Censure

La Guinée, au gué d’une « fraude à la Constitution » (Par Abdoul Karim Diallo)

Les juristes publicistes et privatistes s’accordent [au moins] sur un point en Droit. Ils considèrent tous que la légalité/constitutionnalité d’une action nécessite le respect tant de la lettre que de l’esprit du texte qui en constitue le fondement.

En Droit public, notamment constitutionnel, agir conformément à la lettre d’un texte en méconnaissance de son esprit peut constituer « une fraude à la Constitution » (Liet Veaux) et, en droit privé, le détournement de la finalité du droit (Jhering).

Ainsi, cette fraude consiste, dans ce cas-là, à utiliser de moyens « légaux », le plus souvent procéduraux, pour contourner l’application d’une disposition constitutionnelle. Il peut s’agir de l’adoption d’une nouvelle Constitution dans le seul dessein d’abroger une disposition constitutionnelle intangible de l’ancienne Constitution.

À notre avis, bien qu’une Constitution ait vocation à perdurer dans le temps, un consensus collectif peut décider d’adopter une nouvelle Constitution par référendum. Une Constitution peut être défaite par ceux qui ont pouvoir de la faire. Toutefois, à ce consensus collectif doit s’ajouter nécessairement un motif impérieux justifiant l’adoption d’une nouvelle Constitution. Pour nous, seule la réunion de ces deux conditions pourrait permettre l’adoption d’une nouvelle Constitution. Ce qui signifie que le changement de Constitution est une chose très rare. Toute manœuvre ou artifice visant à contourner l’application d’un texte par l’adoption d’un nouveau est une fraude.

 Il y a fraude dès lors que la finalité obtenue est illégale (même si la procédure est conforme à la lettre des dispositions constitutionnelles). Il y a illégalité, car l’esprit de la disposition constitutionnelle n’a pas été respecté. Il aurait fallu respecter la lettre et l’esprit de la Constitution.

Qu’entend-t-on par esprit ? Ce n’est pas la vision divinatoire. C’est plutôt ce que le constituant a entendu interdire ou permettre en adoptant telle ou telle disposition constitutionnelle indépendamment de sa lettre. Pour le connaitre vraiment, il vaudrait mieux se référer aux débats parlementaires qu’aux devins. Cet esprit est si important qu’il pourrait, dans certains cas (notamment lorsque la lettre est confuse), se détacher constitutionnellement de la lettre, alors que l’inverse n’est pas possible.  

Prenons l’exemple de l’art. 154, en cause, qui dispose notamment que « […] Le nombre et la durée des mandats du président de la République ne peuvent faire l’objet d’une révision ». L’adoption d’une nouvelle Constitution qui permet à un Président ayant déjà épuisé deux mandats, de « poursuivre » un « nouveau » mandat est contraire à l’esprit de la Constitution.

L’adoption de cette nouvelle Constitution est une fraude à l’esprit de l’art. 27 qui dispose qu’« en aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non » et l’art. 154, indépendamment de la question de savoir s’il a le droit ou non de faire adopter une nouvelle Constitution.

Rappelons qu’une Constitution ne peut être conforme à une autre. L’adoption d’une nouvelle abroge l’ancienne. Ce plutôt son adoption qui doit être conforme à celle qui est en vigueur. Mais encore faudrait-il que la nouvelle Constitution ne soit pas constitutive d’une fraude à l’ancienne. Dans ce cas, la nouvelle est frappée d’une nullité absolue.

Précisons tout de suite, et clairement :  

  1. Cette analyse ne répond pas directement à toutes les interrogations soulevées pour la révision ou l’adoption d’une nouvelle Constitution telle la possibilité ou non de se fonder sur l’article 51.  Il vise simplement à rappeler qu’une Constitution se compose d’un tout indivisible. Sa lettre et son esprit. Pour nous, c’est le point de départ qui dilue toutes les autres questions.
  2. Et pour égratigner la politique, notamment les esprits partisans, nous les rassurons par cette lapalissade suivante : nous n’adhérons pas au projet politique de M. Alpha CONDE encore moins à celui de M. Cellou Dalein DIALLO et plus largement à « l’opposition ».
  3. Nous ne répondons pas non plus à une position adoptée par un autre juriste. Car, le droit permet à tout citoyen d’exprimer ses opinions même si ce sont âneries. Parfois, ce sont les « erreurs » qui sont à l’origine de la vérité.

La révolution projetée contre la Constitution de 2010 est inconstitutionnelle. Car elle méconnait l’esprit du constituant originaire. Elle rendrait tangible une disposition intangible, (I) en permettant un troisième mandat déguisé en premier dans une nouvelle Constitution (II), alors même qu’aucun motif valable de révision ou d’adoption d’une nouvelle Constitution  ne le justifie (III).

I.      Vers une tangibilité d’une disposition constitutionnelle intangible

Le principe d’intangibilité a pour finalité de protéger une disposition de la modification ou de l’abrogation. À notre avis, il n’institue pas pour autant une protection perpétuellement indépassable. Toutefois, la modification ou l’abrogation d’une telle disposition nécessite un motif impérieux suffisamment consenti par le peuple.

Existe-il un motif impérieux pour réviser ou adopter une nouvelle Constitution en Guinée ? la réponse à cette question ne saurait se détacher des circonstances politiques actuelles, c’est-à-dire l’ouverture d’une voie à un troisième mandat pour le président de la République.  Il est inutile d’esquiver le fond de la question pour s’attarder sur des questions de contours.

Il n’est pas possible de se fonder sur des irrégularités commises lors de l’adoption de la Constitution de 2010 pour justifier la modification ou l’adoption d’une nouvelle Constitution.

D’une part, ce fondement n’est pas suffisant.  L’article 154 est clair « la durée des mandats du président de la République ne peuvent faire l’objet d’une révision ». D’autre part, à supposer même que cet argument susmentionné soit valable pour adopter une nouvelle Constitution, remettre en cause la Constitution de 2010 reviendrait à rendre inconstitutionnelles toutes les institutions instituées sur son fondement, au nombre desquelles, figurent notamment la présidence de la République et l’assemblée nationale.

Dans ce cas d’adoption d’une nouvelle Constitution sur le fondement des prétendues irrégularités de la Constitution de 2010, le président de la République, en particulier, devrait démissionner, car il serait élu en application d’une Constitution non valable.  Il ne lui serait pas non plus possible, du moins constitutionnellement, de se présenter aux élections présidentielles organisées sur la base de la nouvelle Constitution. Admettre éventuellement sa candidature reviendrait à avouer sa fraude à la Constitution de 2010 à savoir rendre tangible une disposition intangible sans motif impérieux. Il méconnaitrait  l’esprit de la Constitution de 2010 et rendrait de surcroît sa candidature impossible.

En fin de comptes, la nouvelle Constitution serait nulle dès lors que la fraude fait exception à toute règle. Le Conseil constitutionnel, saisi, serait normalement lié par la violation de l’esprit de la Constitution de 2010 pour rejeter la candidature du Président sur le fondement de cette même Constitution dès lors que la nouvelle Constitution aurait pour objectif de permettre un troisième mandat déguisé en premier mandat dans une nouvelle Constitution.  

II.                Vers la « constitutionnalisation » inconstitutionnelle d’un « premier mandat » dans une nouvelle Constitution  

Pourquoi abandonner la voie de révision au profit d’une nouvelle Constitution ?

 Puisque la disposition (art. 27) interdisant l’exercice par le Président de plus de deux mandats ne peut, normalement, faire l’objet d’une révision (art. 154). Alors, l’autre moyen est de remettre en cause l’intégralité de la Constitution de 2010 en faisant appel au constituant originaire (le fameux peuple). Toutefois, c’est oublier que l’art. 2 de la Constitution dispose que « la souveraineté s’exerce conformément à la présente Constitution ».

En effet, l’adoption d’une nouvelle Constitution n’est pas une compétence discrétionnaire du peuple. Le Président ne peut de son libre arbitre, abstraction faite de tout motif impérieux, solliciter le peuple pour adopter une nouvelle Constitution. Une telle procédure est de nature à vicier la procédure d’adoption de la Constitution nouvellement adoptée (nulle). Toute nouvelle Constitution doit respecter la Constitution de 2010. Remettre en cause cette dernière, dans le seul but de modifier ses dispositions intangibles, est bien une fraude.

L’adoption d’une nouvelle Constitution, actuellement, reviendrait à « respecter la forme pour combattre le fond » (Liet Veaux), c’est-à-dire rendre possible dans une nouvelle Constitution ce qui était impossible sous l’empire de la Constitution de 2010, notamment un troisième mandat. Cette adoption ne serait pas constitutionnellement fondée.  À considérer même, dans l’optimiste, que l’actuel Président renonce à toute nouvelle candidature, les conditions de changement de Constitution ne sont pas réunies.

Le Droit, contrairement à ce que l’on fait croire le plus souvent, n’est pas simplement une compilation d’articles. « C’est le but qui crée le droit » (Louis JOSSERAND). Raison pour laquelle, il est inutile de connaitre la lettre et rester dans l’ignorance de son esprit. Prenons un exemple en droit privé. Un mariage consenti entre un natif est un étranger dans le seul objectif de faire bénéficier à ce dernier de la nationalité du pays de résidence peut être illégal sur le seul fondement de la méconnaissance de l’esprit de la loi. (Détournement de l’objet mariage).

Finalement, il est inutile d’être un rôdeur de la Constitution de 2010 pour savoir si elle permet ou interdit l’adoption d’une nouvelle Constitution. Dès lors que la finalité poursuivie par les tenants d’une nouvelle Constitution est contraire à l’esprit de celle déjà en vigueur, cela suffit à rendre leur démarche inconstitutionnelle d’autant plus que les reproches à la Constitution de 2010 ne peuvent fonder son abrogation.

III.         La Constitution guinéenne plaide non coupable

Au mépris des esprits perfectionnistes, rappelons, une fois de plus, qu’« avec des bons magistrats, les mauvaises lois (mêmes constitutionnelles) peuvent encore être supportables » (Platon). Autrement dit, il n’est pas possible pour un texte d’être suffisamment clair pour couvrir toutes les situations susceptibles de naître sur son fondement. Il reviendra au magistrat saisi de la question de restituer la bonne interprétation ou de faire la bonne application du texte.

 La raison est simple. Le droit est fait pour une société qui évolue alors que sa lettre est « figée ». Ce qui nous pousse à soutenir, dans un premier temps, qu’il n’y a pas, en réalité, de bon ou mauvais texte mais plutôt de bonne ou mauvaise interprétation ou application, dans un second temps, que l’esprit est plus important que la lettre. Cette interprétation ou application doit rendre justice à la volonté du constituant. La lettre d’un texte est souvent confuse et imprécise alors que son esprit est fiable et le protège contre les manœuvres d’interprétations ou d’applications trompeuses.

Une Constitution est une volonté générale ultime. Elle prévoit les règles fondamentales qui constituent en réalité une volonté commune, tellement importante, qu’elle intègre la tradition de la société.  Tout citoyen est supposé connaitre ces principes alors même qu’il ne connait pas forcement la Constitution. Parce qu’elle est un contrat consenti par tous les citoyens. C’est d’une certaine manière, « une coutume écrite ».   

Aussi basique que cela puisse paraitre, il y a nécessité de rappeler qu’il n’existe pas d’œuvre humaine complète et spécifiquement une Constitution parfaite. Une erreur ou une contradiction commise par le constituant n’est pas une fatalité. À partir du moment où on peut connaitre ce qu’il a voulu dire, il n’y a pas lieu, à notre avis, de s’acharner sur la lettre. Nous n’incitons pas non plus à l’égarement volontaire surtout dans l’adoption d’une disposition aussi importante que l’adoption ou la révision d’une Constitution.

Pourquoi limiter le mandat présidentiel ?

Bien que nous ne soyons pas habités pas des esprits, comprenons l’esprit d’une disposition limitant un mandat présidentiel.

Présentons quatre points essentiels. Premièrement, limiter ce mandat, permet au peuple, « détenteur du pouvoir », d’avoir la possibilité de renouveler ou de retirer le pouvoir qu’il accorde au Président. Deuxièmement, assurer une alternance afin que « tout citoyen » ait la possibilité de se présenter aux élections. Troisièmement, protéger le peuple contre lui-même. On considère que deux mandats suffisent à l’élu pour réaliser ses engagements politiques. Au-delà, même si le peuple est d’accord à ce qu’il poursuive un autre mandat, le Président est déjà censé avoir eu un temps nécessaire, avec des pouvoirs étendus, pour épuiser toutes ses stratégies politiques.  Aussi bon qu’il soit, s’il n’a pas pu réaliser ces projets au cours de ces deux mandats, la limitation du mandat, préserve le peuple contre « sa propre volonté » de reconduire un tel Président. Finalement, dans les conditions normales, « la bonté d’un Président pour un peuple » n’est pas une condition suffisante pour modifier ou abroger la Constitution afin de perpétuer son règne, comme un roi. Quatrièmement, il est important, pour le peuple de nourrir et d’entretenir un principe de non régression en matière de démocratie. Deux mandats sont plus démocratiques que trois.

En définitive, la Constitution de 2010 n’est pas responsable de ce que la Guinée traverse aujourd’hui.  Elle est victime de supercherie, de calomnie et de ruse noire. Il est urgent de l’accorder au moins la présomption d’innocence dès lors qu’elle a plaidé non coupable. Sinon on commet une injustice. La justice, est le fidèle respect de la parole donnée à l’engagement (Ciceron). 

Nous avons donné notre parole à cette Constitution (d’une manière ou d’une autre), au premier rang, le Président à travers son serment. Nous devons respecter la parole donnée à cet engagement. Dans le cas contraire, on s’insurge, on se révolte contre la Constitution.  Et celui ou celle qui se révolte pour renverser une Constitution perd automatiquement son autorité et permet au peuple de défendre constitutionnellement et légitimement le consensus collectif formulé dans cette Constitution. Dans l’illégalité ou l’inconstitutionnalité, la désobéissance et l’opposition sont un droit et un devoir sacrés.

En fin de compte, il est constitutionnel de se révolter contre une révolution inconstitutionnelle contre la Constitution

Que Dieu sauve l’esprit de la Constitution guinéenne des esprits maléfiques.

 Abdoul Karim

Étudiant à l’URCA

Contact : hadiatoumamam@gmail.com

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