Censure

Guinée : Les moyens du redressement existent (Par Bah Oury)

« Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va ».

Ce proverbe de Sénèque s’adapte parfaitement à la situation guinéenne d’aujourd’hui. En effet la récente hausse brutale du carburant à la pompe de 25% (de 8000 GNF le litre à 10000 GNF/l) a généré une contestation populaire conduite par les syndicats et les forces sociales. Le retour au précédent tarif est le leitmotiv des représentants sociaux face au gouvernement qui de son côté argue « qu’il est impossible de faire autrement ». Ainsi les bases du dialogue (gouvernement –acteurs sociaux et  syndicaux) doivent aller au delà de la fixation du prix du litre de carburant à la pompe pour aborder la totalité des causes des blocages de notre économie. C’est par cette voie que cette crise pourra accoucher de perspectives heureuses pour la population guinéenne.

En effet la contestation du niveau du prix du carburant actuel n’est que l’aspect périphérique d’un problème structurel  et récurrent de la nature de la gouvernance économique de la Guinée. Ce mal gangrène les efforts et les sacrifices des guinéens depuis plusieurs décennies. Il est essentiel de savoir d’où nous venons, quelle est la nature de nos difficultés passées et actuelles, où est ce que nous voulons aller afin de fixer le cap et de mobiliser par conséquent les guinéens et les guinéennes pour construire enfin notre pays. A cet égard la déclaration du représentant de l’Union Européenne en présence des dirigeants des banques et d’une mission du FMI, « La Guinée peut même devenir indépendante de l’aide des partenaires avec une meilleure gestion des finances publiques » nous interpelle sur notre responsabilité collective par rapport au devenir de notre pays.

Apprenons de notre passé 

Afin de palier aux insuffisances de recettes publiques pour financer les dépenses de l’Etat le régime guinéen des années 60 à la révolte des femmes en août 1977 a eu recours à deux principaux mécanismes :

  1. Aux prélèvements des impôts en nature en pressurant la paysannerie en utilisant les produits des récoltes comme moyens de règlement des impôts appelés « normes ». Cela avait induit le départ massif des paysans et de leur bétail vers les pays limitrophes. Ce fut une période de privations et de famines notamment dans les campagnes.
  2. A l’utilisation du troc en échangeant la bauxite de l’Office de bauxite de Kindia contre des biens de consommation importés de l’ex-Union Soviétique. Les revenus tirés de l’exploitation de la bauxite de la CBG (Compagnie des Bauxites de Guinée) et de l’exportation de l’alumine de l’usine de Pechiney de Fria, servaient à alimenter en devises les caisses de l’Etat.

La gestion monétaire dans ce système étatisé à outrance avait alimenté une spirale inflationniste qui avait empêché la création d’un système financier performant. Dans ce contexte le franc guinéen (syli) n’avait pas pu permettre à la Guinée de tirer profit de sa souveraineté monétaire. Par contre elle avait permis de faire émerger une culture de rente qui avait enrichi quelques possédants.

La liquidation des banques d’Etat en décembre 1985, la création du GNF qui le 1er janvier 1986 était en parité avec le franc CFA , la libéralisation de l’économie avec les privatisations tous azimuts  et l’abandon des impôts en nature étaient une conséquence logique du marasme économique de l’ancienne période. La transformation structurelle des leviers de l’économie qui en avait résulté, avait permis d’obtenir quelques améliorations économiques et sociales dans la décennie (1987- 1998). Le limogeage du Premier Ministre Sidya Touré en 1999 avait annoncé la fin de la politique des réformes structurelles de l’économie guinéenne. Depuis lors, les rigidités structurelles de l’économie nationale se sont renforcées pour freiner toutes velléités réformistes susceptibles de remettre en cause des intérêts claniques. C’est ainsi que depuis le début de ce siècle, les réformes essentielles dont la Guinée a besoin ont été ignorées. La Guinée a accentué en conséquence son retard par rapport aux pays comparables de région comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal ou le Ghana.

La Guinée, un pays marqué par des troubles sociaux 

L’histoire économique de la Guinée fourmille de riches enseignements qui méritent notre attention. Il a été constaté depuis le début de l’indépendance nationale, des périodes inflationnistes ont toujours précédés les crises sociales et politiques qui ont été génératrices de répressions et de troubles. C’était le cas en 1972, aussi en août 1977 avec la révolte des femmes, et aussi en 1989 aux lendemains des réformes engagées par le CMRN du Général Lansana Conté. La décennie 2000-2009 a été également dans le même sillage avec les grèves générales de vastes envergures des forces vives nationales. C’est d’autant que les répressions ont été démesurées et d’une rare sauvagerie (22 janvier 2007). Ces derniers mois aussi, la Guinée est marquée par des séries de revendications salariales et des contestations sociales dont les racines sont d’origine essentiellement économiques (prix du carburant). La quête de la stabilité de notre pays et de l’instauration d’un climat propice au développement oblige à procéder à des remises en cause de notre regard sur les choix économiques en cours. 

Des causes économiques de la récurrence des crises 

La volonté d’un gouvernement dépend de sa capacité financière à financer ses programmes. Ses possibilités à collecter suffisamment  des recettes en sont les déterminants. Or, depuis des lustres, le niveau des recettes collectées est insuffisant au regard des potentialités et des besoins. A titre d’illustration pour l’année 2018, le budget de la Guinée libellé en CFA est de l’ordre de 1409 Milliards. Celui du Sénégal est plus que le double, tandis que celui de la Côte d’Ivoire est cinq fois supérieur. Le Premier Ministre Kassory Fofana récemment a précisé, qu’en dépit de cette insuffisance des recettes intérieures, 40% du budget sont financés par les dons et des aides extérieures. La Guinée cumule ainsi depuis de longues décennies ce double handicap: l’insuffisance des recettes d’une part et la dépendance budgétaire vis-à-vis de l’étranger d’autre part.

La faiblesse des ressources collectées hypothèque le développement 

Le PNDES (2016-2020)  programme national de développement économique et social de la Guinée qui est le cadre stratégique des actions du gouvernement nécessite que le budget national actuel soit multiplié par au moins par 4 pour être en mesure d’en assurer la réalisation. En effet, les 30% du coût global du programme (14 milliards USD) devront être générés par les contribuables guinéens. Comme il sied en général à des projets adossés également à des financements extérieurs, la contribution de l’Etat guinéen est l’élément déclencheur de leur mise en œuvre. Très souvent devant l’incapacité des pouvoirs publics à mobiliser leur quote-part à temps, les exécutions des projets sont retardées voire abandonnées. La faible capacité d’absorption de l’économie guinéenne qui en résulte tire ainsi son origine. Dans ce contexte, le déclin et puis la stagnation des investissements publics à hauteur d’environ 14% du PIB, alors que la moyenne pour l’Afrique subsaharienne est de 25%, ne suffisent pas pour enrayer l’accentuation de la pauvreté monétaire qui affecte les 60% de la population.

Et ses effets pervers ruinent l’épargne nationale 

Un Etat ne peut pas se soustraire à ses obligations minimales (honorer les salaires de ses agents, assurer les services de base essentiels comme la nourriture, l’école, la santé) sans susciter des réactions populaires de frustrations et de colères. A défaut d’avoir développé une politique nationale hardie de mobilisation de l’épargne nationale, les autorités guinéennes ont eu systématiquement recours  à l’endettement bancaire de manière peu orthodoxe pour financer le déficit budgétaire. Cet endettement (avance au trésor) ne doit pas excéder les 10% des recettes fiscales de l’année précédente selon la norme admise par la CEDEAO. Par contre en Guinée, la Banque Centrale pulvérise ce seuil avec en moyenne des avances au trésor avoisinant les 20% des recettes fiscales. En sus de ce financement à caractère inflationniste, le recours au système bancaire occupe de loin la première place sous forme de bons du trésor ou de titres de régulations monétaires. C’est ainsi que les besoins de financement de l’Etat sont si élevés que la politique de crédit est pénalisée par  l’effet d’éviction. En effet, par exemple à fin décembre 2017, les créances sur l’Etat étaient de l’ordre de 11.185 milliards GNF et la totalité des crédits distribués par les banques primaires à la même période était 8.220 milliards GNF. Les besoins de l’Etat sont largement au dessus de la totalité des crédits alloués aux entreprises et aux ménages. L’une des conséquences de ce dysfonctionnement dans la durée est la réticence des banques à distribuer des crédits au secteur privé qui s’avère plus risqué avec des taux d’intérêts élevés du fait d’une inflation galopante. Il est plus facile dans ce contexte de prêter à l’Etat à des taux rémunérateurs  avantageux et sans risque car assorti de la garantie de la BCRG. Au titre du budget 2018, il est prévu le règlement par l’Etat  de charges financières (intérêts à payer) à hauteur de  1260 milliards GNF. Il est par conséquent aisé de comprendre le peu d’engouement des banques primaires pour assurer le financement des investissements productifs dans un tel environnement.

La souveraineté monétaire n’a pas encore favorisé le développement 

Ceci n’a pu être possible que parce que la Guinée a conservé sa souveraineté monétaire et sa banque centrale est intiment lié au gouvernement. Aussi il a toujours été tentant de demander d’imprimer de nouvelles coupures d’argent pour financer des dépenses publiques. A court terme, la technique est moins coûteuse politiquement  car il s’agit « d ‘une fuite en avant ». En effet, à moyen terme elle s’avère catastrophique, car elle ouvre la voie à toutes les dérives budgétaires. Il est  en effet mécanique, plus la quantité de  monnaie circulant dans l’économie croit sans connexion avec le niveau d’activité réelle, plus les prix flambent. C’est ainsi que la variable monétaire est devenue depuis l’indépendance « l’arme politique des ajustements » par laquelle les dirigeants ont pu s’exonérer d’engager la Guinée dans les voies des réformes structurelles indispensables de l’économie guinéenne. En revanche, à l’aune de la durée, ces laxismes dans le cadre de la gestion macro-économiques ont générés les causes objectives des  troubles et des bouleversements sociaux récurrents que la Guinée a enregistrés ces dernières décennies.

A l’annonce de l’arrivée de M. Lansana Kouyaté au poste de Premier Ministre, Chef du gouvernement de consensus aux lendemains des bouleversements sociaux de 2007, le franc guinéen qui au départ valait sur le marché 5000 GNF pour 1 USD, s’apprécia au bout de 3 semaines pour valoir 2500 GNF pour 1USD. Les agents économiques avaient ainsi anticipé positivement le nouveau leadership gouvernemental s’attendant à un changement en profondeur de la gouvernance économique. Cette augmentation inespérée et soudaine du pouvoir d’achat du franc guinéen de 50% était un signal de bons augures pour la suite. Hélas, l’euphorie fut de courte durée car le désenchantement s’installa au bout de deux mois. Le franc guinéen reprit depuis lors sa chute pour valoir de nos jours prés 9300 GNF pour 1 USD. Les prix des produits importés comme le carburant sont ainsi directement impactés par l’évolution du franc guinéen. A ce niveau il est utile de faire remarquer les performances remarquables de l’économie marocaine qui jouit d’une forte stabilité monétaire. Comme le franc guinéen le dinar marocain est aussi une monnaie typiquement nationale. C’est la qualité  de la gestion qui fait la différence entre les deux monnaies.

Pour ne pas périr, il faut changer notre manière de voir 

L’examen du volet recettes du budget montre qu’il faut absolument que la Guinée améliore ses capacités de collecte de ressources pour envisager toute politique de redressement économique et financier. Le forum international organisé à Conakry en novembre 2016 articulé autour de : « la mobilisation efficiente des recettes intérieures et leurs utilisations efficaces»   avait formulé de pertinentes recommandations. Il était retenu entre autres  l’élargissement de l’assiette fiscale afin de ne pas alourdir la fiscalité pour les entreprises qui s’acquittent de leurs impôts, la modernisation et l’informatisation des modes de perception des taxes, la mise en place d’un système d’information numérisé pour une totale traçabilité des opérations de l’Etat, le développement de la bancarisation du pays et aussi l’application stricte de la politique de décentralisation au niveau des communes afin qu’elles puissent percevoir les taxes d’habitation et s’acquitter des tâches relatives au développement local et à l’amélioration du cadre de vie. L’objectif étant d’accroître les ressources qui doivent revenir à l’Etat sans pour autant oublier l’adage qui dit « trop d’impôt tue l’impôt ».  Il faudra souligner également que l’acceptabilité des taxes et impôts par la population dépend du degré de redevabilité que celle-ci reçoit en retour.

Conclusions

La multiplication des crises sociales dans notre pays recommande de faire sans complaisance un diagnostic responsable et constructif des maux qui plombent l’essor économique et financier de notre pays. Ses lignes constituent une tentative pour aborder particulièrement le volet de la mobilisation des ressources intérieures. A ce titre quelques enseignements peuvent être dégagés.

  • De manière prosaïque au niveau individuel, il est évident de comprendre qu’avant de dépenser il faut avoir au préalable de l’épargne. Il en est de même pour la puissance publique, si celle-ci veut être maître de son destin.
  • Le mode de la gouvernance économique de notre pays doit se renouveler totalement. Depuis l’indépendance, notre pays a privilégié le recours à l’endettement interne et à la création excessive de monnaie sans de réelles contreparties en biens et services. Cette politique a développé des mentalités rentières qui ont ruiné peu ou prou l’épargne nationale. Or, sans épargne, il ne peut y avoir des investissements durables. Les réformes structurelles économiques s’avèrent alors incontournables et urgentes pour rompre le cycle infernal poussée inflationniste – crise économique – troubles sociaux et politiques. éviter des catastrophes humaines, sociales et politiques.
  • J’ai foi en l’avenir de la Guinée. Il y a trois décennies le Ghana était dans un marasme économique et sociale très profond, pourtant aujourd’hui ce pays a su combler ses retards et fait partie des pays qui sont dans le peloton de tête en Afrique. Nous aussi avec des efforts, une volonté inébranlable nous pourrons hisser notre pays parmi ceux qui comptent en Afrique dans les prochaines années.

La ressource la plus précieuse pour une collectivité est la qualité de ses ressources humaines en terme d’éthique, de compétences, de rigueur et de sens de responsabilité. De ce point de vue nous brillons par des lacunes graves qui doivent être radicalement corrigés pour ériger la bonne gouvernance en une vertu dans nos pratiques. Le Premier Ministre n’a t’il pas estimé récemment que les détournements des deniers publics coûtent au moins 600 milliards GNF/an.  Avec l’aide de Dieu, sommes-nous pas maîtres de notre destin ? Alors pendant qu’il est encore temps un sursaut national patriotique est nécessaire pour éviter la répétition des heures sombres du passé. Nous le pouvons si nous le voulons.

BAH Oury

Ancien ministre

Animateur national du mouvement « Le Renouveau »

1er Vice-Président de l’UFDG

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