Censure

La chronique de Mamadou Dian Baldé : «La femme de César doit pas être soupçonnée »

Le directeur de publication de L’Indépendant-Le Démocrate, Mamadou Dian Baldé a consacré sa chronique de ce  dimanche, au traitement judiciaire réservé aux assassinats de militants de l’opposition en marge des manifestations de rue, dont le nombre a atteint la barre des 94 morts. Une tragédie  qui n’a pas l’air d’émouvoir le gouvernement, qui va jusqu’à rejeter la responsabilité des tueries sur l’opposition, par des tours de passe-passe dignes d’un mauvais prestidigitateur.

Le départ de Mamady Kaba de la présidence de l’Inidh, est  également perçu aux yeux de notre chroniqueur comme la fin pour cette institution des droits humains, qui par la témérité de son président, n’était pas logée à la même enseigne que les autres institutions républicaines.

Cette chronique est servie tous les dimanches sur City fm, en avant-première de l’émission « A vous de convaincre ».   

Talibé Barry: Mamadou Dian Baldé, la chronique d’aujourd’hui s’intitule  « la femme de César ne doit pas être soupçonnée », une expression dont la signification tranche plutôt avec le comportement des autorités dans la gestion de ce dossier sensible qui concerne ces 94 morts. De quoi tout cela retourne, Mamadou Dian?  

Mamadou Dian Baldé :  Face à la levée de boucliers provoquée par la mort de 94 manifestants, en marge des actions de désobéissance civile organisées  par l’opposition depuis 2011, le gouvernement guinéen n’a pas trouvé mieux que de se défausser sur l’opposition, en accusant celle-ci d’armer des individus, dont la mission consisterait à semer la mort dans ses propres rangs.

Le  mensonge, il est hallucinant. Il faut vraiment se tournebouler l’esprit pour faire une telle avanie aux victimes de la répression policière, dont la liste s’allonge au fil des jours, dans notre pays. Il faut aussi déplorer le fait que l’opposition républicaine n’ait décidé de prendre la mesure de la situation relative à ces assassinats, qu’elle qualifie de  » ciblés  », que quand on s’est rapproché de la  barre des 100 morts. Cellou Dalein Diallo et ses pairs ayant passé leur temps plutôt, à mener des combats d’arrière-garde contre des moulins à vent.

Il aura fallu que les familles des victimes ameutent l’opinion sur cette tragédie, pour que les lignes bougent.

Comme on a pu finalement le constater, la pression exercée par les  » Amazones  » de l’opposition, auxquelles se sont greffées certaines femmes issues de la société civile, a mis le pouvoir dans une mauvaise posture. Car ces dames réclament dorénavant qu’il n’y ait plus de mort, en marge des manifestations organisées dans la cité. Elles exigent dans la même foulée que lumière soit faite sur ces 94 assassinats commis depuis 2011, sans qu’aucune action ne soit intentée contre les auteurs de ces drames.

Et comme à son habitude, le gouvernement cherche à se raccrocher aux branches, en allumant un contrefeu. La parade consiste à faire porter le chapeau des tueries au principal parti de l’opposition, qu’est l’UFDG. Ce parti comme pris d’un excès de délire obsidional, aurait donc selon la mouvance, armé des «caïds» de l’Axe Hamdallaye Bambeto – Cosa, pour tuer ses propres militants. Ce qui serait un véritable hara-kiri politique, si cela s’avérait être le cas.

Heureusement que le bon sens a voulu que l’opinion, dans sa majorité mette le doigt sur l’absurdité, dans cette salade du gouvernement. Bien des gens déplorent en effet, que le pouvoir exécutif, au lieu «d’assurer la sécurité intérieure et le maintien d’ordre public avec des forces de police et de gendarmerie», l’une de ses fonctions régaliennes, prenne des raccourcis aussi risqués, qui ne feront qu’affecter davantage le tissu social, très fragilisé. En garantissant ainsi l’impunité aux auteurs de ces tueries.

Je dirai que la ficelle est trop grosse. Et cela n’honore pas le gouvernement, qui doit faire face à ses obligations. Au lieu de vouloir dissimuler la poussière sous les tapis.

Sous d’autres cieux, même la mort d’un seul citoyen suite à une bavure policière, peut entraîner immédiatement la démission des autorités compétentes, dont le premier flic du pays. Me Kabèlè lui, ne s’en offusque point. Soit dit en passant.

C’est dire que ces 94 assassinats qui sont perçus ici comme une «banalité», ferait  un gros scandale ailleurs, dans un pays normal.

Si seulement l’acte héroïque de Arnaud Beltrame, officier de gendarmerie, mort dans une attaque terroriste, le 24 mars, après  » s’être volontairement substitué à une otage  », pouvait inspirer nos forces de sécurité.

Dans cette même lancée,  vous jetez un pavé dans la marre du ministre de la Communications,  M. Rachid N’Diaye, que vous dites être « en roue libre », suite à sa sortie sur TV5

Pour éviter les fourches caudines de l’opinion, le gouvernement tente de faire feu de tout bois. Ainsi, après avoir mis la machine judiciaire en branle, contre les  » bras armés  » de l’opposition républicaine, dont Boubacar Diallo dit  » Grenade  », est présenté comme étant le personnage emblématique, le pouvoir s’est lancé dans une campagne médiatique, qui a démarré par cette interview accordée par Rachid N’Diaye, ministre de la Communication, à TV5. Dans ce jeu de rôle, le ministère accuse à son tour l’opposition d’utiliser des  » groupuscules armés  ». Il s’agit selon lui  » d’un contexte nouveau qui s’apparente à une volonté de déstabilisation du pouvoir et de l’État  ».

Des propos qui ont entraîné un emballement de la toile, comme il fallait s’y attendre. Cela ne surprend guère de la part de ce « séide » du régime, missionné à Paris pour les besoins de la cause.

Le chef de l’opposition avait d’ailleurs éventé cette manœuvre sur les antennes de nos confrères de la radio espace, lundi, en révélant que Rachid N’diaye et le directeur national adjoint du budget, un certain Thierno Madjou, avait été dépêchés à Paris, pour aller charger l’opposition auprès de l’Elysée.

Le recours à Thierno Madjou, neveu du défunt Professeur Thierno Madjou Sow, ancien président de l’Ogdh serait dû au fait que celui-ci est un énarque, issu de la même promotion que le président Emmanuel Macron. C’est ce même cadre, qui dit-on, aurait facilité la rencontre entre Alpha Condé et son homologue français, en novembre dernier.

Le professeur  Sow doit se retourner dans sa tombe.

Les allégations proférées par le ministre de la Communication sont d’une extrême gravité, d’autant qu’elles confirment la volonté du gouvernement de ne pas faire la lumière sur les crimes commis, depuis qu’Alpha Condé est aux affaires.

Vous qualifiez également les échanges musclés  entre opposants et cadres de la mouvance présidentielle « d’ambiance de cour de récréation », expliquez-nous ça ?

Les passes d’arme entre les opposants et certains caciques du régime, par presse interposée, ressemble à une ambiance de cour de récréation. C’est le moins qu’on puisse écrire.

Amadou Damaro Camara, président du groupe parlementaire Rpg-Arc-en-ciel à l’assemblée nationale, dans ses épanchements dans les médias, ces derniers temps, n’est pas du tout tendre avec Cellou Dalein Diallo, qu’il accuse de vouloir déstabiliser le régime. Il en veut pour preuve ces manifestations de rue, à n’en plus finir, dont le pouvoir redoute beaucoup. Dans la même dynamique, Albert Damantang Camara, porte-parole du gouvernement, lui, a saisi la justice d’une plainte contre le député de l’Ufdg, Ousmane Gaoual Diallo. Le ministre voudrait sans doute   »laver son honneur, souillé », pense-t-il, par le député, qui l’a inscrit en bonne place, sur une liste de cadres du parti au pouvoir, que l’honorable Gaoual Diallo accuse d’être les maîtres à penser du système Condé. Ceux qui inspireraient  » la haine  » à la base du parti, pour la pousser à la violence.

Ousmane Gaoual, qui est soupçonné aussi de nourrir des velléités, dans le cadre de ‘’menées-subversives’’, se dit prêt à répondre devant les juridictions compétentes, en cas de besoin. Il a fait savoir cela, à travers une note adressée au garde des sceaux.

Dans ce bras de fer, le député a décidé de porter le fer contre la mouvance qui l’accable, en portant plainte contre dix propagandistes du pouvoir, appelés abusivement  » communicants  ». La justice a donc du pain sur la planche, après que la société civile lui ait secoué les prunes, dans le cadre d’une saisine contre ceux qui se servent de la toile comme outil de propagande, au service de leur parti respectif. Et dont le job consiste à couvrir de tombereaux d’injures, tous ceux qui portent la critique à l’encontre de leurs chapelles politiques.

Pour finir, vous en arrivez au triste constat que « l’avenir de l’Inidh est en  pointillé », avec le départ de son président Dr Mamady Kaba réputé pour son outrecuidance

Je dirai que le moment est venu pour le palais de faire sa fête au président de l’Inidh, Dr Mamady Kaba, ce président d’institution, qui n’a jamais voulu rentrer dans le rang. En faisant prévaloir jalousement son indépendance et sa probité morale, en faveur de l’équité et de la justice pour tous les Guinéens. Cette  » rébellion  » de celui qui, aux yeux du Prince, paraissait fumer la moquette, a valu à Mamady Kaba toutes  » les misères  » du monde durant son mandat. Sans moyens logistiques, l’Inidh a été tenue de squatter les anciens locaux du département de la Culture et du patrimoine historique.

La présidence de la République, qu’on dit prompte à distribuer des voitures à tour de bras, n’a jamais pourtant doté l’Inidh d’engins roulants. Quant à la subvention accordée à cette structure, juste 2 milliards de GNF par an. Un os à ronger, comparé à ce que les autres institutions républicaines reçoivent. Dr Mamady Kaba part tout de même la tête haute, car il a réussi à redorer le blason de cette institution  » mal née  ». C’est aujourd’hui l’une des rares personnalités qui fait l’unanimité au sein de l’opinion.

Son seul regret est de n’avoir pas été entendu par les autorités compétentes, en faveur d’une refonte de l’Inidh. En vue de la rendre conforme au principe de Paris.

Opposition et société civile sont unanimes à dire que l’avenir de l’Inidh est dorénavant en pointillé, avec le départ de Mamady Kaba.

Après avoir serré la vis à Kaba durant son mandat, le pouvoir lui, peut se frotter les mains. Car le prochain président sera quelqu’un qui va filer doux.

Candidats à vos marques, donc…

 

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