L’Histoire contemporaine de la Guinée présente une très riche complexité mais jusqu’à présent méconnue par les uns et dévalorisée par d’autres. Il en est ainsi de l’opposition factice entretenue autour de dates mémorables : le 28 septembre 1958 et le 28 septembre 2009. En ma qualité de président de la commission d’organisation de la manifestation pour le compte des Forces Vives Nationales, j’ai le devoir moral et politique de montrer que ces deux dates constituent les deux faces de la même médaille.
Le divorce entre les Forces Vives et le CNDD
A partir de la mi-avril 2009, le CNDD (junte militaire dénommé Comité Nationale pour le Développement et la Démocratie) avait laissé entrevoir qu’il lui était plausible de présenter son chef à l’élection présidentielle. Or il était explicitement proclamé à la prise du pouvoir au lendemain du décès du Président CONTE, que le CNDD n’entendait nullement confisquer le pouvoir. Ce reniement de l’engagement initial marque le début du divorce entre les Forces Vives Nationales et le CNDD du Capitaine Dadis CAMARA. De multiples tentatives de médiation furent initiées pour ramener le processus politique dans la voie d’une transition apaisée et démocratique. Par deux fois, Jean Marie DORE et moi-même tentèrent tard dans la nuit de rencontrer vainement le Chef de la junte dans une ultime tentative de le dissuader de s’embarquer dans une voie périlleuse. Le groupe international de contact pour la Guinée usa également de moult stratagèmes diplomatiques pour remettre la transition sur les rails. C’est ainsi qu’au mois de juin 2009 une commission bipartite CNDD- Forces Vives fut mise en place pour renouer le fil du dialogue. Contre toute attente, celle-ci outrepassant ses prérogatives et sa mission se range du côté du CNDD pour accepter l’inversion de l’ordre des élections à savoir les présidentielles d’abord ensuite les législatives. Or l’ordre chronologique des élections avait été dés le début le principal point d’achoppement entre les partis politiques. Seule l’UFR de M.Sidya TOURE avait défendu l’option d’organiser les présidentielles en premier lieu. Cette commission en dehors de tout débat démocratique entérina purement et simplement les désidératas du CNDD sans se soucier des graves conséquences qui en résulteraient. En effet les élections présidentielles dans le contexte politique d’alors, seraient perçues avant tout comme une compétition entre les groupes ethniques du pays à travers l’origine des principaux candidats.
Le choix de la date du 28 septembre 2009
Les manœuvres pour légitimer une candidature du chef de la junte furent florès. Le Président Abdoulaye WADE du Sénégal fut sollicité dans ce sens. En visite de travail à Conakry en août 2009, le Président sénégalais déclara sur le haut perron du Palais du Peuple en présence des membres de la junte « la foule que je vois devant moi, atteste de la popularité du CNDD. Je vais prendre le film de cet événement et le montrer aux autres chefs d’Etats africains afin de les convaincre d’appuyer le choix du CNDD. » Il était clair qu’à partir de ce moment les Forces Vives devraient faire appel aussi à la mobilisation populaire pour le montrer au monde entier. La période du ramadan nous amena à envisager la dernière quinzaine de septembre 2009 pour lancer cet appel.
La démonstration avait pour objectif de montrer que la majorité du peuple guinéen était hostile à voir la junte militaire présenter son chef à l’élection présidentielle. Car il était évident qu’une nouvelle dynastie militaire succéderait ainsi au Général Lansana CONTE qui aussi était venu au pouvoir suite à un coup d’Etat. C’est ainsi que la date du lundi 28 septembre 2009 fut choisie, en écho au référendum du 28 septembre 1958. Dans le premier cas, c’était l’affirmation majoritaire de choisir son propre destin en optant pour l’indépendance. De l’autre, il s’est agi de l’affirmation légitime et massive du choix en faveur de la démocratie et de la liberté.
Ces deux dates sont les deux faces de la même médaille. Bien entendu la première s’est inscrite dans le déroulement d’un processus consultatif au suffrage universel. L’autorité coloniale de l’époque a respecté le choix légitime du peuple guinéen d’opter pour l’indépendance en rejetant la communauté franco-africaine telle que le voulait le Général De GAULE. Par contre le 28 septembre 2009, les autorités guinéennes du CNDD ont noyé dans le sang et dans la barbarie une démonstration pacifique de la population pour réclamer le respect de l’engagement d’organiser une transition démocratique apaisée. Cette tragédie est analogue à celle de Sharpeville en Afrique du Sud en mars 1960. Ce jour là la police de l’apartheid réprima avec une extrême violence une manifestation pacifique de la population noire dénonçant la politique ségrégationniste.
Ceux qui sont tombés le 28 septembre 2009, celles qui ont été violentées et humiliées et ceux qui portent encore les stigmates des blessures dans leur chair et dans leur cœur avaient simplement répondu à l’appel des Forces Vives Nationales pour réclamer la démocratie et la liberté. Comme Sharpeville en Afrique du Sud et Oradour- Sur-Glane en France le 10 juin 1944 où les nazis exterminèrent plus de 600 villageois, le 28 septembre 2009 à Conakry est l’expression de la résistance du peuple guinéen à toute forme de tyrannie.
Quant à la justice
La reconnaissance de la nation de type mémoriel de la légitimité de la manifestation des Forces Vives le 28 septembre 2009 se fait encore attendre. Cette lacune dommageable à la crédibilité des institutions guinéennes crée le doute sur la volonté des pouvoirs publics d’engager durablement la Guinée dans voie démocratique. Il n’est guère étonnant que les irruptions populaires sur le devant de la scène pour exiger plus de démocratie ne soient pas appréciées par les tenants du maintien du statuquo. Aucune cérémonie officielle n’a commémoré jusqu’à présent les manifestations du 22 janvier 2007 et du 28 septembre 2009. Or ces deux dates symbolisent les fondations de la future Guinée démocratique. Ne pas le reconnaître, c’est également occulter aux yeux des générations montantes, notre mémoire historique. Le pire pour une nation n’est-il pas « d’ignorer son histoire avec le risque de répéter ses erreurs ». Il n’est pas encore tard pour corriger ces lacunes d’autant plus que les forces politiques significatives d’aujourd’hui de la mouvance présidentielle que de l’opposition étaient peu ou prou les éléments constitutifs des Forces Vives en 2009.
Les Nations Unies ont qualifié le massacre du 28 septembre 2009 de crimes contre l’humanité. La Guinée se trouve ainsi dans l’obligation de juger cette tuerie ou la Cour Pénale Internationale s’en chargera. Il est souhaitable que la Guinée trouve des ressorts internes pour s’acquitter de ce jugement. Toutefois il est impérieux que des garanties soient données sur le sérieux, la rigueur, la transparence et la détermination des autorités guinéennes de faire du prochain procès un exemple pour toute l’Afrique. A cet égard la Chambre Africaine Extraordinaire de Dakar qui a jugé Hisséne Habré est un modèle afin d’ assurer aux prévenus une justice de qualité répondant aux exigences des normes internationales. Ceci aura un triple avantage :
- Rendre une justice équitable et transparente afin d’en finir avec l’impunité s’assurant ainsi la non-répétition de ce type de forfaiture
- Que le procès puisse avoir une valeur pédagogique pour l’ensemble du corps social aussi bien pour les citoyens que pour les dirigeants
- Qu’à la suite de l’étape pénale, un processus de réconciliation nationale prenne le relais afin de consolider et de pérenniser en Guinée les fondements de l’Etat de droit.
L’enjeu judiciaire est essentiel car notre nation est en voie de construction et l’Etat reste très fragile. Le devoir de mémoire apparaît ainsi comme une démarche pour enraciner les valeurs des droits de l’homme et d’éviter que des barbaries tyranniques détruisent ceux que nous aimons par dessus tout, notre pays la Guinée.
Les sacrifices consentis le 28 septembre 2009 ne sont vains ! Hommage à toutes les victimes !
BAH Oury
Président de la Commission d’organisation de la manifestation
Président de la Commission Politique des Forces Vives Nationales (2009)