Communicant, enseignant, journaliste, dramaturge, metteur en scène, et depuis peu, auteur dramatique. Souleymane Thiâ’nguel Bah, c’est de lui qu’il s’agit, sait qu’il a plusieurs cordes à son arc ; mais se réjouit de ce que tout cela ne réside que dans deux domaines : la Communication et la Culture. L’ancien communicant de l’UFDG, en exil depuis qu’il a été mis en cause dans l’affaire de l’assassinat du journaliste Koula Diallo, revient à ses anciennes amours : l’écriture et le théâtre. Et cela lui va comme un charme. C’est d’ailleurs pour lui une thérapie. « Le théâtre en particulier et l’écriture en général me permettent de vivre avec moins de douleur mon exil », nous dit-il, dans cette interview faite par internet. Nous avons dansé avec ce diable d’artiste.
Guinee7.com : Commençons par un tableau pas très beau. Vous avez été condamné dans l’affaire de l’assassinat du journaliste de www.guinee7.com, au siège de l’UFDG, parti pour lequel vous faisiez la communication. Récemment, vous avez décidé de vous blanchir, et vous avez saisi la cour de justice de la CEDEAO. Où en est-on ?
Souleymane Thiâ’nguel Bah : La plainte a été enregistrée et la cour l’a déclarée recevable. Elle a été notifiée à l’Agent judiciaire de l’État. Il avait un mois pour répondre. Il y a quelques jours, après l’échéance du mois, l’avocat qui a été constitué a sollicité un mois supplémentaire ; ce que la cour a accordé. Donc, j’attends. Mon avocat, Me Alpha Yaya Dramé, suit ça de près.
ma façon de dire à ceux qui ont voulu me briser que je tiens debout
Allons maintenant à la beauté des choses, vos pièces de théâtres font la conquête de la France actuellement. Et vous n’arrêtez d’en créer. Le théâtre vous permet de vivre avec moins d’atrocité votre exil ?
Vous savez, l’écriture a souvent été un moyen d’évasion pour ceux dont la liberté est confisquée, un exutoire pour ceux qui ont mal, un outil de contestation face à l’oppression. Je n’invente rien à ce niveau. Mais une chose est sûre : l’insoumission qu’on me connaît dans notre pays a toujours eu dans l’écriture le moyen le plus approprié pour dire ce avec quoi je ne suis pas d’accord. En Guinée, on sait bien que je n’ai pas su et jamais voulu la fermer chaque fois que la réalité commandait à l’ouvrir. Les gens me connaissent et mon travail aussi. C’est en France que ce travail n’était pas vraiment connu. Cela fait plus de vingt ans que le théâtre et la culture font partie de ma vie. J’ai mis en scène beaucoup de pièces. « Danse avec le Diable » par exemple, a été créée et lorsque je l’ai présentée au Centre culturel franco-guinéen, elle a eu un grand écho. Elle avait même eu le Prix de la meilleure création théâtrale en 2016 aux « Guinée Comédie Awards », alors que je n’étais plus au pays. Maintenant oui, évidemment que le théâtre en particulier et l’écriture en général me permettent de vivre avec moins de douleur mon exil. Mais c’est aussi ma façon de dire à ceux qui ont voulu me briser que je tiens debout. Qu’il sache que le roseau plie mais il ne casse pas. Je ne dis pas que je gagnerai, mais je n’abdiquerai pas. Par ma plume, je continuerai à vivre et à résister dans l’espace public guinéen, n’en déplaise aux hommes rongés par l’ambition et la rancœur.
Chacune de mes œuvres porte les relents de mon engagement politique
Apparemment vous vous sentez mieux dans l’écriture théâtrale. Et pourquoi avez-vous accepté de « danser avec le diable », en descendant dans l’arène politique ?
Je n’ai jamais compris pourquoi certains voudraient que mon engagement politique pose problème, face à mes activités artistiques. Pourquoi je devrais choisir ? Mes expériences en politique nourrissent mon travail artistique. Reprenons l’exemple de « Danse avec le Diable ». Je l’ai écrite au sortir des élections présidentielles de 2015, pour dire mon amertume sur la façon dont les deux principaux partis politiques gèrent notre destinée, souvent au détriment de nos rêves et de nos espoirs. La famille dont je parle dans le texte est avant tout l’allégorie de la Guinée et le frère aîné et le frère cadet sont les métaphores d’Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo ; les sofas sont les forces de l’ordre de l’un et les talibés, les militants de l’autre. Autres exemples, lorsque j’ai fait « Roméo et Juliette », toute ma mise en scène était construite autour des tensions politico-ethniques qui ont failli conduire notre pays à la déflagration. La pièce « Tu m’aimeras » est tout aussi un clin d’oeil à la Guinée contemporaine, dans sa dimension à faire de la femme la représentation de notre pays et les deux hommes qui veulent la coucher étant l’armée et les politiciens. Chacune de mes œuvres porte les relents de mon engagement politique, couplés aux tares que je ne cautionne pas dans cet espace. J’y suis, mais je garde mon indépendance, ma liberté, mes rêves et mes utopies, en espérant tous les jours que je puisse influencer ceux qui y sont par mes espérances. Il ne peut y avoir deux Thiâ’nguel. Il y en a un seul : qu’il soit dans l’espace artistique, politique, médiatique ou académique, je reste porté par les mêmes valeurs que m’ont été transmises. S’il y a deux Thiâ’nguel, c’est seulement dans ma volonté de revendiquer ma liberté de parole de l’un vis-à-vis de l’autre et vice-versa.
C’était vraiment gratifiant de partager avec le public mon « petit truc » fabriqué dans la solitude de ma chambre
Le texte de « Danse avec le Diable » a été lu au Festival d’Avignon, le 15 juillet dernier. Vous y étiez. Dites-nous comment vous avez vécu cette consécration ?
C’était un moment exceptionnel. Être lu dans le plus grand festival de théâtre du monde est effectivement une sorte de consécration, surtout une marque de confiance et de reconnaissance à votre travail. Et vivre cela dans ce moment particulier de ma vie est tout simplement une bénédiction. J’y ai rencontré de jeunes auteurs talentueux, comme Sédjro Giovanni Houansou (prix RFI théâtre 2018) ou encore Mawusi Agbedjidji. Ces rencontres ont été des moments absolument stimulants et ces jeunes auteurs incroyablement inspirants. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour remercier Pascal Paradou, concepteur et coordinateur de ce cycle de lectures, pour sa confiance. C’était vraiment gratifiant de partager avec le public mon « petit truc » fabriqué dans la solitude de ma chambre.
Cette année, comme le dit le chanteur, semble être l’année de votre année, le texte de « La fille qui répare les hommes » est aussi programmé aux Journées de Lyon des Auteurs de théâtre, en novembre 2019. Que dites-vous dans cette pièce ? Et quel commentaire faites-vous de sa sélection pour ces Journées de Lyon ?
« La Fille qui répare les hommes » fait plutôt partie des pièces qui ont marqué le jury et qui bénéficieront d’une certaine visibilité. Elle raconte l’histoire d’une fille qui assiste à des violences que subit son père et à l’enlèvement de son frère. Elle décide donc de se lancer à la poursuite des criminels pour leur faire payer et libérer son frère. En fait, le texte pose la question de la limite entre justice et vengeance. À quel moment on bascule de l’une à l’autre. Je suis évidemment heureux que la pièce ait été remarquée. Depuis que je l’ai envoyée à ce concours, je l’ai beaucoup retravaillée et elle a pas mal changé. Même le titre d’ailleurs qui est désormais « Chemin de proie(s) ».
une pièce sur les changements de constitution, avec comme fil conducteur la question de la boulimie du pouvoir
Quels sont vos projets à court, moyen et long termes ?
Mes projets actuellement s’inscrivent essentiellement dans la poursuite du travail de ce texte, dans le cadre d’une bourse que j’ai obtenue pour deux résidences d’écriture dans deux hauts lieux du théâtre en France. On vient par ailleurs de me proposer de prendre part à une autre résidence avec d’autres auteurs. C’est une nouvelle opportunité qui est en cours de finalisation. Un autre projet est aussi sur le feu : une pièce sur les changements de constitution, avec comme fil conducteur la question de la boulimie du pouvoir.
Interview réalisée par Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com