Si vous avez une connaissance qui vous annonce son arrivée prochaine d’Europe, du Canada ou des Etats-Unis et qu’elle vous précise qu’elle passera par un pays limitrophe en arrivant et en repartant, vous pouvez être sûrs et certains que cette personne a un statut de réfugié politique.
Entre les mariages arrangés, les faux dossiers médicaux et toutes les autres techniques de fraude au séjour, ce statut est le Graal recherché par la plupart des candidats à l’immigration en Europe et en Amérique. De plus en plus difficile à obtenir, il permet par exemple à celui qui l’obtient en France de bénéficier, dès le dépôt de sa demande, d’une allocation mensuelle de 200 euros et, avec un peu de chance, d’être hébergé gratuitement dans un Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA) ou dans un hôtel. Si, au bout de la procédure, le candidat a la chance d’être reconnu comme réfugié politique, il obtiendra une carte de séjour de dix ans. De plus, en attendant de trouver un travail, il sera éligible au Revenu de Solidarité Active pour toucher au minimum 545 euros par mois.
Un statut à entretenir
L’inconvénient de ce statut c’est qu’il faut « jouer le jeu » jusqu’au bout. C’est à dire qu’il faut vraiment « se comporter » comme un réfugié politique. Ayant déclaré que vous êtes en danger chez vous, les autorités du pays d’accueil vous retireraient automatiquement votre statut si elles constataient que vous n’avez aucun mal à y retourner et à le quitter à nouveau sans être inquiété. C’est pourquoi les réfugiés politiques guinéens qui ont le mal du pays passent par un pays limitrophe lorsqu’ils veulent revenir en Guinée. Sur place ils obtiennent un document de voyage (titre de voyage) différent de leur passeport, qui leur permet de rentrer en Guinée et d’en ressortir. Ainsi, il ne figurera aucune trace de leur passage en Guinée sur le document officiel reconnu par le pays d’accueil.
Si le Mali et la Sierra Léone ferment les yeux sur ces pratiques, le Sénégal et la Cote d’Ivoire sont eux des collaborateurs zélés des instances migratoires internationales et notamment des pays d’accueil de ces réfugiés. En passant par un de ces deux pays, les réfugiés guinéens savent qu’ils courent le risque d’être dénoncés par les autorités sénégalaises ou ivoiriennes et donc de perdre leur statut de réfugié à leur retour en France, aux Etats-Unis ou au Canada.
Qu’a cela ne tienne, ces désagréments ne freinent pas l’ardeur des immigrants. L’an dernier 65.000 personnes ont déposé un dossier à l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides). De manière générale, seuls 15 à 20% des candidats réussissent à obtenir le fameux statut de réfugié politique.
Autant dire qu’il faut arriver avec des éléments solides pour parvenir à convaincre la commission d’examen des dossiers.
Le kit du parfait demandeur d’asile
A l’époque où le RPG était dans l’opposition et que les libertés constitutionnelles étaient plus des déclarations d’intention qu’une réalité sur le terrain, il suffisait de démontrer qu’on était membre de ce parti pour bénéficier d’une écoute bienveillante et d’une chance réelle d’obtenir satisfaction. Cela a été le cas jusqu’à ce que les autorités des pays d’accueil se rendent compte que le trafic de cartes de membre du RPG était devenu une activité commerciale. Le kit du parfait demandeur d’asile était bien conçu en ce temps : une carte du RPG, un article commandé dans un journal de la place (les imprimeries guinéennes étaient capables de vous sortir un exemplaire spécial et unique de n’importe quel journal, avec un article illustré de votre photo, relatant des prétendues persécutions contre votre personne). En plus, certaines ONGs de défense des droits de l’homme, se prêtaient volontiers à l’arnaque en produisant des rapports complaisants mentionnant le ou les noms des intéressés.
Aujourd’hui les techniques se sont adaptées aux nouvelles technologies et au nouveau contexte politique. Les réseaux sociaux sont les nouveaux relais et c’est au tour des cartes de membre de l’UFDG de prendre de la valeur. Le récent scandale de trafic des cartes de l’UFDG en fait foi.
L’objectif est d’avoir le plus de problèmes possibles avec les autorités, de préférences judiciaires ou sécuritaires, le faire savoir et en conserver toutes les preuves. Toutefois, la donne a changé et ce qui était suffisant hier pour susciter l’émotion chez les occidentaux et déclencher la procédure de demande d’asile ne l’est plus aujourd’hui.
Le parcours du combattant
Les innombrables abus ont amené l’OFPRA et les autorités équivalentes des autres pays à faire preuve de plus de vigilance et de discernement. La mondialisation est également passée par là. Les informations circulent plus rapidement et, il faut le reconnaître, beaucoup de pays africains, la Guinée y compris, ont fait des progrès notables en matière de respect des droits de l’homme. Démontrer qu’on est susceptible d’être arrêté, torturé ou tué pour ses opinions politiques dans son pays devient de plus en plus difficile.
Par ailleurs, les législations ont été harmonisées au niveau européen avec la directive 2013/21/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative aux procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale. Dès lors s’est instauré un nivellement vers plus de sévérité dans l’admission des immigrants. En effet, aucun pays ne veut être taxé de complaisant dans sa politique d’accueil et de gestion des aspirants au statut de réfugié politique.
C’est pourquoi, de plus en plus, les audiences qui statuent sur les demandes se concluent presque la plupart du temps par cette formule lapidaire : « … ni les pièces du dossier ni les déclarations faites en séance publique ne permettent de tenir pour établis les craintes énoncées et de regarder le requérant comme étant personnellement et actuellement exposé, dans le cas d’un retour dans son pays d’origine, à des persécutions.. ».
Loin de décourager les aspirants réfugiés politiques, cette tendance au rejet n’a fait que décupler leur détermination à obtenir, coûte que coûte, des preuves qu’ils sont en danger dans leur pays d’origine. Les conditions d’admission sont plus dures ? les preuves doivent donc être plus tangibles !
C’est ainsi que les Guinéens débordent d’imagination pour monter les dossiers les plus vraisemblables possibles. Les femmes utilisent les risques de mariage forcé ou d’excision auxquels elles ou leurs filles seraient exposées si elles restaient en Guinée. Des hommes vont jusqu’à se déclarer homosexuels et menacés par l’intolérance qui règne en Guinée. Et puis arrive le gros lot des journalistes et des activistes de la société civile.
Journalistes et activistes, même combat
Pour les journalistes, c’est relativement simple. Avec toutes les tensions sociopolitiques qui règnent, il suffit de se saisir d’un sujet polémique (élections, sécurité, insalubrité) et d’attaquer l’Etat avec le plus de virulence possible. Mandian Sidibé et Moussa Tatakourou Diawara, qui ont réussi à transformer des conflits privés en persécutions étatiques, sont des exemples encourageants pour eux. Les derniers conflits entre la presse et le Gouvernement sont une véritable aubaine pour ceux qui sont actuellement en phase de départ.
Pour les activistes de la société civile, la démarche prend un peu plus de temps. Première étape : créer une ONG sensée défendre une noble cause. La lutte contre l’insalubrité, les violences contre les femmes, l’environnement, les droits des enfants, la corruption, le droit à l’éducation ou au logement sont à la mode actuellement.
Deuxième étape : s’attaquer aux autorités étatiques sur un sujet en rapport avec l’ONG. L’attaque doit être suffisamment forte pour susciter une réaction vigoureuse de l’Etat. L’idéal est d’être interpellé. Un avocat se souvient encore de cet activiste qu’il voulait empêcher de se rendre à une convocation de la Gendarmerie. Malgré le caractère visiblement illégal de la procédure, l’activiste lui demanda expressément de le laisser se rendre à l’escadron « c’est bon pour moi » lui dit-il.
Troisième étape : communiquer. Les publications sur Facebook, twitter et compagnie seront plus tard des supports très utiles. Encore plus utiles, les articles sur certains sites d’informations faciles à acheter. Une interview radio ou télé sera également la bienvenue.
Quatrième étape : obtenir un visa de court séjour vers un pays européen ou américain sous un prétexte fallacieux (formation, conférence internationale, colloque, etc.).
Malheureusement, les services consulaires sont plus qu’informés de ces astuces. Les cadres de ces services se tiennent au courant de l’actualité sociopolitique et sont formés à repérer les candidats potentiels à l’immigration clandestine sous toutes ses formes. Paradoxalement, les journalistes et activistes en quête de visa sont presque systématiquement catalogués parmi les demandeurs « à risque » au grand dam de ceux d’entre eux qui voyagent pour de réels motifs. De plus, la France et l’Europe s’apprêtent à durcir encore plus les conditions d’accès au territoire européen et, notamment, les conditions d’admission au statut de réfugié. Les Etats-Unis de Donald Trump sont déjà quasi-inaccessibles par ces méthodes. Que vont encore devoir inventer les candidats à l’immigration politique ?
Fodé Sylla