Peu après l’indépendance des États-Unis vis-à-vis de la colonisation britannique, le premier président des États-Unis, George Washington, a créé un précédent historique en se retirant en 1796, après seulement deux mandats de quatre ans.
Bien que la Constitution États-Unis ne l’ait pas exigé à l’époque, tous les présidents qui ont suivi George Washington tout au long du 19ème siècle et jusqu’au début du 20ème siècle ont observé cette tradition : ne pas avoir servi plus de deux mandats. Après que le président Franklin Roosevelt a rompu cette tradition en étant élu pour quatre mandats, le Congrès des États-Unis a approuvé le 22ème amendement à la Constitution des États-Unis. Cet amendement fixe à deux la limite du nombre de mandats que peut exercer le président des États-Unis. Depuis lors, tous les présidents ont respecté scrupuleusement les limites de leur mandat au grand bénéfice de la démocratie des États-Unis.
En France, la durée du mandat est réduite en 2000 à cinq ans lors du référendum sur le quinquennat présidentiel. Jusqu’à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, il n’y avait pas de limite au nombre de mandats que pouvait effectuer un président de la République Française. L’article 6 de la Constitution dispose désormais que le mandat ne peut être renouvelé qu’une fois consécutivement.
En Guinée, dans les années 1990, à la suite de l’ouverture démocratique, fruit d’un long combat mené entre autres par Bah Mamadou Bhoye, Siradiou Diallo, Jean-Marie Doré, Mansour Kaba, Alpha Condé, etc., notre pays s’est éloigné du régime autoritaire à parti unique pour adopter un ordre politique constitutionnel et une démocratie représentative. Les principales revendications concernaient la démocratie multipartite, le constitutionnalisme et l’institutionnalisation des normes et standards démocratiques.
En 2003, en dépit des dispositions constitutionnelles qui lui interdisaient un troisième mandat, le président Lansana Conté a commis le péché de n’avoir pas favorisé l’alternance au pouvoir. Il a, malgré la précarité de son état de santé, préféré une présidence à vie, doublée d’une mauvaise gestion. Fatigué par la maladie et le poids de l’âge, le général-président était devenu incapable de diriger, laissant un vide de pouvoir au sommet de l’Etat. C’est dans ce contexte que les hommes en uniforme ont, quelques heures seulement après l’annonce de sa mort, fomenté un coup d’Etat contre la Constitution en décembre 2008.
En avril 2017, lors d’une visite d’Etat en France, le professeur Alpha Condé avait accordé une interview à Libération, un quotidien français paraissant le matin, pour déclarer : « Arrêtons avec cette dogmatique de savoir si la bonne chose est un, deux ou trois mandats. Cela dépend de chaque pays et de la volonté de son peuple ». La messe est ainsi dite.
À présent, les Guinéens s’inquiètent de plus en plus du manque de leadership et de la tendance croissante de certains leaders politiques à vouloir inverser les droits démocratiques durement acquis.
Un certain nombre d’arguments sont avancés par ceux qui cherchent à prolonger ou simplement à abandonner les limites de mandat. Le premier est que les limites de mandat empêchent les gens de choisir leur président. Un autre est que le Professeur Alpha Condé a beaucoup plus à faire pour favoriser le développement et a donc besoin de plus de temps. Troisièmement, il a le droit souverain de gouverner et de modifier la constitution comme bon lui semble.
Le Rwanda est très souvent cité en exemple. Le Président Paul Kagamé a reçu 99% des voix en août 2017. Il n’y a pas de doute que des progrès remarquables ont été accomplis dans la reconstruction du Rwanda après le génocide. Mais s’il n’y a personne (et cela est douteux) capable de défier Kagamé après 18 ans de règne, il n’a pas créé un environnement propice à l’émergence d’un leadership démocratique. Nous devons également nous méfier des résultats des élections qui recueillent 99% de soutien, ce qui rappelle l’apogée de la règle du parti unique.
La Guinée a besoin d’un leadership visionnaire et courageux, et non d’un dirigeant bienveillant ou autocratique. Elle a besoin d’un dirigeant capable de créer un environnement favorable à la croissance, à la durabilité et à la démocratie, à la paix et au développement, ainsi que pour permettre aux citoyens de vivre pleinement leur potentiel. En tant que Guinéen, nous n’avons pas à choisir entre démocratie et développement. Nous méritons les deux.
Les limites de mandat prescrites par notre Constitution fournissent un mécanisme permettant de responsabiliser nos dirigeants, réduisent la tendance à la corruption en assurant un changement politique et donnent aux nouvelles générations la possibilité de se présenter à des postes politiques et de choisir de nouveaux dirigeants.
Le 28 juillet 2015, le président Barack Obama a prononcé un discours historique au siège de l’Union africaine à Addis-Abeba. C’était la première fois qu’un président américain en exercice se rendait dans cette importante organisation africaine et y rencontrait des dirigeants africains. Il a déclaré :
« Je suis convaincu que les progrès de l’Afrique dépendront de la démocratie, car les Africains, comme tous les peuples, méritent la dignité d’être maîtres de leur vie. Nous savons tous quels sont les ingrédients de la démocratie réelle. Ils incluent des élections libres et équitables, mais aussi la liberté d’expression et de la presse, la liberté de réunion… Je dois également dire que le progrès démocratique de l’Afrique est également compromis si les dirigeants refusent de se retirer une fois leur mandat expiré ».
Il est des hommes qui marquent le temps de leur empreinte. Des hommes qui sont éternels et ne meurent jamais. Nelson Mandela est de ceux-là. Son courage et son engagement envers la réconciliation et la Constitution, ont été une source d’inspiration non seulement pour les Sud-Africains, mais pour le monde entier.
Notre pays, si riche en ressources naturelles, véritable château d’eau de l’Afrique de l’Ouest, n’a jamais connu de vraie alternance démocratique au pouvoir depuis son indépendance en 1958.
Le Professeur Alpha Condé, qui se réclame de Nelson Mandela et de Barack Obama, a été élu sur la promesse que l’espoir existe pour une Guinée gouvernée autrement : Au service de l’intérêt général de la Nation Guinéenne. Que ferai-t-il face à la tragédie de troisième mandat, cette pente glissante de retour à l’autoritarisme ?
Ousmane Boh KABA