Le directeur de publication de L’Indépendant-Le Démocrate, Mamadou Dian Baldé a consacré sa chronique de ce dimanche à l’éviction de deux hauts cadres de l’administration publique pour des faits de corruption. Il faut toutefois faire preuve de prudence, et se demander si cette mesure considérée comme un message fort envoyé par le Premier ministre, dans sa croisade annoncée contre la corruption, ira jusqu’au bout. Quand on sait le manque de volonté affiché par le président de la République dans l’éradication de ce fléau, depuis son avènement à la tête du pays, il y a de cela 8 ans.
Cette chronique vous est servie tous les dimanches sur City fm, en avant-première de l’émission « A vous de convaincre ».
Talibé Barry: Ce dimanche vous abordez dans votre chronique le limogeage de deux dirigeants de structures étatiques, suite à des soupçons de détournement de fonds. Vous appelez toutefois à la prudence dans la lecture de ce qui est qualifiée de mesure « forte », et qui émanerait du Premier ministre Dr Kassory Fofana?
Mamadou Dian Baldé : Le limogeage de Sékou Camara et Paul Moussa Diawara, respectivement directeur général de l’Office guinéen des chargeurs (Ogc) et directeur général de l’Office guinéen de publicité (Ogp), est perçu au sein de l’opinion comme un signal fort envoyé par le Premier ministre Dr Ibrahima Kassory Fofana dans sa croisade contre les grilleurs d’arachide.
Une fois n’est pas coutume, l’enthousiasme provoqué par ce coup de balai, a été ressenti même au sein de l’opposition la plus radicale, dont le porte-parole Alhousseyni Makanéra s’est mué en harangueur de Kassory. Qui trouve en lui, un homme « intègre ».
On a donc vu suite à l’éviction de ces deux présumés prévaricateurs, les plus farouches détracteurs du régime tresser des couronnes de lauriers au Premier ministre.
Ça en valait sans doute la peine, quand on sait que depuis l’élection d’Alpha Condé en 2010, des mesures fortes en matière de lutte contre la corruption, il n’y en a pas eu. Le gouvernement s’est juste contenté des effets d’annonce.
Il faut toutefois éviter de verser dans l’angélisme, en attendant de voir si le Premier ministre va s’attaquer bille en tête au fléau de corruption qui gangrène notre administration.
On se souvient que Kassory avait fait du combat contre la corruption, son argument de campagne, dans la course à la Primature.
Et comme il fallait s’y attendre, le passé sulfureux de l’homme avait aussitôt ressurgi. Ses détracteurs ont du coup tenu à rappeler que le Premier ministre est loin d’être un parangon de vertu. Qu’il avait bel et bien lui aussi des cadavres dans son placard.
Il revient dorénavant au Premier ministre de démontrer le contraire de ces allégations.
Lui dont la « métamorphose » pourrait être interprétée comme un signe des temps.
Ainsi, ceux qui considèrent Sékou Camara et Paul Moussa Diawara comme n’étant que du menu fretin, qu’on a jeté en pâture à l’opinion publique, pourraient assoir leur conviction sur la volonté du nouveau gouvernement de nettoyer les écuries d’Augias.
Il s’agit là d’un pari risqué à prendre pour le Premier ministre, quand on sait que notre pays est tenu par une oligarchie de fait. Les dirigeants et leur entourage étant plus soucieux de protéger leur rente de situation que du sort de la population.
Le parti au pouvoir pas gêné aux entournures
Vous relevez aussi le fait que le parti au pouvoir ne soit pas du tout gêné aux entournures, et a plutôt préférer lâcher ses cadres mis en cause dans ces affaires sulfureuses ?
La désinvolture avec laquelle les deux hauts commis de l’État disposaient des ressources publiques ne peut que susciter indignation et colère chez le contribuable guinéen. Et cela est une preuve éloquente que le gouvernement a du mal à bien tenir les cordons de la bourse publique.
Et c’est vraiment dommage que l’argent public soit géré par des cadres qui n’ont pas l’honnêteté chevillée au corps. Face à l’écho qu’a eu cette affaire au sein de l’opinion, le parti au pouvoir a pris ses distances avec les deux directeurs qui ont désormais la tête dans la boue.
Le Rpg arc-en-ciel n’est donc pas gêné aux entournures, bien que ces cadres soient issus de ses rangs. La direction a d’ailleurs profité de son assemblée générale pour se désolidariser des deux directeurs généraux évincés de leurs postes et poursuivis pour prévarication des deniers publics. Saloum Cissé, secrétaire général du parti, a favorablement accueilli la mesure.
«C’est une très bonne chose », a-t-il lâché, devant un parterre de journalistes, en marge de leur réunion hebdomadaire de ce samedi.
Ajoutant dans la foulée que ‘’la direction nationale du parti apprécie à plus d’un titre l’acte du pouvoir central. Il faut que le contrôle soit vraiment effectif dans tous les secteurs’’, a souhaité ce baron de la majorité présidentielle.
Par ce coup de pied de l’âne assené aux deux dirigeants de société, le parti au pouvoir vient de démontrer qu’il est sans état d’âme et ne s’embarrassera d’aucun scrupule, quand il est question de sacrifier même ses éléments les plus zélés. Pour ripoliner l’image du pouvoir exécutif.
Sékou Camara et Paul Moussa Diawara sont aujourd’hui honnis et bannis au Rpg, dont la direction a embouché la même trompette que l’opinion nationale dans son ensemble pour crier haro sur eux.
A eux donc de se dépêtrer de ce merdier dans lequel ils se sont foutus, par leur cupidité. Sans perdre pour autant de vue que Sékou et Paul Moussa bénéficient pour le moment de la présomption d’innocence.
Le baiser de judas de Kassory à Cellou ?
Pour terminer Mamadou Dian, vous vous demandez si le chef de file de l’opposition ne se laissera pas prendre par les sentiments d’amitié qui le lient vraisemblablement au Dr Kassory Fofana, pour se faire entortiller?
Le Premier ministre a dès sa prise de fonction, entamé une série de visites dans les institutions républicaines et dans les sièges des partis politiques. Une manière pour Kassory Fofana de gagner certainement la confiance de ces structures.
C’est ainsi que le lundi 4 juin il s’est rendu au quartier général de l’Union des forces démocratiques de Guinée (Ufdg), où il a été reçu par Cellou Dalein Diallo. Après des échanges de poignées de main et d’accolades, Cellou et son hôte ont eu des discussions sur la nature de la collaboration que le Premier ministre souhaiterait avoir avec l’opposition.
Il a mis la rencontre à profit pour demander au président de l’Ufdg de lui faire parvenir un mémorandum relatif aux revendications de l’opposition républicaine.
Mais quand on sait que le pouvoir exécutif ne manque pas d’habiles tours de passes passes, pour se soustraire de ses engagements, rien ne garantit pour le moment que le nouveau Premier ministre ferra bouger les lignes dans la résolution de la crise post-électorale.
On peut même qualifier la situation de bouteille à l’encre.
Avec Kassory Fofana, on peut bien craindre que le chef de file de l’opposition ne se laisse guider par ses émotions, dans ses rapports avec l’exécutif. Et au cas où Dr Kassory s’inscrivait dans la même logique que le locataire du palais Sékhoutouréa, alors Cellou Dalein risque de se faire de nouveau entortiller.
Même si son discours de ce samedi, appelant à la remobilisation de ses troupes, semble indiquer pour le moment que l’homme est encore sur ses gardes.