Censure

Alpha Condé et l’UA: une crédibilité africaine retrouvée mais des actions à réaliser (Par Par Naïny Bérété)

Je considère tout d’abord que c’est une anomalie que jusqu’ici aucun média classique ou aucun intellectuel guinéen n’a décidé de faire le bilan de la présidence africaine du chef de l’Etat Alpha Condé. C’est pour cette raison que je fais cet article afin de corriger cette anomalie avec un regard d’universitaire et le récul nécessaire.

Alors que faut-il retenir de ce mandat ?

S’il est incontestable que sous la présidence de l’homme de Conakry, l’Afrique a retrouvé une certaine crédibilité, de respect et d’écoute sur la scène internationale, il n’en demeure pas moindre que sous sa présidence certaines crises qui perdurent ne soient pas encore résolues, et se sont parfois même aggravées, même si des pistes de solutions envisagées demandent à être jugées sur le long terme.

Une Afrique plus écoutée et un blason redoré sous Alpha Condé

L’afrique est ce continent qui a toujours été celui qui subit la décision des autres même pour ses propres problèmes. Elle a pris la fâcheuse habitude d’être le continent du bené oui oui, qui accepte et applique les décisions extérieures sans sourciller, sans avoir la possibilité de donner son point de vue. Ceci étant, il faut préciser que cela est dû au fait que le continent africain soit incapable de financer sa propre organisation, de mobiliser les ressources prorpres pour financer ses propres actions. Cela en dit long d’ailleurs sur l’indépendance de ce continent qui, au moindre regard international s’arcaboute et se retranche derrière sa souveraineté, mais de quelle souveraineté parle -t-on ! le sage africain a eu raison de dire que la « main qui donne est toujours au-dessus ».

Elu à la tête de l’UA le 30 janvier 2017 lors du 28e sommet de l’organisation. Cette élection est intervenue à un moment où une question sensible était à l’ordre du jour dont le chef d’Etat guinéen s’est distingué par son habilité et son sens élevé de consensus. C’est la question du retour du Maroc au sein de l’UA en tant que 55e membre de l’organisation panafricaine. Mais cette adhésion divisait au sein de l’union africaine. D’un côté, les pays de l’Afrique Australe, les plus réticents et prénant cause pour le Sahara occidental que l’on désigne sous le pseudonyme du groupe d’« Alger », et de l’autre, les pays de l’Afrique de l’Ouest et du centre favorables au retour du royaume chérifien connu sous le nom du groupe de « Rabat ». Finalement le consensus a prévalu, et le Maroc a réintégré l’organisation sans coup férrure et sans qu’il y ait une rupture comme le prédissaient certains observateurs. A la sortie du sommet un diplomate de l’organisation confiait au sujet du président guinéen:  » il y a eu une vraie volonté d’Alpha Condé d’arriver à un consensus« . poursuivant, il affirme que le président Alpha Condé aurait mis  » l’afrique du Sud et l’Algérie au pied du mur en leur demandant de se positionner formellement pour ou contre l’adhésion« . Alpha Condé aura donc réussi à fédérer tous les Etats africains autour de l’essentiel: la cohésion africaine pour faire face aux défis actuels à savoir le développement économique et social, l’éducation, la santé et l’energie.

Justement s’agissant des défis, un certain nombre de reformes ont été initiées pour changer l’image de l’organisation à qui l’on reproche sa lourdeur administrative, sa dépendance économique et son manque de réactivité sur les grands sujets brûlants du continent. Alpha Condé avec d’autres chefs d’Etat comme le rwandais Paul Kagamé, ont été à la manoeuvre pour permettre à l’UA d’être indépendante financièrement. A ce titre, la taxe à l’importation appelée « taxe kaberuka » du nom de son initiateur a été adoptée lors du sommet de juillet 2017. Et Alpha Condé président de l’institution, en bon exemple a fait adopter par le parlement guinéen le 16 mai 2017 la loi portant instutiton d’un prélèvement de 0,2% sur les importations des marchandises. A ce jour, même si certains Etats restent encore réfractaires à cette idée notamment la Tunisie, l’Egypte et d’autres, une dizaine de pays ont dejà ratifié cette mesure. ce qui n’est pas négligeable quand on connaît l’histoire de cette organisation.

« Les problèmes africains doivent être résolus par les africains »

Mais la chose la plus importante de son bilan à la tête de l’organisation à mes yeux, c’est de permettre à l’Afrique d’être respectée et écoutée sur la scène internationale. Une donnée qui n’est pas à négliger quand on sait que le continent africain a toujours été le continent qui subit les décisions des autres, et surtout dans un contexte où les cartes du leadership international sont rebattues. Bouleversé par l’arrivé du turbulent président américain Donald trump et d’un président français assez pragmatique dans les relations internationales, Emmanuel Macron. Alpha Condé a défendu partout où il a été reçu, une solution africaine aux problèmes africains, il a défendu les intérêts africains dans tous les grands sommets internationaux réaffirmant que « l’Afrique est un continent majeur » qui doit être traité d’égal à égal.

Il faut noter que même si tous les Etats n’ont pas encore ratifié la taxe kaberuka, un chemin a été franchi pour rendre indépendante financièrement l’organisation panafricaine.

La médiation, une autre réussite d’Alpha Condé.

L’Afrique est toujours en proie à des théâtres de conflits malgré le fait que l’on soit au 21e siècle. Des conflits stupides qui, au lieu de nous faire avancer, nous régressent des années en arrière. Alpha Condé a contribué de par son statut à éviter des conflits qui auraient pu finir en bain de sangs. Je pense à la résolution du conflit gambien. Quand on sait que la voie de la force était privilégiée par certains chefs d’Etat qui, prétendant défendre la démocratie par des moyens les plus violents, ignorent ou préfèrent  emprisonnés des opposants chez eux. L’issue honorable de cette crise, on la doit à Alpha Condé.

Dans ce sillage d’autonomisation du continent, il a contribué à la mise en place du G5 sahel pour lutter contre les groupes terroristes dans la bande sahélo-saharienne. L’aide extérieure n’est pas réfusée mais elle doit être apportée selon la volonté et les besoins des demandeurs. La crise Libyenne est à la fois une réussite et un échec. Réussite avec des pourparlers politiques qui n’ont certes pas donné d’abord de résultats concrets sur le terrain mais ont le mérite d’exister. J’évoquerai l’échec un peu plus tard.

Si ce bilan positif du président Condé a le mérite d’être souligné et salué, il faut cependant mentionner que sous sa présidence, certaines crises n’ont pas pu être résolues et se sont même aggravées pour certains cas. Et c’est sous sa présidence que cette découverte macabre a été faite en Libye, même si on ne peut pas réellement l’imputer cette situation, n’empêche c’est sous son autorité que ça été découvert.

Des crises qui ont la peau dure

Au nombre de celles-ci l’interminable crise Congolaise. Le mandat du président sortant Joseph kabila ayant expiré depuis novembre 2016 et de surcroit le dernier selon la constitution congolaise, il a préféré rempiler, pas en tripatouillant la constitution mais en optant pour la stratégie du glissement, c’est-à-dire refuser d’organiser les élections avec la bénédiction d’une CENI corrompue et aux ordres. Le président guinéen et celui de tous les africains, héritant de cette situation n’a pas pu apporter de solution au peuple congolais qui avait pourtant misé sur la sagesse du leader de Conakry pour sortir de l’impasse. Mais hélas, l’espoir fut déçu, à cause de la solidarité présidentielle africaine. Les présidents africains préférant toujours se soutenir entre eux même dans l’illégalité au detriment des peuples auxquels ils sont sensés rendre service. Alpha Condé malgré le fait qu’il ait essayé d’organiser des rencontres avec les différents protagonistes de la crise, n’a pas réussit ou n’a pas voulu dire à Kabila qu’il devrait partir. Peut-être a-t-il l’intention de faire pareil chez lui ? l’avenir nous répondra.

L’autre point noir de la présidence condéienne est la situation de la Libye qui n’a toujours pas eu son épilogue. Divisée entre d’un côté, les légitimistes basé à tripoli et non reconnus par la communauté internationale et les légalistes de l’autre, basés à l’est du pays à Tobrouk. Dans cette configuration de chaos, les terroristes ont trouvé le lit d’un endroit idéal pour mener à bien leurs sales besognes. C’est dans cette triste réalité que la chaine américaine CNN a fait une révélation macabre en novembre dernier montrant une vente d’esclaves sur des marchés libyens. Le monde entier s’est indigné. Mais soyons clair, il ne faudrait pas oublier que si ce pays est à la dérive, s’il est dépecé par les factions rivales, si la violence y règne, c’est parce que la France et ses alliés l’ont anéanti en 2011. les marchands d’esclaves ne sont pas tombés du ciel, ils sont arrivés dans les bagages de l’OTAN. A ce propos d’ailleurs, le président Alpha Condé avec le sud africain Jacob Zuma ont été les seuls à l’époque à s’opposer à une intervention internationale en Libye, craignant les conséquences de ce qu’endure tout le sahel aujourd’hui, la somalisation diront certains.

Si cette situation ne doit pas lui être imputable, cependant le manque de solution à la crise politique libyenne est un échec de l’union africaine.

La jeunesse africaine, l’autre oublié du continent.

La jeunesse africaine a longtemps subit les conséquences d’une gouvernance désastreuse des chefs d’Etats africains. Cette réalité a conduit à l’augmentation exponentielle de la migration vers les côtes européennes et par la même occasion des miliers de morts dans le cimétière de la méditerranée. Face à ce constat implacable, les dirigeants du continent ont consacré le sommet UA-UE des 29 et 30 novembre dernier à Abidjan à la jeunesse dont le thème s’intitulait  » investir dans la jeunesse pour un avenir durable ». Desormais la jeunesse africaine attend avec un regard avisé ce que cela va donner comme résultat sur le terrain.

On peut dire que le bilan du président Condé a été globalement positif même si des zones d’ombres existent, ce que je n’ai pas manqué de relever.

Pour nous guinéens, qu’est-ce qu’on peut retenir de sa présidence ?

Une certaine symbolique retrouvée

La Guinée étant un membre fondateur de l’organisation continentale et surtout du fait de son rôle dans la libération des colonies pour leur indépendance, avait jusqu’ici été victime d’une injustice. Injustice parce que, de l’OUA à l’UA malgré le fait que c’est la Guinée qui avait donné à l’OUA son premier secrétaire général en la personne de Diallo Telli, n’avait pas encore assuré la présidence de l’organisation. Assurer la présidence de l’union africaine par un guinéen, c’est un juste retour des choses. Sur le plan symbolique, on peut dire qu’une anomalie a été corrigée.

On n’est jamais mieux servi que par soi-même, dit-on. Alpha Condé l’a bien compris et a profité de sa présidence pour mettre son pays en avant lors de chacun de ses déplacements. De Paris à Pékin, et de Washington à Moscou en passant par Tokyo pour attirer les investisseurs.

Pour les guinéens, cette présidence doit être un motif de fierté et la preuve que la Guinée est de retour sur la scène internationale et qu’elle est désormais incontournable sur la scène panafricaine.

Par Naïny BERETE, Etudiant en Sciences Politiques à Nantes

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