Dans cet entretien accordé à notre reporter, le juriste consultant Saikou Yaya Diallo dénonce le laxisme du parlement guinéen et l’inertie des députés à jouer leur rôle. Pour lui, les 5 années de législature n’ont presque servi à rien.
M. Diallo bonsoir. Quelle lecture faites-vous de la session des lois qui vient d’être ouverte ?
Sakou Yaya Diallo : Mon regard est très mitigé. Cette Assemblée nationale n’est pas outillée en termes de ressources humaines. Nos députés sont assez nuls en matière de lois, de sorte que nous avons des lois bancales. Par exemple quand vous prenez le code électoral avec tous les efforts que nous avons faits, les députés n’ont jamais accepté de coopérer et n’ont pas examiné la loi, et aujourd’hui nous avons des problèmes avec ce code.
Quand vous prenez le budget national, il n’y a aucun contrôle. Par exemple le mobilier de bureau qui est affecté à tous les services de l’Etat est changé chaque année. Une chaise qui est achetée en 2017, a été rachetée en 2018, peut être rachetée en 2019. Nous avons l’impression que nos députés ne contrôlent pas les dépenses de l’Etat.
Depuis que cette Assemblée a été mise en place, elle n’a jamais ouvert une enquête parlementaire. Aujourd’hui, la corruption, le détournement des deniers publics, ce sont plus qu’une réalité chez nous. Les entreprises minières sont venues s’installer et elles ne respectent pas les clauses conventionnelles surtout sur pas l’environnement. Prenez le cas de Boké, vous avez les multiples émeutes qu’on y a enregistrées l’année 2017.
Toutes ces questions font qu’en tant qu’analyste, nous restons un peu dubitatifs par rapport à l’efficacité de cette Assemblée nationale.
Pour cette session des lois sur une trentaine de textes proposés, seuls 6 remplissent les conditions de recevabilité selon le président de l’Assemblée nationale. Comment trouvez-vous cela ?
C’est pour dire que nos députés ne travaillent pas. Moi j’ai l’expérience d’aller à la commission des lois. La plupart des députés dès que la session des lois ouvre, ils prennent leur avion et partent en vacance. Il n’y a aucun contrôle, c’est un laisser-aller total. Sinon comment on peut imaginer durant toute une année sur une trentaine de textes de lois, qu’on a pris qu’une dizaine de lois pour 90 jours. C’est-à-dire 3 mois d’emblée, ils ne vont travailler que sur ces lois. Je pense que c’est très dangereux. A notre sens, nous croyons que les députés doivent fournir beaucoup plus d’efforts. Mais vous verrez que dans la plupart de ces textes de lois, également, il n’y a aucune proposition de loi. Les textes ne viennent que du gouvernement et là aussi si vous vérifiez, ce sont des conventions d’argent au détriment du peuple de Guinée. Cela est une inquiétude pour nous.
Nous en appelons à la responsabilité de nos élus parce que nous croyons qu’ils sont payés pour ça. Je tiens à rappeler que chaque député reçoit 600 000 GNF comme prime journalière pendant la session. Ce qui est aberrant dans ça, même si tu n’es pas là, cette prime t’est versée. Alors que normalement cette prime ne devait être versée qu’à celui qui siège à l’Assemblée nationale pendant la session des lois. Voilà combien de fois, il est regrettable de constater que des élus qui ne font pas leur boulot, mangent l’argent du peuple et derrière nous avons rien.
Cette Assemblée termine son mandat cette année. Mais tous les députés ont décidé de ne pas mettre une ligne budgétaire pour les élections législatives.
Justement c’est sa dernière année. Globalement qu’est-ce qu’on peut tirer comme bilan de cette troisième législature ?
C’est un bilan largement négatif en ce sens qu’aucune enquête parlementaire n’a été ouverte malgré tous les scandales que nous avons connus.
Quelle est la loi que l’Assemblée nationale a adopté qui constitue une satisfaction pour la population. Je rappelle que le code électoral, la majorité des députés étaient unanimes par rapport à cette loi que toute la population est en train de dénoncer aujourd’hui. Il vous souviendra que c’est la même Assemblée nationale qui a refusé qu’il y ait une CENI technique.
Toutes ces questions font que nous sommes sincèrement déçus de cette Assemblée nationale. Nous osons espérer que ça sera la dernière législature de tous ces députés qui sont là. Et que d’autres générations viendront les remplacer pour faire le travail de l’Assemblée.
Entretien réalisé par Sadjo Diallo (l’Indépendant)