Dans cet entretien accordé à notre reporter, le président de l’ONG « Les mêmes droits pour tous », Me Fréderic Foromou estime contreproductive la saisine de la Cour de justice de la CEDEAO dans le dossier du 28 septembre. Selon cet activiste des droits de l’Homme, l’Etat fonctionne mal en Guinée.
Le ministre de la Justice promet l’ouverture du procès du 28 septembre avant 2018. Nous sommes à moins de 3 mois de la fin de l’année 2017. Croyez-vous vous en cette promesse de Cheik Sako ?
Me Fréderic Foromou : Le dossier du 28 septembre est un dossier dont la gestion est complexe. Alors avec la pression et tout le travail qui a été fait notamment avec le soutien financier de l’Union européenne avec la collaboration de la FIDH, le gouvernement par la voix du ministre de la Justice avait annoncé la date du 31 octobre comme date de la clôture de l’instruction. Mais ce qui est paradoxal, c’est que dès que le ministre a annoncé cette date quelques jours après, nous avons assisté à un nouveau rebondissement. Il y a un nouveau groupe de victimes qui a porté plainte dans la même procédure contre la Général Sékouba Konaté. Alors c’est ce que nous n’avons pas compris en tant qu’organisation travaillant sur cette question. Parce que clairement, cette plainte est de nature à retarder ou à renvoyer aux calendes grecques la clôture de l’instruction dans cette affaire. Nous avions pensé qu’on allait faire une jonction de procédure pour que justement, on puisse aller de l’avant. Et quand on pense à la lenteur à laquelle notre justice travaille en Guinée donc ça veut dire que ça va prendre assez de temps. Ce qui veut dire encore la date butoir que le ministre avait donné qui était le 31 de ce mois, cette date ne pourra pas être respectée parce que la justice va arguer le fait qu’elle a été saisie d’une autre plainte et elle se doit d’examiner la plainte.
La bonne nouvelle, c’est que le ministre avait pris un réquisitoire demandant à ce qu’on puisse faire la jonction de ces deux procédures pour aller un peu de l’avant. J’ose croire que cette option va être suivie par les magistrats instructeurs. Si ce n’est pas le cas, on n’est parti pour longtemps avant de voir la fin de l’instruction dans cette affaire.
Est-ce que vous avez pu identifier ce groupe qui a porté plainte contre le général Sékouba Konaté ?
On a identifié certaines personnes. Ils ont choisi 5 avocats parmi lesquels, il y a un avocat qui travaille sur le dossier du 28 septembre. C’est ce qu’on n’a pas compris, je pense qu’il faut finir avec cet évènement.
L’AVIPA menace de saisir la Cour de la justice de la CEDEAO si le procès ne s’ouvrait pas avant la fin de l’année 2017. Est-ce possible sans le consentement de la justice guinéenne ?
La saisine de la Cour de justice de la CEDEAO, elle est ouverte à tout le monde. On choisit la Cour de justice de la CEDEAO pour des cas de violation des droits de l’Homme. Et là, on va contre l’Etat pas contre un individu. Donc aller devant la Cour de justice de la CEDEAO ça veut dire qu’on fait fuir la question de la responsabilité pénale, individuelle, mais plutôt on veut obtenir la condamnation de l’Etat pour réparer les torts qu’il aurait causé à ces citoyens. Alors qu’une plainte comme nous sommes en train de travailler avec la justice, c’est pour non seulement réparer les torts causés aux victimes mais également retenir la responsabilité pénale individuelle. Le cas échéant, lorsque la justice va être organisée, les personnes qui seront retenues coupables risquent la prison et c’est cela qui est recherché. Alors que devant la Cour de la justice de la CEDEAO, nous allons pour régler une question de violation des droits de l’Homme contre l’Etat. On ne peut pas enfermer l’Etat, on ne peut que demander l’Etat de réparer le préjudice résultant des actions de violation des droits de l’Homme allégué devant la Cour. Pour l’instant, je crois qu’AVIPA est en train de réfléchir à cette piste-là, mais je ne crois pas qu’il y ait une intention formelle comme cela a lieu devant cette Cour parce que cette action serait contreproductive. L’idéale aurait voulu qu’on continue jusqu’à ce que la justice se prononce sur les massacres du 28 septembre.
Quelle lecture faites-vous de l’impunité en Guinée ?
L’Etat fonctionne mal. Les manifestants sont réprimés. Mais, on n’a pas assisté encore au jugement d’un membre des forces de l’ordre qui aurait tiré sur un manifestant. C’est deux poids deux mesures. L’Etat se plait dans cette attitude, dans cette situation tout en reniant son rôle régalien de protection des citoyens, de rendre la justice au nom du peuple de Guinée.
Croyez-vous en la tenue des élections locales le 04 février 2018 ?
Si on s’en tient à tout ce qui a été dit par le passé, on peut légitimement douter de la sincérité de cette date parce que depuis 2005, on réclame ces élections. Il y a chaque fois une date et les dates ont toujours été repoussées. Il faut toucher la réalité du doigt pour en fin croire. Tout est semble-t-il politique dans ce pays. Rien n’est fait dans un dessin de développement, de patriotisme ou de stabilité. Tout est fait pour justifier un intérêt politique.
Quelle analyse faites-vous de l’élection présidentielle au Libéria ?
Ellen Johson Shirleaf a donné la voie. La tendance actuelle en Afrique de l’Ouest, c’est la lutte contre le tripatouillage de nos constitutions. Ellen a fait deux mandats, elle est partie. Elle va passer le flambeau à celui qui va être élu. En Côte d’ivoire, c’est le même son de cloche. Au Ghana ça été la même chose. Il y a même des mouvements au sein de la société civile ouest africain, qui sont en train de se constituer pour défendre les différentes constitutions pour éviter que les Chefs d’Etat ne révisent les constitutions pour rester indéfiniment au pouvoir. Il y a le cas du Togo où il y a actuellement des manifestations. Donc la Guinée ne peut pas ignorer ces réalités. Je pense qu’il y a des déclarations tapageuses de certains zélés de la situation tendant à aller vers la modification de la constitution pour permettre au président actuel de briguer un troisième mandat. Je pense que le bon sens va prévaloir. Les autorités vont comprendre la tendance actuelle en Afrique de l’Ouest. Au Mali, le président IBK a renoncé à la modification de la constitution. Donc, il n’y a pas de raison que la Guinée ne puisse pas s’inscrire dans cette logique et je pense que le président de la République qui est un démocrate, il a lutté pendant 40 ans d’après ce qu’il dit pour la démocratie en Guinée, il ne sera pas le premier j’estime à remettre en cause cette démocratie qu’il dit avoir contribué à mettre en place.
Entretien réalisé par Sadjo Diallo (Le Démocrate)