du secteur judiciaire, j’insiste et je persiste en affirmant qu’aucun ministre de la République n’est au-dessus d’un magistrat.

Enfin, il n’est pas superfétatoire de noter que l’indépendance du Pouvoir judiciaire constitue la clé de voûte de tout État de droit. Aussi, tant qu’elle ne sera pas effective, on ne peut y parler de cet État, en aucun cas.

Très souvent on assimile l’indépendance de la Justice à l’impartialité des Magistrats quel apport pouvez-vous faire pour le public à propos ?

L’indépendance et l’impartialité constituant deux principes fondamentaux de tout système judiciaire, viennent garantir aux justiciables que l’acte de juger sera seulement déterminé par les arguments du débat judiciaire, en dehors de toute pression ou de tout préjugé.

L’indépendance de la justice est consacrée par la Constitution.

Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif.

La justice est rendue exclusivement  par les Cours et Tribunaux selon l’article 107 de notre constitution. Ça veut dire que cette indépendance résulte non seulement de la séparation des pouvoirs, mais aussi des garanties statutaires qui mettent les magistrats à l’abri des pressions ou menaces qui pourraient peser sur leur faculté de juger.

S’agissant de l’impartialité, elle désigne l’absence de préjugés qui doit caractériser le juge. En ce sens, l’indépendance concerne plutôt les rapports du juge avec les autres pouvoirs et constitue une condition (nécessaire mais pas suffisante) de son impartialité dans ses rapports avec les justiciables.

Je tiens à préciser que l’indépendance et l’impartialité des magistrats du siège sont avant tout garanties par la spécificité de leur statut : bien qu’étant des agents publics, les juges ne sont pas des fonctionnaires et ne sont, par conséquent, pas soumis à l’autorité hiérarchique d’un ministre. Ils sont inamovibles, et leurs décisions ne peuvent être contestées que dans le cadre de l’exercice des voies de recours.

Certes, vous parlez des Magistrats du Siège et les Magistrats du Parquet par rapport au Ministre de la Justice ?

Ecoutez, ne faisons pas d’amalgame, soyons claire et précis, l’inamovibilité et la non soumission à l’autorité hiérarchique d’un ministre ne concernent que les magistrats du siège.

S’agissant les magistrats du parquet et ceux de l’Administration Centrale du Ministère de la Justice, Conformément à l’article 21, alinéa 1 de la loi organique L/054/CNT/2013 du 17 mai 2013 portant statut des magistrats, ils sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du Ministre de la justice, Garde des Sceaux.

Je trouve opportun de rappeler que les magistrats en détachement sont hiérarchiquement subordonnés à l’autorité auprès de laquelle ils sont détachés.

Monsieur  DIAWARA, vous êtes très jeune, il faut l’avouer, moins expérimenté mais à formations diversifiées,  malgré votre jeune âge, vous ne cessez de faire la promotion du Droit guinéen, nous avons même appris que vous avez renoncé à plusieurs opportunités en Guinée et ailleurs au profit de l’exercice d’un devoir purement patriotique. Etant un modèle pour la jeunesse guinéenne voire africaine, que pensez-vous de l’avenir de cette jeunesse?

Veuillez m’excuser, je ne souhaiterais pas répondre à cette question qui ne relève absolument pas de ma profession actuelle, j’aimerais plutôt…

Non M. DIAWARA, nous n’avons pas vocation de vous interrompre ou de vous distraire, avant de terminer, nous voulons juste profiter de vos autres acquis que nous avons découverts lors de l’une de vos précédentes interviews, notamment le Management des administrations, partie intégrante de votre cursus.

Ecoutez, je m’inscris dans la logique de ceux qui pensent que la jeunesse africaine, bien que représentant le plus grand espoir de l’Afrique, constitue la couche menacée et dont l’avenir reste toujours incertain toutefois, je reste optimiste grâce à la nouvelle vision de l’Union africaine conduite sous le leadership de notre cher Président et compatriote le Professeur Alpha CONDE, panafricaniste résolument engagé, maître de la nouvelle vision. J’admets que si hier, on accordait la primauté à l’expérience dans nos administrations publiques et privées, juste un moyen de marginaliser le potentiel de l’Afrique qu’est la jeunesse, mieux, ces Jeunes cadres dynamiques, incarnations des nouvelles technologies de l’information et de la communication(NTIC), acteurs du contrôle et du développement du « système », on commence à s’apercevoir que cet état de fait est un faux débat. Les moyens étant limités, les défis si grands, les exigences du troisième millénaire nous prouvent à suffisance que l’expérience est en voie de céder sa place à la compétence, chose nous permettant de profiter du dividende démographique actuel. La raison est simple, si l’expérience continue à occuper  la première place en Afrique, nous ne pourrons pas profiter des NTIC, outils de travail de la nouvelle génération et du temps moderne, il faut donc mettre au premier rang la compétence qui requiert la performance, le dynamisme, l’efficacité, l’efficience, la pertinence, la cohérence, la durabilité et la rentabilité ;  et au second rang  l’expérience, fondement d’une valorisation de l’ancienneté, chose dont l’acquéreur peut se prévaloir de compétences liées à sa pratique d’une activité professionnelle.

De nos jours, le constat est que les jeunes commencent à occuper des postes de responsabilité, il y a donc une grande lueur d’espoir. Je pense que céder la place  à la jeunesse  est la meilleure  façon de réussir dans la réforme de nos institutions.

C’est le bon moment de les préparer à s’autogérer  c’est pourquoi, il est normal et opportun qu’à chaque fois qu’un jeune compétent, produit de la nouvelle génération et du temps moderne,  est nommé à la tête d’une institution, qu’on le fasse assister par une personne  beaucoup plus expérimentée. Cette cohabitation est à coût sûr un facteur de développement rapide tant sur le plan politique, social, économique que culturel.

Mais au contraire, j’avoue qu’il est très difficile pour ne pas dire impossible de réussir  à date, une réforme en mettant  l’expérience professionnelle devant la compétence.

Avec la révolution numérique d’où les exigences du temps moderne, il faut renverser la tendance pour mieux réussir la cohabitation  entre une  » vieille marmite » et un jeune compétent. Les expériences en Afrique ont prouvé que les jeunes cadres compétents placés à la tête d’une institution ont toujours sollicité  l’expérience de leurs aînés c’est-à-dire les personnes expérimentées que j’aime appeler les « vieilles marmites » mais au contraire, ces personnes expérimentées se sont toujours débarrassées des jeunes compétents. C’est le plus grand problème de l’Afrique.

 Votre dernier mot

Je rêve incessamment d’une justice plus efficace, plus moderne et plus proche du justiciable grâce à son mécanisme de fonctionnement et d’organisation.

 Entretien réalisé par  Daouda Yansané, Spécialiste des questions juridiques et judiciaires

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