Censure

Confrontation des PV par la CENI : « Ça risque de créer un précédent dangereux », avertit Mohamed Camara

Avec Mohamed Camara, juriste guinéen de renom, nous sommes revenus sur les différentes bisbilles que la classe politique est en train d’entretenir depuis belle lurette. Il décortique ici, avec notre reporter, comment les politiques ont orchestré des combines depuis l’Assemblée nationale en passant par la présidence de la République. « C’était prévisible dans la mesure où les éléments qu’il faut réunir pour réussir une élection contenaient en eux-mêmes des germes… », dit-il d’emblée.

Quel regard portez-vous sur la crise postélectorale du 4 février dernier ?

Mohamed Camara : La crise postélectorale est une crise inutile, évitable si on écoutait, ce n’est pas une surprise ni un étonnement.

Comment ça ?

Ah oui, c’était prévisible dans la mesure où les éléments qu’il faut réunir pour réussir une élection contenaient en eux-mêmes des germes, des incompréhensions qui allaient naître, en l’occurrence : le cadre juridique, le corps électoral et l’organisme de gestion des élections. Si on veut maîtriser une élection aux résultats acceptés de tout le monde ou en tout cas aux résultats irréprochables à bien des égards et aux lendemains pacifiques, ce sont ces trois paramètres-là qu’il faut maîtriser. Mais fort malheureusement, dans notre pays, on ne s’écoute pas assez souvent. Quand des crises naissent, on ne tire pas les meilleurs enseignements pour éviter que les mêmes crises ne se répètent à la longue.

Et pourtant aux lendemains de chaque élection, il y a des recommandations qu’on brandit?

Oui mais ces recommandations, c’est à conditions que ça soient prises en compte. J’ai personnellement fait trois études avec une consultation juridique pour certains partenaires techniques et financiers, qui ont appuyé notre pays à l’effet de détecter les failles juridiques afin de faire des propositions concrètes y compris des propositions de formulations en légistique. Parce qu’il y a une différence entre le législateur et le jurislateur. En légistique, les techniques de rédaction des textes de lois tout a été fait. Vous prenez d’abord le cadre juridique, la manière dont la loi électorale a été adoptée à l’Assemblée nationale. Heureusement que le président de la République n’avait pas promulgué la loi électorale telle que certains ont voulu qu’il la promulgue en pièce détachée. Vous savez, les gens parlaient de détachables, ainsi de suite. Heureusement, sinon ça allait encore être grave. Mais bien que, j’étais content que le président de la République fasse preuve de prudence en ne  promulguant pas la loi à l’époque, à l’état avec les difficultés reprochées à certains articles. Mais quand ça été ramené à l’Assemblée nationale, là, au lieu de faire une seconde lecture pour l’adopter, il a été dit de mettre en forme les textes. Mais l’Assemblée nationale n’est un centre de prestataire informatique comme Mouna internet.

La mise en forme pour un texte de loi, qu’est-ce qu’ils veulent dire par là?

La mise en forme, je ne sais pas ce que ça veut dire, parce qu’une mise en forme d’un texte de loi c’est comme si vous partiez à un centre informatique. Mais l’Assemblée, ce n’est pas cela son rôle. L’Assemblée nationale représente le peuple, elle fait les textes de lois et contrôle l’action gouvernementale. Ce n’est pas un lieu de mise en forme d’un texte de loi. Et les techniciens ont mis des éléments, qui n’ont été totalement expurgé et voilà ce que ça donné.

 Juste pour gérer la crise du moment et puis tant pis ?

On ne gère même pas, on reporte la crise. Et dès que vous critiquez, on vous voit en mal. Au niveau du contenu même de la loi, d’abord la loi électorale, au niveau de sa partie réglementaire, beaucoup de choses manquent. C’est pourquoi, moi je ne la qualifie pas de code électoral.

La partie règlementaire pour nos lecteurs ?

Elle explicite la partie législative, par exemple au sujet des procurations, s’il y avait la partie règlementaire, ça allait donner les conditions qu’il fallait respecter à la gestion des procurations, mais non. Ensuite, ils ont mis dans l’article 86, que les présidents des Commissions administratives de centralisation de votes (CAVC), que ce sont des personnes qui vont être les magistrats de l’ordre judiciaire. Mais soyons quand même un peu logique. Dans notre pays, il n’y a pas deux ordres, c’est un seul ordre. Ce n’est pas comme en France où il y a l’ordre administratif à gauche et judiciaire à droite. Ils ont provoqué un manque de magistrats pour occuper l’ensemble des CACV. D’ailleurs, moi je ne suis pas favorable que des magistrats soient au niveau des CACV.

Pourquoi ?

Pour ne faut pas manquer du respect à ceux-ci. Dès lors que ces personnes descendent dans l’arène politique ou se côtoient avec des politiciens, celui que va perdre, tentera de se justifier en indexant ou en les donnant de tous les noms d’oiseaux qu’ils ne méritent.

Comme ce qui se passe présentement ?

Voilà. Et donc ils ont dit délibérément que les magistrats d’ordre judiciaire doivent présider, ce qui n’est pas leur rôle. Et troisièmement, ils ont créé un manque et comme cela a été créé, ils étaient obligés de donner à un seul magistrat pour trois CACV. C’est comme quand un enseignant surveille trois salles de classes lors d’un examen de baccalauréat dans trois centres d’examen différents. Il surprend des élèves en train de communiquer entre eux, il met fraude sur leurs copies, les mêmes élèves au nombre de 75 se lèvent pour venir se plaindre sa manière de surveiller. Et on dépose la plainte à son niveau ou au niveau de son collègue magistrat, pour que ce dernier puisse sanctionner son propre travail. Soyons quand même sérieux. Vous ne pouvez être superviseur et exécutant ou planificateur à la fois, vous vous contrôlez, vous vous sanctionnez en même temps.

Et qu’en est-il du corps électoral ?

Le corps électoral, ils ont dit que non, que c’est le fichier qui a servi de cadre en 2015 lors des élections présidentielles qui va être utilisé pour les élections communales. En le faisant, ils ont ainsi fait un choix délibéré d’aller avec des anomalies au niveau de ce fichier. Or, si vous ne maîtrisez pas le fichier vous n’avez aucune idée de ceux qui vont voter. Beaucou, de citoyens entre 2015 et 2018 ont changé de quartiers.

En plus, beaucoup aussi sont décédés ?

Beaucoup sont décédés, ils ne sont pas extirpés du fichier. Quand bien même le cadre juridique donc l’article 17 de la loi électorale indique que le fichier électoral doit être mis au bout du jour chaque année du 1er octobre au 31 décembre, ça n’a pas été fait.

Et tout ça, a été mis de côté

Oui tout ça été mis de côté parce que les acteurs politiques avaient pour agenda aller coûte que coûte aux élections : advienne que pourra, comprenne qui pourra. Et puis quatrièmement, ce qui est plus grave, on a privé volontairement beaucoup de Guinéens de leur droit de vote. C’est-à-dire que de 2015 à 2018, il y a des centaines ou des milliers de Guinéens qui ont entre-temps atteint l’âge de 18 ans qui devraient être intégrés au niveau du fichier pour voter. Et ça allait aider à rajeunir un tant soit peu le corps électoral. Quant à l’organisme de gestion qui est la CENI, il est mis en  l’article 21 de la loi 016 que la CENI une fois que les résultats sont rendus publics, les démembrements perdent leurs fonctions. Conséquence en période non élection, la CENI n’a rien comme démembrement fonctionnel. On attend à la veille d’une élection trois mois avant, on vient réactiver les démembrements, on forme les formateurs, les formateurs forment.

Plus souvent à la sauvette ?

Oui, on prend un biologiste pour former un juriste, on prend un technicien de surface parce qu’il est lié à la personne pour aller former des agents de bureaux de votes.

Tout ça fait une sorte d’un effet boumerang ?

Justement un effet boumerang, et ce n’est pas étonnant. D’abord il y a un premier risque de déperdition de connaissances. Si vous, on vous forme, grand formateur pour trois jours, vous grand formateur, vous me formez comme formateur pour deux jours. Moi formateur je vais, je forme l’agent de bureau de vote un jour. Premier risque : déperdition de connaissances, deuxième risque copinage dans le choix des formateurs.

Parce qu’il y a des perdiems et autres ?

Et quand le perdiem est faible, l’agent du bureau de vote qui a été formé brille par son absence et se fait remplacer par quelqu’un d’autre qui n’a rien suivi comme formation bâclée d’ailleurs. Conséquence, il va poser des actes volontairement ou involontairement qui soit de nature à impacter le scrutin.

Les Guinéens sont en train vivre les crises postélectorales. La CENI a fait appel aux partis politiques pour confronter les PV. Comment vous- trouvez cet état de fait?

Je pense que ce n’est pas dans le cadre du respect des textes de lois.

Vous voulez dire que logiquement ça ne se fait pas ?

Ça ne se fait pas, c’est incohérent. Parce qu’après les élections communales, les CACV ont 48 heures pour rendre publics les résultats.  S’il y a une contestation, le Tribunal de la première instance vide le contentieux dans les 48h. S’il n’y a pas de contentieux, la CENI rend publics les résultats automatiquement. Mais, il y a une incohérence, si les articles 113-114 de la loi électorale ont indiqué ces délais, il y a l’article 162 de la loi électorale aussi qui indique que franchement c’est à compter de la réception du dernier procès-verbal, 72h. Donc il y a une incohérence déjà au niveau du délai.

Tout de même, certains estiment que c’est une initiative a salué, vu que, disent-ils, cela ramène la quiétude dans la cité. Bien que cela est contraire par rapport aux textes juridiques ?

Oui, à cause de cela, la seule peut être vertu liée à l’appel de la CENI, c’est qu’il ne faut pas permettre à ce que le travail mal fait par un organe qui est censé bien travaille, qui est composé de 25 commissaires, que cela soit de nature à créer des difficultés au niveau de l’Etat et entre les populations. Puisqu’après tout, on va parler de droit, mais le droit a pour définition de régir les rapports dans la société. Et non d’envenimer les rapports dans la société. L’inconvénient de cet acte, c’est que, ça ne repose pas sur une base juridique. Et ça risque de créer un précédent dangereux. L’avantage, c’est de calmer les esprits, parce que rien ne vaut plus que la paix. Et après tout, on se retrouve dans un dilemme cornélien : il faut faire un choix. Chaque choix comporte des risques. Appeler les candidats à déposer leurs réclamations, alors qu’ils ont rendu eux-mêmes ces résultats publics, ça devient incohérent. Mais est-ce qu’il faut fermer les yeux, parce que simplement la CENI a donné des résultats déjà contestés et aller droit dans le mur. Fermé les yeux sur tout ce qui peut être fait comme vol ou fraude systématiquement.

Justement beaucoup ont jeté la pierre sur le travail des magistrats. Quelle est votre réaction ?

Je pense qu’il faut faire des réformes au niveau des magistrats, pour permettre à ce que les magistrats restent simplement au niveau de leur juridiction. Pour ne pas du tout qu’ils soient mêlés vraiment au niveau des patates chaudes à la base. Parce qu’en descendant dans l’arène de cette manière-là, beaucoup risquent de perdre leur plume. Et deuxième élément, il faut corriger quand même là où, c’est mis. Ce sont des magistrats de l’ordre judiciaire seulement, ces magistrats doivent être qu’au niveau des juridictions pour vider le contentieux. Les CACV doivent être composées que des personnes choisies par la CENI point. Il faut ménager les gens. Et puis troisièmement, il faut accroître le budget de la justice pour permettre à ce que des magistrats soient formés en contentieux électoral, en contentieux administratif. Parce que le contentieux électoral est très sensible, technique et ça se gère dans l’urgence. Donc si vous n’avez pas l’expertise, ça devient compliquer. Et peut-être le dernier élément, c’est qu’il faut permettre à ce que la CENI puisse connaître une réforme à la base pour qu’il y ait de démembrement fonctionnel à tout moment. Ainsi, des personnes vont posséder une expertise électorale, chaque fois qu’on aura besoin de faire une élection, on claque le petit doigt seulement pour battre le rappel des compétences et puis les gens viennent.

Lors du scrutin, certains ont déploré l’immixtion de l’administration. Qu’en dites-vous ?

Il est dit que les membres du gouvernement peuvent battre campagne. Mais le reste à commencer par les secrétaires généraux jusqu’au niveau des plantons, les gens n’ont pas à battre campagne, surtout au sein de l’administration. L’administration doit être neutre. Le problème dans notre pays, l’Etat devient de plus en plus faible face aux partis politiques à qui, il remet même l’agrément. Les ONG même vont jusqu’à brandir un ultimatum à l’Etat, c’est quand même le monde à l’envers. Pour qu’on mette de l’ordre à tout ça, dans une République, il faut quand même que les gens respectent la loi, en commençant par les autorités. Et donc en le faisant, vous allez voir que le pays va fonctionner à merveille. Mais si on va de compromis en compromis, on finira par la compromission, au détriment des lois de la République. Moi j’aime être dans la prévention qu’être dans la guérison.

Interview réalisée par Richard TAMONE (Le Démocrate)

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