Censure

Lynchage de capitaine Vivien Gérard : l’envers du décor (Par Ousmane Boh Kaba)

Il paraît que la Guinée est en émoi. Et pour cause, un membre du bataillon des troupes aéroportées communément appelées bérets rouges, a été lynché puis laissé pour mort par une foule en furie dans la commune de Ratoma, haute banlieue de Conakry, ce 16 novembre 2018.

Dans la même commune  de Ratoma, en mai 2017, un jeune homme âgé d’une vingtaine d’années, avait été roué de coups en pleine rue, puis brulé vif. La scène s’est passée à Lambagni. Il était accusé de vol.
Les lynchages publics d’individus au cours des trois dernières années enregistrés à Kouroussa, Kissidougou, Kankan, Siguiri, sont encore dans la mémoire collective des guinéens. Certains sur la base d’une simple rumeur.
Le Ministre de la Justice Cheik Sacko s’en était ému et avait annoncé l’ouverture des enquêtes pour arrêter et juger les coupables. En Janvier 2017, dans un discours à la nation, le président Alpha Condé menaçait encore les adeptes de la vendetta collective : « Désormais, nous n’allons plus accepter que les gens se rendent justice. Quiconque brûle un voleur, nous allons l’emprisonner ».
 
Mais jusque-là aucune enquête n’a abouti à des arrestations. Résultat les populations récidivent. 

Face à une telle dérive, le réflexe habituel est d’engager la responsabilité individuelle des personnes impliquées de près ou de loin dans le drame. On rattache immédiatement cette pratique à la déliquescence morale et l’incivisme de la population. Ici et là, les condamnations morales les plus incisives sont immédiatement suivies d’un appel à des sanctions exemplaires.

À l’analyse, nous réagissons presque toujours comme si la justice populaire était un simple accident, une anémie passagère ou conjoncturelle du corps social dont on aura vite fait de l’éliminer en sanctionnant autant que possible les principaux auteurs directement impliqués.

Pour ma part, percevoir exclusivement cette (in)justice sous l’angle d’un problème d’éthique et de responsabilité individuelle, c’est assurément s’empêcher d’en déceler les causes profondes et systémiques. C’est occulter la cause racinaire du problème, c’est-à-dire les défaillances/insuffisances du système judiciaire (démission de l’État, corruption, formation inadéquate ou inexistante du corps judiciaire, etc.) et, partant, la crise de confiance populaire qui lui est consécutive. En somme, nous réduisons un problème systémique à n’être qu’un phénomène conjoncturel.

Les carences criardes de l’appareil judiciaire est ce qui, d’un point de vue systémique, rend possible la justice populaire. Elle prend essentiellement naissance sur les chemins tortueux de l’accès à une justice efficiente. Il y a une relation de cause à effet. Combien des fois, a-t-on entendu dire après l’arrestation d’un présumé bandit : « Finissons avec lui ici et maintenant, car, si on le laisse entre les mains de la police, il ressortira deux jours après, et reviendra se venger ».

La prévalence de la justice populaire dit quelque chose de notre système judiciaire avant d’en dire plus à propos de nos assises morales. Elle dit quelque chose de la perception ou du peu de confiance que les citoyens ont à l’égard de leur système judiciaire. Plus largement, elle reflète à bien des égards le sentiment qui habite tous ceux et celles à qui le système judiciaire semble refuser « un droit », et qui parfois finissent par trouver dans la justice populaire l’exutoire idoine des frustrations longtemps endurées.
Entendons-nous bien. Il ne faut aucunement interpréter ce qui précède comme si je soustrayais toute responsabilité individuelle aux acteurs immédiats de la justice populaire. Il n’en est rien. Chaque fois qu’un cas de justice populaire se posera, une condamnation morale et pénale de cette pratique abjecte sera toujours appropriée et nécessaire. Toutefois s’en tenir exclusivement à une telle condamnation, c’est au mieux s’efforcer de soigner la douleur plutôt que le mal, au pire faire preuve d’une irresponsabilité coupable. Comme dirait Einstein « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ».
L’enjeu de ma démarche est ailleurs. Mieux vaut agir en amont que réagir en aval. « Prévenir vaut mieux que guérir » dit-on souvent. De fait, en appeler uniquement à notre sens moral permet peut-être de donner une consistance, une épaisseur, une prise en charge à notre indignation, mais ne peut résoudre le problème à long terme.

Il faut sortir de la procrastination des solutions ou des pseudos-solutions. En ce sens, redorer le blason du système judiciaire, c’est travailler à la restauration de la confiance du public envers ses institutions. Donnons les moyens à notre système judiciaire (meilleure formation des policiers et magistrats, amélioration de leurs conditions de travail, etc.) de faire son travail et exigeons beaucoup de lui en retour.

Une pensée pour toutes ces personnes (innocentes) victimes de la culpabilité de notre système judiciaire et de l’ignominie humaine.

Et si la justice populaire se portait bien, parce que notre système judiciaire se porte mal ?

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