Dans cet entretien accordé à notre rédaction, Ibrahima Sanoh parle de son essai intitulé ‘’Pour une réconciliation nationale en République de Guinée’’. Il fustige quelques expressions qu’utilisent certains Guinéens et propose des pistes de solution en vue d’une réconciliation nationale réussie. Par ailleurs, l’écrivain a déploré l’absence du commissariat Conakry capitale mondiale du livre lors de la dédicace de son œuvre.
Vous venez de publier un essai qui parle de réconciliation nationale. Faites-nous un petit résumé ?
Le livre ‘’Pour la réconciliation nationale en République de Guinée’’ est un essai de 202 pages. Il s’inscrit dans une approche de justice transitionnelle, qui s’inspire des bonnes pratiques en matière de réconciliation nationale à travers le monde et qui aussi tient en compte nos particularités historiques, sociologiques guinéennes afin de pouvoir proposer une approche de réconciliation et qui puisse permettre une réconciliation qui ne soit pas factice avec les sentiments. Mais une réconciliation courageuse et vraie afin de réconcilier l’Etat des Guinéens avec lui-même et avec son peuple pour faire renaitre une nouvelle arche d’alliance.
Cet ouvrage est composé de 4 chapitres. Il pose premièrement la question dans le chapitre 1 comment sommes-nous arrivés là. C’est-à-dire dans ce chapitre, j’ai voulu savoir pourquoi est-ce que la réconciliation s’impose d’elle-même, pourquoi elle est imminente ? C’était de ressortir un peu les points de frictions à travers notre histoire afin de pouvoir justifier la réconciliation et aussi voir quelle approche méthodologique mettre en place. Le second chapitre, c’est la méthodologie de réconciliation. Elle définit qu’est-ce que la réconciliation doit faire et qu’est-ce qu’il faut pour que la réconciliation aille mieux. Donc, dans ce deuxième chapitre, j’ai dit qu’il faut mettre en place une commission de réconciliation et les conditions pour que cette commission soit acceptée et qu’elle soit légitime. Après les autres étapes de son travail sont aussi données à savoir par exemple le rétablissement de trois vérités : factuelles, dialogiques et personnelles ; à savoir la justice, les réparations, les excuses officielles de l’Etat et aussi les reformes qu’il faut pour la réconciliation. Le troisième chapitre parle donc de ces réformes nécessaires à la réconciliation. Le quatrième parle des erreurs à éviter pour une réconciliation nationale.
Pourquoi dans ce livre, vous vous opposez à ceux qui, pour démontrer qu’ils ne sont pas ethnocentristes déclarent par exemple qu’ils ne sont ni malinkés, ni peuhls, ni soussou, qu’ils sont Guinéens ?
Je trouve que cette approche est négationniste parce que le fait de dire quelqu’un qui est-ce qu’on est, n’est pas en sorte quelque chose qui soit ethnocentrique. L’ethnocentrisme suppose que moi par exemple je me base sur mon ethnie pour juger les autres à l’aune donc de mon ethnie soit pour les juger en inferieur, surtout ça. Le fait de dire par exemple je suis de telle ethnie ne nie pas l’autre. Mais nier l’autre, c’est une sorte d’intolérance. C’est pourquoi je dis que chacun peut s’assumer. Le fait de dire qu’on est peuhl, malinké ou kouranko n’a rrien d’ethnocentrique, ça nie nullement les autres, ça a plutôt deux aspects. Un aspect communicationnel qui consiste à dire à l’autre que voilà ce que je suis et un aspect performatif, dire les autres comme nous ne sommes pas de même ethnie, voilà donc qu’il existe de différence entre nous. Les particularismes culturels au fait lié à l’histoire, à la culture, aux valeurs et donc il faudrait en tenir pour que nous puissions vivre ensemble.
L’approche qui consiste à nier l’autre pour affirmer une nationalité qui soit guinéenne est une approche elle-même intolérante. Je crois que si jamais nous voulons lutter contre l’ethnocentrisme, il ne s’agit pas de nous nier, mais c’est de montrer qui nous sommes et de montrer aux autres aussi la ressemblance. La diversité, c’est de la que vient la richesse. Amadou Ampathé Bâ disait que la beauté d’un tapis dépend de la variété de ses couleurs embattues de l’humanité. Donc si nous tous, nous refusons d’être ce que nous sommes pour être qui nous ne sommes pas, nous devenons intolérants. Mais si nous acceptons d’être celui que nous sommes et d’accepter que les autres soient ce qu’ils sont, on permet donc de voir la différence entre nous et de cette différence-là, on peut la valoriser, la respecter, donc avoir le sens de l’altérité et de la tolérance. C’est pour ça, je dis que le fait de dire qu’on n’est ni peuhl, ni soussou, ni malinké seulement Guinéen, cette approche n’est pas bonne, elle est intolérante. C’est pourquoi moi je la combats. Etre peuhl, malinké, soussou, kissi ne veut pas dire qu’on n’est pas Guinéen ou méchant ou que les autres ne sont pas bons.
Dans cet essai, vous refusez de croire aussi que la Guinée est une famille
Je trouve que malheureusement ici en Guinée, nous avons un problème, on n’a pas le courage de s’assumer. Lorsqu’on regarde un peu l’histoire de la Guinée, ce que nous refusons aujourd’hui, ce que nous qualifions d’ethnocentrisme, c’est dans l’histoire ça commence. Il y a eu en Guinée des violences transversales, des violences d’Etats Mais en 1976 Sékou Touré s’est personnellement attaqué à une communauté dans trois discours en les traitant de traitres, les femmes de prostituées, excusez-moi. C’est de là commence le mal. C’est pour cela dans la réconciliation, j’ai dit il faut qu’il y ait des excuses pour ces faits pareils. Et Conté a dit aussi ‘’wonfatara’’. Quand vous dites aux gens qu’ils sont traitres, qu’ils ne sont pas des Guinéens, qu’ils sont des nomades, vous les refuser des bourses, naturellement vous faites une approche ethnocentrique et il faut combattre.
Et lorsque ça vient de l’exécutif vous voyez ce que ça fait chez les gens. Ça donne un aspect performatif, ça conditionne un peu leur façon de faire les choses. Comme le président l’a dit et il est une sorte de leader, les autres aussi sont tentés de croire que tout ce qu’il a dit est vrai. C’est pourquoi, nous voyons aujourd’hui, les Guinéens taxés les autres d’être des étrangers. En un certain temps dans les années 90, il y a un auteur qu’on appelle Néné Moussa Malèya Camara qui a écrit un livre ‘’la Guinée est une famille’’. Il a essayé de dire que oui nous avons des problèmes ethnocentriques. Mais au lieu de venir à la source pour dire qu’est-ce qui s’est passé d’assumer les choses, lui, il n’est pas venu. Il dit non, il faut inventer une nouvelle ethnie dans son livre il le dit clairement. Les nouvelles ethnies c’est quoi, c’est une nouvelle ethnie guinéenne. Il se base donc sur la tradition du manding pour dire que la Guinée est une famille pour faire par exemple la fraternité à cousinage pour dire voilà, Camara c’est telle chose ou qu’il y a Camara un peu partout en Guinée. Cette façon de faire elle est bonne. Quand vous dites que les Camara sont ici ils sont là-bas, ça fait que les Camara sont dispersés. Mais autant ça ne montre à rien en quoi la Guinée serait une famille et d’autant plus qu’aujourd’hui nous voyons un laxisme, une sorte d’impunité. Quand quelqu’un fait le mal. On dit non, nous sommes tous de la même famille, on ne doit pas faire les choses. Et quand les gens font des choses les plus mauvaises qu’il soientt au lieu de les condamner, on essaie de faire fondre cette responsabilité en disant nous sommes de la même famille, acceptons-nous, c’est comme maintenant nous avons des problèmes d’exclusion en Guinée. Une exclusion que le pouvoir utilise. Il y a des pratiques qui ne sont pas bonnes au lieu de les dénoncer avec un ton ferme, certains gens hypocrites, lâches, utilisent des tons paternes et doucereux, la Guinée est une famille pour éluder donc ces réalités.
Je crois que cette approche qui consiste à dire que la Guinée est une famille est une grande hypocrisie. Elle n’est ni historique, elle n’est ni scientifique comme je l’ai dit dans le contexte, c’est une approche purement politique. L’ouvrage n’est ni scientifique. Il suffit de lire le livre de Néné Moussa Malèya Camara pour se rendre compte que c’est un recueil de poèmes. Les Guinéens malheureusement ne lisent pas c’est pourquoi j’ai dit dans mon livre en Guinée nous chérissons les idées simples et simplistes et les idées complexes, nous ôtent tout notre courage et nous rendent perplexes. Tout ce qui est simple et slogan pompeux on les aime, la Guinée est une famille. Mais cette approche ne résout en rien la problématique de réconciliation, elle la piège. Et nous, nous voulons la réconciliation. Les problèmes liés au vivre ensemble, à la réconciliation nationale, donc à l’ethnicise, qu’on les pose sur la table. C’est ce qu’on essaie de montrer dans notre ouvrage de réconciliation avec courage pour que chacun puisse vivre en harmonie en Guinée avec lui-même et avec les autres.
Alors, quelles solutions préconisez-vous pour une réconciliation nationale en Guinée ?
Je l’ai dit clairement pour qu’on puisse avoir une réconciliation, il faut que nous mettions en place une commission définitive pas provisoire. Elle ne peut pas être politique ni religieuse. La question de réconciliation, ce n’est pas entre Cellou Dalein et Alpha Condé. Elle est antérieure à celle-là. C’est une question historique. Ce n’est pas entre telle ethnie et telle ethnie, c’est faux, c’est une question transversale. Il y a eu des victimes de tous les bords, de toutes les ethnies. Et ces victimes aujourd’hui sont des Guinéens et la Guinée n’a pas une mémoire. Et lorsqu’un pays n’a pas une tradition de mémoire, nous continuons donc à faire des itérations derrière. On se verra un jour dans le gouffre à force d’itérer les erreurs. Donc, nous disons qu’il faut mettre en place une commission composée d’hommes et de femmes, de scientifiques, d’anthropologues, d’historiens, de sociologues, des coutumiers, des religieux et non pas des politiques. Elle doit être présidée par un scientifique, quelqu’un choisit par les Guinéens et non pas par une squat afin de piloter cette commission que je voudrais scientifique restreinte.
Cette commission devra dans la réconciliation rétablir les vérités personnelles, dialogiques, après les vérités factuelles, les documents, les preuves par rapport à l’histoire afin qu’on puisse donc rétablir toutes ces vérités.
La seconde chose, on ne peut pas avoir de réconciliation sans justice. C’est ce que les gens-là ne veulent pas aujourd’hui, c’est-à-dire pardonner. Comment est-ce qu’on peut pardonner quelque chose qu’on n’a pas assumé depuis combien de temps ? Depuis plus de 50 ans, on est en train de nier, on fait le nihilisme dans le pays et comment les gens peuvent pardonner lorsqu’ils ne savent pas où est-ce que se trouvent leurs parents qui ont été tués où est-ce que se trouvent les vérités par rapport aux meurtres, aux pillages de leurs biens. Il faut qu’il y ait de la justice, la justice parfaite n’existe pas, mais la justice dans la mesure humaine possible. Tous les régimes ont engendré des violences. Même le régime d’Alpha Condé doit être inclus dans cette question de réconciliation et de justice parce qu’il y a plus de 90 Guinéens qui sont tombés sous son régime.
Il faut qu’il y ait aussi de l’amnistie sans amnésie parce que certains ont tué d’autres. Les familles cherchent des vérités par rapport aux meurtres de leurs parents afin qu’ils puissent entamer leur deuil manqué. Mais si ces gens-là n’ont pas la vérité, comme est-ce qu’ils vont entamer le deuil manqué. Donc la commission de réconciliation doit avoir une telle prérogative.
Il faut qu’il y ait aussi les excuses officielles de l’Etat parce qu’elles permettent la réattribution de la honte. Que les dirigeants non responsables des crimes passés arrivent non seulement à les reconnaitre, à les regretter, à s’excuser pour pouvoir rétablir une nouvelle arche d’alliance, pour que la réconciliation donc puisse aller. Par rapport à ça, il faut qu’il y ait des excuses non pas seulement pour une seule communauté bien qu’il le faut, les excuses aux victimes, à leurs parents, au peuple de Guinée, aux communautés qui ont été rabaissées. Les excuses par exemple pour regretter les discours ethniques de Sékou Touré en 1976, les discours aussi de Conté lorsqu’il dit ‘’wonfatara’’ et les discours de tous ces dirigeants qui ont porté sur des propos ethnocentriques.
Il faut qu’il y ait aussi des réparations. Réparer un mal qu’on a commis, on ne peut pas le faire lorsqu’on a tué, il faut qu’il y ait des réparations matérielles, des réparations symboliques et les réparations de réhabilitations.
Après, il faut qu’il y ait des reformes. Aujourd’hui, nous avons des institutions, un modèle économique, un système éducatif qui ne sont pas bons. Il faut aujourd’hui, qu’on crée les conditions aussi pour que la réconciliation qui n’est pas statique soit dynamique pour qu’au fil du temps, nous puissions avoir un baromètre de réconciliation afin de réconcilier les Guinéens avec leur histoire et entre eux.
Après comme l’histoire de la Guinée n’a pas été réécrite, comme elle n’est pas consensuelle, il faut mettre en place un comité de réécriture de l’histoire de la Guinée afin d’éviter aux prochaines générations son déni, sa falsification et donc sa négation. Et qu’on l’enseigne et qu’on la vulgarise. Parce que c’est à l’absence de la vérité que le mensonge prolifère et quand la vérité est connue, le mensonge disparait.
Après la dédicace officielle de votre livre, vous vous êtes attaqué au commissariat de Conakry capitale mondiale du livre. Qu’est ce qui s’est passé ?
J’accuse Conakry capitale mondiale du livre d’avoir des liens incestueux. Il se trouve que le commissaire général de Conakry capitale mondiale du livre est en même temps PDG d’harmattan Guinée, ce qui fait que quelque part, il y a un conflit d’intérêts et il ne peut exercer les mêmes choses en même temps. Dès lors qu’il s’agit de la dédicace d’un ouvrage qu’Harmattan fait, il met tous les efforts qu’il faut. Et lorsqu’il s’agit d’un autre ouvrage, même publié en Guinée parlant de la Guinée, ils ne font pas ce qu’il faut. Eux qui ont fait l’invitation, n’ont pas pu inviter les journalistes, tous ceux qui étaient venus, c’est moi qui les ai invités. Est-ce normal qu’il décide du choix d’une date et de son sabotage. Le même jour, ils ont programmé deux activités, une à 16 heures et une autre à 18 heures. Celle-là qui se tenait à 18 heures était une exposition de photos. Ils sont allés à l’exposition de photos, ce n’est pas mauvais, sauf il aurait été bon pour eux qu’ils s’associent aussi à notre évènement d’autant plus qu’il n’y avait pas une coïncidence horaire. Ils auraient pu venir. Lorsque je l’ai attaqué par voie de presse, un des coordinateurs a dit que ce ne sont pas eux qui ont choisi la date, que c’est quelqu’un qui les a imposés la date. Est-ce que quelqu’un peut imposer une date à une institution aussi sérieuse, vous voyez que ça n’a été qu’un acte de sabotage.
Mais le livre souffre en Guinée. Quand vous publiez des choses, vous n’avez pas droit d’auteur et même quand vous faites des choses sur la Guinée, vous êtes saboté. Je trouve que le livre est plus important que la photo, mais malheureusement c’est ce qui est arrivé, c’est ce qui m’a mis en colère. Ils ont choisi la date, ils l’ont sabotée. Celui qui a publié mon livre, c’est la SAEC, il pense que promouvoir, en parler par voie de presse, c’est faire une publicité à un concurrent. Les autres savent que ce qui se passe n’est qu’une grande escroquerie, mais ils n’osent pas avoir ces cris du cœur pour sauver le livre, sauver ce pays.
Nous avons appris que vous avez rencontré le ministre Gassama Diaby. Qu’en est-il ?
Oui, il m’a reçu dans son bureau. Il m’a dit qu’il trouve que mon approche par rapport à la réconciliation était doublement bénéfique. Il en a loué les qualités. Mais je dois dire que cette démarche est salutaire. Ça veut dire qu’à son niveau, il s’est impliqué.
La question de réconciliation nationale ne se tranche pas au niveau d’un ministère. Il se peut que lui, il ait la volonté, mais si l’exécutif n’en a pas, malheureusement ça ne peut pas marcher. Il a promis de me rappeler. Mais moi je ne m’attends à rien qu’il m’appelle ou pas, moi je vais continuer à prêcher la réconciliation à ma façon.
Entretien réalisé par Sadjo Diallo In le Démocrate