Déchirée à l’interne depuis le 5 mars dernier par la crise liée au renouvellement du tiers de ses membres, la cour constitutionnelle, la plus haute juridiction de la Guinée, donne aujourd’hui à l’opinion l’image d’une institution qui est incapable de s’autoréguler. Et par conséquent de réguler les relations entre et au sein des autres pouvoirs constitutionnels. Avant de commenter les conséquences de cette crise sur la réputation de la cour constitutionnelle, M. Youssouf Sylla, juriste-analyste, donne dans cet entretien son avis sur la démarche juridique qui aurait dû être celle du Président de la cour lors du renouvellement du tiers de ses membres.
Que disent nos textes juridiques sur les modalités de renouvellement du tiers des membres de la cour constitutionnelle?
Ce renouvellement est évoqué de manière identique dans la constitution du 7 mai 2010 (alinéa 1 de l’article 101) et dans la loi organique L/2011/006/CNT du 10 mars 2011 portant organisation et fonctionnement de la cour constitutionnelle (alinéa 1 de l’article 4).
Les dispositions precitées indiquent que le mandat des membres de la cour est de 9 ans non renouvelable sous réserve de leurs alinéas 3. L’alinéa 3 de chaque article précité dit que les membres de la cour sont renouvelés par tiers tous les trois ans par tirage au sort. A noter que le but du renouvellement par tiers est de permettre à la cour de construire une mémoire institutionnelle que les anciens membres transmettront aux nouveaux.
Il faut préciser que l’alinéa 3 des articles 101 de la constitution et 4 de la loi organique n’exclut aucun membre de la cour du tirage au sort, y compris son Président. Ils sont tous, sans exception soumis à cette forme de loterie.
Il y a une contradiction entre ce que vous dites et ce qui s’est passé à la cour constitutionnelle. Le Président de la cour s’était exclu du tirage au sort…
Les tenants de l’exclusion du Président de la cour du tirage au sort se réfèrent principalement à l’alinéa 2 de l’article 101 de la constitution qui prévoit que le Président est élu par ses pairs pour un mandat de 9 ans. Étant élu à la tête de la cour pour 9 ans, ils estiment qu’il n’est pas concerné par le tirage.
Si on se réfère à cette disposition pour écarter le Président du tirage au sort, on risquerait de tomber dans une totale confusion. En effet, l’exclusion du Président conduit à soumettre seulement 8 membres de la cour au tirage au sort. Le tiers de 8 étant deux et demi on se demande dans ces conditions comment peut-on sur le plan mathématique remplacer deux membres et demi dès lors que l’on sait que la loi exige le remplacement du tiers, de 3 membres.
La seule manière de remplacer le tiers est de soumettre tous les 9 membres au tirage au sort. L’application de l’alinéa 2 de l’article 101 au renouvellement du tiers des membres de la cour est donc à mon sens une source de confusion totale dans laquelle se retrouve aujourd’hui la cour.
Dans l’hypothèse où tous les membres de la cour participent au tirage au sort, que sera la situation du Président de la cour s’il est tiré au sort?
Il perd sa qualité de membre de la cour constitutionnelle et par conséquent sa qualité de Président. La qualité de Président ne survit pas à la perte de la qualité de membre. Ainsi, la cour nouvellement constituée élit un autre Président à sa place. A mon humble avis, le président de la cour, conformément à l’alinéa 3 de l’article 101 de la constitution participe au tirage au sort non pas en considération de cette qualité mais plutôt considération de sa qualité de membre de la cour.
Il faut signaler que dans le stricte cadre du renouvellement des membres de la cour, la qualité du Président de la cour est une qualité secondaire par rapport à sa qualité principale, celle de membre de la cour. Ceux qui invoquent l’alinéa 2 de l’article 101 tentent de mettre la qualité du Président de la cour au-dessus de sa qualité de membre de la cour pour le mettre en dehors du tirage au sort. A mon avis, cette démarche est juridiquement inappropriée en l’espèce.
Quelles sont les conséquences de la dissension entre les juges de la cour constitutionnelle sur le système judicaire et sur la réputation de cette institution?
Les juges peuvent être d’opinions différentes sur les questions juridiques. Dans la cour suprême américaine par exemple, on a généralement des juges conservateurs et des juges progressistes qui n’appréhendent pas souvent de la même manière les questions dont ils sont saisis. Les juges qui sont en désaccord avec l’opinion dominante au sein de la cour peuvent rédiger des opinions dissidentes. Cette division saine est normale et même souhaitable dans une juridiction de ce niveau. Très souvent, les opinions dissidentes du passé deviennent l’opinion majoritaire du présent.
Mais dans le cas de notre cour constitutionnelle, nous sommes face à la question du renouvellement des membres de la cour dans un cas de division malsaine qui bloque quasiment le bon fonctionnement de la cour. Il s’agit d’une monumentale crise qui sera gravée dans les annales de l’histoire de la justice guinéenne. Compte tenu de son incapacité de s’autoréguler on se demande comment peut-on s’attendre qu’elle puisse réguler les autres pouvoirs constitutionnels et les relations entre ces pouvoirs. Je veux en occurrence parler des pouvoirs exécutif et législatif.
On constate aujourd’hui que le Président de la cour ne forme plus avec les autres membres une « bonne équipe de travail ». Il est à craindre que cette division altère la fonction de juger de la cour.
Enfin du point de vue de sa réputation, il faut dire que cette crise ébranle la confiance du public dans la justice constitutionnelle pourtant garante de la démocratie et de respect du principe de séparation des pouvoirs.
Que préconisez-vous pour sortir de cette crise?
La reprise du tirage au sort des membres de la cour constitutionnelle conformément à l’alinéa 1 et 3 de l’article 101 de la constitution du 7 mai 2010.
Interview réalisée par Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com