Le débat sur une éventuelle modification de la constitution ou un changement de celle-ci bat son plein dans notre pays, au point que les messages se trouvent complètement dilués, inaudibles, et empêchant au passage le pays, d’avoir un vrai débat sur l’opportunité ou non de se doter de nouvelles institutions.
Le sentiment actuel laisse aux personnes extérieures une image d’un pays complètement à la rue, passionné sur des questions qui sont pourtant existentielles. Oui existentielle, car une constitution est l’identité d’un peuple, l’ossature d’une gouvernance démocratique et la boussole législative d’une nation. Mais très malheureusement, ce débat est en train d’être noyé, laissé à la merci de quelques individus (partisans ou non partisans d’une quelconque réforme) dont le seul but est de détourner le pays du seul chemin qui vaille, celui d’un débat démocratique, serein, apaisé.
Dans les médias, sur les réseaux sociaux, le constat général qui se dégage, très malheureusement, est la monopolisation de la parole par une minorité qui empêche les vrais spécialistes des questions constitutionnelles d’éclairer le peuple. Oui, le peuple a besoin d’être éclairé sur la norme fondamentale qui le gouverne, car c’est à lui que revient de traiter de l’opportunité ou non de se doter d’une nouvelle norme suprême.
Entre les escalades verbales, les surenchères militantes, les propagandes de bas étage et même des violences physiques, le pays laisse l’impression qu’il ne sait pas ce qu’il veut. Et c’est là, les prémices d’un embrassement.
La réforme constitutionnelle ne doit pas être un sujet tabou
La constitution est la grande règle du jeu de la démocratie, la loi fondamentale. Elle fixe à la fois les grands principes et les rôles de chacun des acteurs de notre système politique. À cet effet, elle exprime à la fois les valeurs et les aspirations profondes d’un peuple. C’est pourquoi Marcel Prélot avait une conception sociologique de la constitution en indiquant que comme ‘’chaque groupe, à partir du moment où il se différencie, possède une organisation déterminée, c’est-à-dire une certaine constitution ”, ce qui veut dire que la constitution caractérise le vécu d’un groupe, d’un peuple, et dès lors que ce vécu change, la constitution aussi doit changer pour s’adapter aux besoins des individus composant le groupe.
Pour les anglais, la constitution est un ordre matériel, l’obéissance volontaire et naturelle à certaines règles en groupe, c’est pourquoi il n’existe pas de constitution écrite chez les anglais.
Le doyen Maurice Hauriou semble aussi donné une lecture sociale à la conception juridique de la constitution en la définissant comme ‘’tout arrangement permanent par lequel, à l’intérieur d’un groupement social déterminé, des organes disposant d’un pouvoir de domination sont mis au service des buts intéressant le groupe, par une activité coordonnée à celle de l’ensemble du groupe‘’. En clair, une constitution est faite pour s’adapter aux réalités d’un groupe, dès lors que ces réalités ne sont plus ou ont évolué, la constitution est amenée à suivre le rythme.
C’est pourquoi dans notre pays, la question d’une nouvelle constitution ne doit pas être un sujet tabou, au contraire, il doit permettre à notre pays de se poser les bonnes questions, et l’occasion d’améliorer la gouvernance institutionnelle, les pratiques administratives et ainsi tenir compte de nouvelles donnes politico-sociales.
Par exemple, il est aujourd’hui inconcevable qu’un pays comme le Gabon avec (2 119 036 habitants) n’ayant même pas la population de Conakry (entre 3 à 4 millions d’habitants), possède un plus grand nombre de représentants parlementaires (143) que la Guinée (114) qui a pourtant une population de près de 15 millions d’habitants. Ainsi, le ratio nombre d’habitants/représentant n’est pas respecté. Il en est de même qu’une sous-préfecture comme Senko qui fait deux fois la taille de la population de Beyla, n’ait même pas de représentant à l’Assemblée nationale.
D’autres questions notamment celles liées à l’égalité homme/femme, à la protection sociale universelle pour tous les guinéens notamment les plus défavorisés, au panafricanisme méritent d’être interrogées par notre conscience collective.
Les réformes constitutionnelles Au-delà des considérations personnelles
Le président Barack Obama affirmait en 2008 au Ghana, dans un speech somme toute historique que « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes ». Il a sans doute raison, car l’expérience a montré que quel que soit la rigidité d’un système bâti autour d’un homme, ce système s’effondrerait dès lors que cet homme n’est plus.
Lors du congrès fondateur des États-Unis d’Amérique le 17 septembre 1787, les pères fondateurs de la première puissance mondiale ont préféré leur pays à des ambitions catégorielles et personnelles, ils ont eu la brillante idée de doter leur pays d’un texte qui défiera le temps. Ce temps leur a bien donné raison, puisque la constitution américaine, nonobstant ses 27 amendements apportés par différents régimes, est aujourd’hui la même qu’il y a plus d’un siècle.
Ainsi, l’on entend régulièrement du côté des partisans du pouvoir qu’ils souhaitent apporter une réforme politique faisant définitivement rentrer le président de la république actuel dans la postérité de notre pays. C’est une position en soi qui peut se défendre, mais à condition que cette réforme constitutionnelle ne soit pas faite en fonction des considérations d’une personne, fût-elle président de la république. La seule voie, à mon avis, qui puisse permettre à l’actuel chef de l’État de basculer définitivement, comme l’ont été Georges Washington et ses camarades avant lui, dans la postérité éternelle est de réformer le pays en se retirant au terme de son mandat laissant la place à d’autres personnes de continuer le chemin qu’il a tracé.
Chemin faisant, je conseillerai au président de la république que s’il souhaite vraiment réformer le pays institutionnellement avant de se retirer en 2020, il doit maintenant plus que jamais sortir de son silence et de son ambigüité en appelant toutes les forces vives du pays à une grande concertation nationale. Car je pense comme des milliers de guinéens que notre pays doit en finir avec le cycle permanent d’élections et son lot de malheurs et de contestations violentes. Le pays a besoin d’être réformé, cela doit se faire dans la plus grande transparence avec tous les fils et filles du pays.
Mais avant tout, il serait peut-être temps pour les guinéens notamment la presse de se mettre à la hauteur des enjeux du moment, de ramener le débat à la raison, de le dépassionner, en discutant sans tabous sur les vraies questions au lieu des #amoulanfé, des #alanmanè inutiles.
Par Alexandre Naïny BERETE depuis Nantes.