La question du 3e mandat continue de faire son chemin en Guinée à moins de deux ans de la fin du bail de l’actuel locataire du palais Sékhoutoureya, d’autant plus que le principal intéressé reste toujours muet, montrant qu’il est le maître du temps et que c’est lui qui dicte le tempo. Et surtout que de plus en plus de voix s’élèvent pour réformer la constitution, ou appelant à proposer une nouvelle république qui permettrait à l’actuel président de rempiler non pas pour un 3e mandant mais pour le premier de la 4e république. C’est un scénario qui commence à faire son chemin au sein de l’opinion.
Ici, nous ne rentrerons pas dans cette agitation médiatico-politique, mais nous tenterons de répondre à une équation, même si elle n’est pas à priori, l’option envisagée par le camp présidentiel, mais qui doit tout de même exister dans un coin de table à Gbessia. Cette équation, c’est celle de savoir quelle alternative à Alpha Condé au RPG Arc-en-ciel si une nouvelle mandature ne prospère pas ?
La réponse à cette question n’est pas aisée, surtout au vu de la configuration de la mouvance présidentielle composée d’une mosaïque de formations et de mouvements politiques, qui n’ont pas forcément les mêmes objectifs, surtout si l’arbre qui cache la forêt serait amené à disparaitre. C’est dire…
L’une des tares de la démocratie des partis en Afrique, c’est qu’un parti le plus souvent, peut-être amené à disparaître ou à perdre sa position sur l’échiquier politique au départ ou à la mort de son leader historique.
Le chef de l’État actuel a clairement avancé qu’il voudra de son parti, un parti dominant de la vie politique guinéenne pour des dizaines d’années encore. Alors forcément, la question de l’alternative au leader Alpha Condé doit se poser, quand on sait qu’il est désormais âgé de 82 ans et qu’il est au crépuscule de son dernier mandat.
Si la mouvance présidentielle est composée de plusieurs cadres, et que la question de têtes fortes au sein du parti pour prendre la relève ne se poserait pas, certaines figures se détachent beaucoup plus que d’autres. Il s’agit de l’actuel chef de la majorité parlementaire, honorable Amadou Damaro Camara et de l’actuel premier ministre Ibrahima Kassory Fofana.
Ces deux hommes sont les deux pontes dont disposent actuellement le RPG Arc-en-ciel qui peuvent contrecarrer les plans de l’opposition en 2020 en cas de départ du président Condé.
Par ailleurs, si docteur Mohamed Diané, l’actuel patron de l’armée, a toujours été considéré comme le numéro deux historique du RPG qui a longtemps tenu la baraque quand le leader était hors du pays ou en difficultés, on se pose des questions sur son leadership au sein du parti. Sa stature d’homme d’État ne fait aucun doute, mais sa capacité politique à succéder à Alpha Condé reste à démontrer. D’autant plus que deux autres figures du parti lui ont ravi cette vedette, il s’agit bien sûr de Kassory Fofana et de Damaro Camara.
Analyse…
Damaro Camara le gardien de l’héritage politique Condéen
Ces dernières années, après Alpha Condé, on a rarement vu un autre cadre de la majorité faire la une des médias autant ou plus que Damaro. D’aucuns diront que son rôle de chef de parlementaires majoritaires lui mettait forcément dans la lumière. Mais quelqu’un d’autre à sa place, serait forcément en difficulté et contraint d’abdiquer face à l’agitation politique que la Guinée a connu ces huit dernières années entre manifestations de rue, villes mortes et crises sanitaires de 2015.
Damaro n’a pas reculé, au contraire, il est descendu sur le ring en distribuant des coups à tous les opposants au régime Condé, en défendant au parlement tous les projets du gouvernement et propositions de la majorité, et surtout le plus remarquable de tous, c’est sa capacité managériale à diriger les députés de la majorité à l’assemblée nationale. Durant toute la législature, on aura rarement vu une telle discipline au sein d’un groupe composé de gens aux trajectoires politiques différentes. Mais lui, avait un seul cap le soutien au président de la république et à son gouvernement, un seul principe la discipline collective, et une seule ambition la réussite des projets pour le pays.
Une maitrise parfaite de la communication politique
Amadou Damaro s’est aussi distingué par sa qualité de communication sur tous les sujets d’intérêts nationaux (politique, économique, sociale, etc.). Très présent dans les médias, Amadou Damaro sait manier la langue de Molière à la sauce de la communication politique : diversion, novlangue, précision, clarté, des piques et des attaques contre les adversaires (publicité négative).
Il n’a pas eu peur de prendre des coups autant qu’il a lui-même distribué. Ce qui lui a valu d’être qualifié par certains opposants, pour son autorité dans l’affaire des PA, de pyromane.
Il faut avouer que Damaro a des qualités de communication que même son mentor Alpha Condé n’en possède pas. C’est la diplomatie et parfois le louvoiement dans la parole politique. Tout le contraire d’Alpha Condé qui n’a pas peur de dire ce qu’il pense, que ça plaise ou non. Il est de tous les cadres de la majorité, celui qui a le plus appris des leçons politiques d’Alpha Condé, la politique de l’autruche, et il s’inscrit véritablement dans les pas d’Alpha Condé. Faire passer le temps, négocier avec les opposants quand les vents contraires soufflent, et garder le cap quand tout semble aller dans le bon sens, en somme du réalisme politique.
Cependant, s’il a ses avantages, Damaro a aussi des lacunes qu’il faudra bien convertir en atout au moment décisif dans son duel à distance avec le premier ministre, c’est la gestion. Depuis 2010, hormis son statut de député, Damaro n’a pas eu à gérer un poste de responsabilité au sein de l’exécutif. De ce point de vue, c’est un handicap qu’il a par rapport à Kassory dans leur duel jaune à la conquête de Sékhoutoureya.
Kassory Fofana le technocrate féru d’autorité
Nommé le 21 mai 2018 comme premier ministre, Kassory Fofana est venu dans un contexte agité où villes mortes se succédaient aux manifestations de rue qui ont endeuillé de nombreuses familles.
Il a avait dans sa feuille de route une mission principale : rétablir l’autorité de l’État et distribuer les fruits de la croissance économique constatée depuis la fin d’Ébola. Si au niveau du partage de la croissance, des chemins restent encore à parcourir, force est de constater que depuis la nomination de Don Kass, les guinéens ont renoué avec la sérénité et la quiétude dans la capitale, ce ne sont pas les habitants de l’axe qui diront le contraire. Entre le maintien de la hausse du prix de carburant à la pompe et l’installation des PA, Kassory a démonté que pour diriger un pays comme la Guinée, il faut parfois faire usage du bâton, selon sa doctrine du bâton et de la carotte. Résultat, l’autorité de l’État s’est renforcée et la criminalité diminuée.
Sur le plan de la gestion, économiste de formation, Kassory a fait de la culture du résultat une marque des politiques publiques, la transparence et la restitution aux populations des marques de redevabilité. Si tout n’est pas parfait depuis sa nomination, force est de reconnaitre que les choses vont dans le bon sens, et les ministres font moins en moins de mamayas désormais.
Une place politique à conquérir au sein du RPG
Si Kassory Fofana peut se targuer d’avoir une longueur d’avance sur Damaro Camara d’un point de vue gestion, vu que le statut d’ancien premier ministre comptera dans la bataille de 2020, il a par contre un handicap d’un point de vue politique.
Pour être nommé locataire du palais de la colombe, il a fallu à Kassory bien qu’étant dans la majorité depuis 2014, qu’il dissoute son parti dans celui de la majorité, ce qui a été satisfait par l’ancien conseiller à l’investissement public-privé à la présidence. Il aura du mal à se faire accepter par les militants et sympathisants du parti au pouvoir, d’autant plus que depuis sa présence au siège du parti lors de la fusion, il n’est pas visible pendant les AG hebdomadaires du parti, tout le contraire de Damaro qui rôde toujours à Gbessia.
Dans sa lutte à distance avec Amadou Damaro pour la succession à Alpha Condé, il a tout intérêt à se rapprocher des militants du parti, et à Damaro de démontrer que sa gestion au parlement plaide en sa faveur.
Ainsi dans ce duel d’éléphants, il ne faut pas non plus oublier d’autres cadres du parti qui peuvent être des outsiders et pourquoi ne pas coiffer sur le poteau ces deux hommes cités. Il s’agit de Damantang Albert Camara qui est aussi apprécié par la base du parti et qui aura montré toute son habileté quand il était ministre porte-parole du gouvernement Youla. Des ministres Naïté et Yéro Baldé appréciés pour leur gestion et qui ont sans doute de l’avenir dans le parti. On peut également citer ce qu’on peut appeler les Alpha boys, les fils spirituels du chef de l’État. Il s’agit du turbulent Bantama Sow, du très remuant Malick Sankhon qui sont eux aussi des gardiens du temple d’Alpha Condé.
Mais comme le dirait mon père, tout ceci n’est que supputation mais réelle tout de même.
Alpha Condé bien qu’étant maître des horloges de la planète Guinée, peut se dire que s’il part dans l’honneur en 2020, ce ne sont pas des leaders qui manqueront pour garder la boutique.
Par Alexandre Naïny BERETE, étudiant à la faculté de Nantes