Lors de la nuit du destin qui se célèbre le vingt septième jour du mois de ramadan, un imam de la ville de Kankan, en l’occurrence Nanfo Ismaël Diaby, lit et commente le coran en langue nationale maninka devant ses fidèles. Ce qui aurait pu paraître anodin va rapidement prendre l’allure d’un scandale religieux qui agite la cité et au-delà tout le pays. Ledit scandale a éclaté les jours suivants quand les gens ont découvert sur les réseaux sociaux la vidéo de la prière postée certainement par un des fidèles.
La ligue islamique régionale de Kankan, partant du dogme que le coran doit obligatoirement être lu en arabe avec si possible un commentaire dans une autre langue, prend aussitôt la décision d’interdire à l’imam Diaby toute prêche dans les mosquées et toute chronique religieuse dans les médias, et ce jusqu’à nouvel ordre. Par ailleurs des gens n’hésitent pas à proférer des menaces de mort à l’imam. Ainsi la décision ne manque pas de créer un débat plus ou moins houleux entre les citoyens qui l’approuvent et ceux qui la dénoncent. Ça ne peut en aucune manière laisser indifférent tout citoyen, musulman ou pas, désireux de la préservation des libertés et des droits fondamentaux qui constituent le socle de toute démocratie véritable.
Cette affaire n’interpelle personnellement parce que j’y vois une atteinte intolérable à la constitution de la république, notre loi fondamentale. Celle-ci déclare en effet en plusieurs de ses articles la laïcité de l’Etat guinéen ainsi que les libertés d’opinion et d’expression. Les juristes explicitent ces différents articles en disant à propos de la laïcité de l’Etat qu’il en résulte l’égalité de droit d’exister de toutes les religions pratiquées en Guinée, l’Etat ne se doit pas d’intervenir dans l’organisation et le fonctionnement des affaires religieuse et en retour celles-là doivent se garder d’interférer dans les affaires de l’Etat. Pour ce qui est des libertés d’opinion et d’expression, il est reconnu à tout citoyen guinéen d’avoir son opinion et de l’exprimer librement sur tous les sujets y compris la religion. Même la liberté de ne pas avoir de religion, autrement dit d’être athée, est garantie par la loi.
Le malheur est que notre constitution est régulièrement violée et par l’Etat et par les citoyens. Par exemple l’Etat a tort de créer un secrétariat d’Etat aux affaires religieuses ou de débourser des milliards de nos francs à construire des lieux de culte ou à l’organisation de pèlerinages. Des croyants de tous bords éprouvent quelque peine à accorder la main de leurs filles à des prétendants qui ne partagent pas leur foi.
A l’intérieur d’une même religion la pratique de certains dogmes pose problème. C’est le cas du dogme musulman qui veut que le coran soit prêché exclusivement en arabe, alors que le message livré par ce livre est destiné à tous les peuples du monde qui ne parlent pas la même langue. Il en est de même du dogme chrétien du célibat chez les religieux catholiques qui ont de plus en plus du mal à le vivre.
Il faut bien se résoudre à admettre que l’imam Nanfo Ismaël a le plein droit de lire le coran et de faire prier dans sa langue maternelle. C’est regrettable que des docteurs en islam soutiennent le contraire, mais on sait que les titres universitaires ne garantissent pas forcément la possibilité d’être juste et progressiste.
Pour un athée comme moi, la religion elle-même n’est qu’une utopie qui repose sur un soi-disant Dieu, un être suprême qui n’existe pas. Elle est cependant nécessaire à l’équilibre moral de l’humanité jusqu’à ce que celle-ci trouve les moyens de s’en débarrasser. En attendant il y a lieu que tous les esprits éclairés se donnent la main pour combattre l’obscurantisme sous toutes ses formes y compris les atteintes à la laïcité de l’Etat et aux libertés publiques.
Tiens bon, imam Diabay, la loi est de ton côté !
Walaoulou Bilivogui