Mamadou Bah Baadiko président de l’Union des forces démocratiques (Ufd), ne fait pas dans la dentelle, quand il faut dénoncer les tares du système de gouvernance de notre pays. Dans cet entretien accordé à votre semainier, Mamadou Bah Baadiko met les pieds dans le plat, et se dit pessimiste, quant à l’issue de ces élections locales, auxquelles prend part son parti, vu le lourd passif de la Ceni.
Les élections locales approchent à grands pas. M. Bah, votre parti, l’Union des forces démocratiques (Ufd), va-t-il prendra part ou non à ce vote ?
Mamadou Bah Baadiko : Oui, nous essayons de jouer le jeu démocratique. Donc nous sommes partie prenante de ces élections malgré les griefs que nous avons par rapport au système. Par exemple, bien que notre parti existe depuis 1992 et participe toujours aux élections, nous avons été injustement exclus de la CENI et de ses démembrements, ce qui constitue une grave anomalie. De plus, vous n’êtes pas sans savoir que les élections en Guinée sont une véritable expédition financière qui n’est à la portée que de ceux qui puisent d’une manière ou d’une autre dans les caisses publiques. Nous devons tout financer nous-mêmes. Pour ces élections communales actuelles, nous avons dépensé pour l’instant des dizaines de millions de Francs guinéens par circonscription pour couvrir la caution, le matériel de communication, les dépenses de campagne, les frais des scrutateurs dans les bureaux de vote, etc. C’est un minimum pour ne pas être de simples touristes là-dedans. Nous avons des listes UFD dans six sous-préfectures : Poredaka (Mamou), Boje, Mombeya, Kébali (Dalaba), Sintali(Pita) et Sagale (Leluma). Dans quatre autres sous-préfectures (Kolabounyi, Diari, Maneah et Timbi Madina, nous n’avons pas pu déposer nos listes à temps, faute d’avoir pu récupérer les documents administratifs requis, en particulier le casier judiciaire.
Ceci dit, il faut se poser la grande question : des élections communales pour quoi faire ? La triste expérience que nous vivons depuis que l’institution existe en 1991, est que les élus communaux ne sont là que pour le décor. Malgré les très beaux textes qui les régissent, ils n’apportent absolument rien de positif aux populations. Au contraire, leur nuisance est énorme : pas d’assainissement, pas de recyclage des ordures, pas de plans d’urbanisme, pas d’éclairage public, pas d’eau potable, pas de lieux publics aménagés pour les loisirs des jeunes, environnement vandalisé, insécurité dramatique partout, etc. En démocratie, normalement, c’est l’alternance à travers des élections crédibles qui permet de remplacer les élus défaillants par d’autres plus capables de réaliser les vœux des populations. Mais avec l’expérience des Délégations spéciales vous avez vu comment tous, sans distinction de partis se comportent de la même façon. Partout c’est la même corruption, les mêmes détournements, les mêmes complicités de privatisation du domaine communal, la même complicité avec les délinquants et les criminels. Je suis convaincu que si aujourd’hui, un juge tant soit peu honnête et qui n’a même pas besoin d’être zélé, se penche sur la gestion des communes et des CRD, il aurait de quoi mettre en prison l’écrasante majorité des élus communaux ! En fait, notre système communal est l’exacte réplique de l’administration : même incurie, même déliquescence, même corruption, même mépris pour l’intérêt public. Pour ma part, je ne connais aucun autre pays au monde, même ceux en guerre, qui connaissent une qualité de vie aussi insupportable. Le pauvre citoyen ne peut même avoir de l’air respirable, à plus forte raison les commodités de la vie quotidienne, en ville comme à la campagne. C’est révoltant et tout le monde semble résigné. Donc dans cette élection, c’est le «Lève- toi que je m’asseye » qui prévaut. Aucune chance d’avoir une alternative crédible tant qu’on ne changera pas radicalement de cap. La preuve ? Avez-vous entendu un seul débat sérieux sur les enjeux de la gestion communale ?
Pensez-vous que la Guinée va enfin connaître des élections locales transparentes et justes, comme le promet la Ceni, avec près de 7 ans d’un passage à vide?
Comme je vous l’ai dit auparavant, l’enjeu ce n’est pas l’élection mais bien ce qui va en sortir. Et de ce côté vous avez mon opinion. Ces élections sont un exercice qui va coûter des centaines de milliards qui auraient été certainement plus utiles pour d’autres priorités, car vous voyez bien que la Guinée est le pays de toutes les urgences. Les populations exsangues ne verront rien de mieux après ces élections. C’est une affaire de l’élite et qui ne changera rien à la situation catastrophique que nous vivons. Ce n’est pas le retard de 7 ans des élections communales qui a empêché les populations d’avoir un meilleur cadre de vie. Maintenant pour parler d’élections transparentes, vous le savez bien, en Guinée la triche et le vol sont un système auquel adhèrent toute la classe politique et l’Administration. Avec ou sans CENI, l’Administration et les acteurs politiques tricheront comme ils le peuvent, chacun à son niveau !
Votre formation politique, a flirté avec la majorité présidentielle, durant la présidentielle de 2015. Qu’en est-il aujourd’hui, de vos rapports avec le parti au pouvoir ?
Nous n’avons pas seulement flirté avec la majorité présidentielle. Dans le cadre d’un accord passé avec le RPG-Arc-en-Ciel, nous avons soutenu le Président Alpha Condé candidat en 2015. Nous avons été toujours des alliés fidèles et loyaux et avons honoré nos engagements. Nous continuons à soutenir le Président dans toutes ses actions pour reformer le pays et sortir du sous-développement et de la misère. Pour ces élections, il y a eu certains de nos militants et responsables qui ont été inscrits sur des listes du RPG. Le Président lui-même m’a personnellement aidé pour la campagne. Après les élections, selon les résultats, nous comptons travailler prioritairement avec les autres composantes de la majorité pour diriger ensemble des communes.
La Moyenne Guinée sera âprement disputée durant ces élections locales. Vu la forte mobilisation des alliés du pouvoir, originaires de la région, qui sont d’ailleurs en conclave en ce moment à Dalaba. Qu’est-ce que cela vous inspire-t-il ?
Je n’ai pas grand-chose à dire là-dessus, sauf à rappeler que nous n’avons pas été partie prenante de ce rassemblement à Dalaba. Les gens doivent accepter que ce type de manifestation, n’est que la reconnaissance du fait que l’unité nationale n’existe pas. Sinon un citoyen doit être chez lui dans toute la Guinée.
Les ministres de la République sont déployés sur le terrain, depuis une semaine, pour, officiellement, expliquer les contours du programme national de développement économique et social (Pnds), qui a permis de mobiliser, récemment, 21 milliards de dollars us de promesse d’aide à Paris. Ainsi que l’accord des 20 milliards de dollars us, passé avec la Chine. Mais certains observateurs voient dans cette démarche du gouvernement, une campagne électorale déguisée. Partagez-vous cet avis ?
Je crois qu’il est un peu regrettable que ce soit pendant une campagne électorale que des ministres soient déployés pour vanter leurs mérites. Comme on dit au village, ce n’est pas le jour du marché qu’on donne du foin à son mouton…Mon inquiétude à ce sujet est que tous ces prêts obtenus par le Président Alpha Condé à l’issue de dures négociations, comment vont-t-ils être débloqués, sachant qu’il y a des conditionnalités strictes de décaissement et qu’il faut compter avec une administration corrompue et qui est déjà aux aguets pour se servir – comme d’habitude ? Vous savez en Guinée, la règle est que théoriquement (c’est-à-dire à la bouche), tous les problèmes sont déjà résolus, sauf qu’on n’y a pas encore touché. C’est dramatique.
Le président Alpha Condé a insisté dans son dernier discours prononcé lors des festivités de commémoration de notre indépendance, célébrées de façon différée, à Kankan le 13 janvier, sur la nécessité pour les Guinéens de conjuguer leurs efforts en faveur de l’unité nationale. Qu’en pensez-vous, M. le président?
Il ne sert à rien de vouloir ignorer que malgré tout, la Guinée vit dans un système ethniciste, c’est-à-dire qui est le contraire de ce que doit être l’Etat unitaire. Nous sommes installés dans un système de condominium politico-ethnique qui a montré tous ses méfaits : corruption, partage du gâteau, régression économique et sociale. Je ne crois pas que ce sera avec des paroles ou des déclarations de bonnes intentions qu’on en sortira. Il faut que chacun de nous pose de vrais actes dans ce sens.
Votre dernier mot ?
Nous avons présenté à ces élections des hommes et des femmes très engagés et prêts à accepter le contrôle de leurs actes par la direction de notre parti. Je voudrais dire à tous nos candidats qu’ils sont en face d’un énorme défi. Ils devront prouver aux populations qu’ils représentent l’UFD, un parti différent, un parti qui a une haute idée du bien public et des conditions de vie de populations. Ils savent que si jamais ils entrent dans les combines ambiantes, la corruption, les injustices contre la population, la vente illicite du domaine communal, la complicité de massacre de l’environnement, la complicité avec les voleurs et les criminels de toute sorte – particulièrement les voleurs de bétail – nous nous chargerons de les dénoncer publiquement et d’alerter la justice.
Je vous remercie.
Propos recueillis par Mamadou Dian BALDE (Le Démocrate)