Le pouvoir fait rêver. Sa conquête au plan africain aiguise les appétits, suscite des ambitions plurielles que la législation électorale se doit de contenir. L’importance de l’accès au pouvoir justifie l’élévation à la dignité constitutionnelle du « profil » du candidat à la présidence.
La dévolution du pouvoir a toujours été un tournant crucial et une dure épreuve pour les Etats africains. Charles Cadoux constatait, il y a quelques années ; que « le problème de la terminaison régulière du mandat reste posé en droit constitutionnel africain ». Il est vrai que les pratiques successorales ont connu diverses méthodes plus ou moins problématiques. Certaines ont paru sanglantes (coup d’Etat, parricides…etc), d’autres, moins tragiques, n’en sont pas pour autant démocratiques (succession dynastique, la formule de dauphinat, …etc.). Sans totalement ignorer ces poches de résistance para-démocratiques en matière successorale dans certains Etats. Il faut indiquer que le nouveau constitutionalisme a cherché bien évidemment à briser le réflexe d’obsession à perpétuité du pouvoir, afin d’entrainer les présidents en fin de mandat à « passer le flambeau ». Comme a pu l’écrire Ciceron : « celui qui commande devrait se dire dans un délai court, il aura à obéir ».
De ce fait, la sortie du pouvoir reste fortement marquée par deux finalités : le respect du calendrier électoral et la conjuration de l’hérédité politique, mais également les avantages personnels liés au statut de président.
D’une part, l’exigence d’observer le calendrier républicain est pour le chef d’Etat un moyen d’honorer le serment qu’il avait déclamé aux premiers jours de son magistère. C’est parce que « la périodicité régulière des consultations électorales est un des éléments nécessaires à la vie démocratique », qu’il pèse sur lui la responsabilité de bien « superviser » le renouvellement des postes électifs. En la matière, la tendance observable dans bien des Etats africains démontre un réel souci pour les présidents de s’ajuster à la prescription juridique.
Maitre du « jeu politique », le chef de l’Etat incarne à bien des égards le maitre du « jeu électoral », en ce qu’il endosse la lourde responsabilité, le temps échu, de déclencher le processus électoral. En fait, l’adoption fréquente de mesures politique à laquelle s’est prêter le chef de l’Etat durant la période du mandat, traduit un réel attachement au juridisme et donc au respect attendu du calendrier électorale (I.M.Fall).
A cet égard, lorsqu’à la décharge du président, le calendrier électoral encourt une remise en question, le Chef de l’Etat ne s’empêche pas d’en recourir à l’arbitrage du juge constitutionnel pour statuer sur la conduite à tenir. C’est en tout cas, ce qui s’est passé au Benin à la veille de l’élection présidentielle de mars 2011.
En effet, devant les difficultés matérielles (liées aux observations de la CENA -Commission Electorale Nationale Autonome -sur l’impression de la liste électorale) pour l’organisation du premier tour de l’élection présidentielle à date échue et de la probabilité de transgresser les délais constitutionnels qui encadrent l’exercice des fonctions électives, le juge constitutionnel a pris la responsabilité de faire reculer d’une semaine la date de tenue du scrutin. Les acteurs politiques avaient convenu de s’en remettre à la cour constitutionnelle pour « gérer » les prescriptions respectives de l’article 47 (le premier tour du scrutin de l’élection du président de la République a lieu tente (30) jours au moins et quarante (40) jours au plus avant la date d’expiration des pouvoirs du président en exercice…), celles des articles 114 et 117 qui habilite la cour constitutionnelle à ; d’une part, réguler le fonctionnement des institutions et l’activité des pouvoirs publics ; d’autre part, veiller à la régularité de l’élection du Président de la République.
En faisant « tordre » une règle constitutionnelle en faveur d’une autre, le juge commence par préciser qu’il s’agit de « deux normes constitutionnelle à valeur égale », que « bien qu’il n’existe de hiérarchie entre ces normes, la cour est en droit en sa qualité d’organe régulateur du fonctionnement des institutions de privilégier dans le cas d’espèce les articles 114 et 117 » de la constitution béninoise pour garantir la régularité et l’organisation harmonieuse de l’élection présidentielle par la Commission Electorale Nationale Autonome (l’équivalent de la CENI en République de Guinée).
A l’analyse, sans vouloir se donner l’impression d’exercer une prérogative qui dépend de son libre arbitre, le chef d’Etat béninois était mû par le souci de respecter « l’horloge électorale », ce qui est un véritable pilier des jeunes démocraties africaines.
La démarche s’est voulue proactive, car dans un contexte pareil, l’idéale commande que des mesures idoines soient arrêtées afin de se prémunir des protestations populaires qui annihilent la légitimité des gouvernants au-delà de l’expiration du mandat.
En outre, le respect du calendrier républicain garantit une rotation des élites gouvernantes et en conséquence des alternances démocratiques, qui sont vecteurs d’importantes « dividendes » en terme de crédibilité démocratique. L’élégance républicaine qui entoure la passation de pouvoir et la courtoisie qui rythme les échanges entre présidents (sortant et élu pu simplement gagnant et perdant), imprime un cachet particulier à l’ossature démocratique du pays. Le Mali et le Sénégal respectivement en 2012 et 2013 ont offert une leçon d’élégance républicaine significative. Lorsqu’au second tour des élections présidentielles le président Abdoulaye WADE candidat sortant et le candidat Soumaila CISSE ont reconnu hâtivement leurs défaites bien avant la proclamation officielle des résultats. De ce fait, non seulement le peuple en tire une motion de « modèle exemplaire démocratique », mais les acteurs (les présidents qui se succèdent) également, gagneront leur « ticket » au concert des hautes instances de représentativité et de respectabilité. Les cas du Cap-Vert, du Ghana et tout récemment du Kenya et du Benin sont édifiants.
D’autre part, la conjuration de « l’hérédité politique » atteste du deuxième défi qui garantit la sortie démocratique du pouvoir. L’« hérédité politique » est perçue ici comme un système successoral au bénéfice de la descendance du chef d’Etat en passe de quitter le pouvoir. Ce qui amène fort justement Jean NJOYA a constaté que « le constitutionalisme moderne par principe ramène l’hérédité au stade de pratiques surannées propres au monarchies décadentes. Elle est aussi considérée comme un fait social en obsolescence liée à un retarde de développement ; elle serait la marque exclusive des sociétés primitives appelées à s’en débarrasser à l’épreuve de la modernité, une entrave archaïque à l’émergence de la République ». Dans la mesure où les systèmes politiques actuels ont largement fait allégeance à un système démocratique de souveraineté (populaire, nationale ou les deux à la fois), la dévolution du pouvoir en conséquence, se voit astreinte à une compétition dénuée de vice qui viserait à « pistonner » un « dauphin » surtout héréditaire. La « parenté » en général et la « consanguinité » en particulier étant peu compatible avec le rite successoral en « République », la leçon de sagesse attendue du chef d’Etat qui arrive en fin de mandat, dicterait une équidistance « axiologique » vis-à-vis de tous les concurrents en lice. A défaut, l’entêtement à vouloir « faire passer la pilule » du « dauphin » à la majorité électorale encourt la compromettante conséquence de subir une éclatante défaite et de voir sa notoriété totalement s’éroder sous l’effet combiné de ce double rejet.
En perspective de l’élection présidentielle de 2012, le président Wade a été en partie, perdu par l’intention qui lui était prêté (à tort ou à raison) de vouloir se faire remplacer par son fils. L’idée d’une « dynastie » à la tête de la République n’enchantait nullement les populations soucieuses qu’elles sont de se choisir librement leurs propres dirigeants.
Au demeurant, la prise de conscience des acteurs ne cristallise pas seulement les implications directes, elle associe également les conséquences liées au statut d’ancien chef d’Etat. Si les successions de chefs d’Etat connaissent tendanciellement un succès franc dans le milieu africain, c’est en partie parce que les législations internes ont aménagé à destination des anciens présidents un ensemble de privilèges aptes à leur assurer une « retraite » méritée. La nostalgie du « pouvoir », avec tout ce qu’elle renferme suggère qu’une « porte de sortie » honorable soit aménagée au bénéficie du futur ex chef d’Etat. De ce fait, s’il est vrai qu’au Sénégal par exemple la loi N° 81-01 du 29 janvier 1981 fixe la dotation des anciens présidents de la République, le dispositif mis en place par la constitution ghanéenne de 1992 semble particulièrement intéressant.
En effet, l’article 68 indique clairement : « en quittant sa fonction, le président devra recevoir une prime en plus de sa pension, équivalent à son salaire ainsi que d’autres indemnités et équipements, avalisés par le parlement, conformément à la clause (3) de cet article ».
Mieux, de tels avantages financiers non seulement ne sont soumis à aucune taxation mais aussi resteront au bénéfice de l’ex président durant toute sa vie.
Fondamentalement, la spécification constitutionnelle de telles prérogatives reste appréciable sous deux angles au moins. D’une part, ces règles gagnent l’irréfutable avantage de garantir à priori une sortie honorable aux anciens présidents, surtout dans la sphère africaine où le président cherche souvent à s’accrocher au pouvoir. C’est, comme qui dirait, une sorte d’« appât » qui pousse les dirigeants à « lâcher » le pouvoir à l’échéance, moyennant en retour un ensemble d’avantage digne d’un ex président. D’autre part, la spécification de ces privilèges peut atténuer les velléités de détournement, de prévarications ou d’enrichissements peu conformes aux rudiments de l’orthodoxie juridique et des « conventions » sociales admises.
En outre, au-delà des avantages matériels internes, il faut dire qu’en quittant démocratiquement le pouvoir, le chef de l’Etat se construit un capital de notoriété qui le propulse vers les nouvelles responsabilités transnationales voire internationales. La sphère internationale se dresse comme une « vitrine » qui prolonge l’accomplissement d’activités d’intérêt général que le nouvel ex chef d’Etat n’aura pas totalement pu assouvir au niveau national, frappé qu’il était par l’épuisement du mandat. Les Cas du sénégalais Abdou DIOUF à la tête de l’Organisation Internationale de la Francophonie depuis plus d’une décennie ou du malien Alpha Oumar KONARE promu président de la Commission de l’Union Africaine et le président guinéen de la transition Sékouba KONATE promu également à la tête de la Force d’attente de l’Union Africaine et d’autre anciens chefs d’Etat impliqués dans des entreprises de médiation ou de missions d’observation d’élections en fournissent d’éloquentes illustrations.
Nous pensons que ces sages conseils tomberont dans les bonnes oreilles.
Fayimba MARA, constitutionaliste,
Doctorant à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar,
Professeur de Droit Public à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia
Tél : 626 956 374