Censure

Vite, avant que le « Rossignole du Fouta » ne rejoigne « l’Oiseau du Sankaran » (Par Alimou Sow)

L’artiste Kerfalla Kanté est mort. Des torrents d’hommages, de témoignages de compassion et de bons souvenirs se déversent sur lui.

Hommes et femmes du monde de la culture, de la politique, du Business, des médias et de la communication se ruent à son domicile pour présenter leurs condoléances. Pour le pleurer. Les médias mainstream organisent des « lives » Facebook, les superlatifs sur son talent volent en rase-motte. La Toile s’anime, communie, se recueille, pleure. Le deuil est partout.

Pour combien de temps ? Le temps que « l’Oiseau du Sankaran », comme on surnommait l’artiste, s’envole vers sa dernière demeure. Une ou deux semaines tout au plus. Puis retombera le silence. Puis le temps, cette gomme implacable, effacera les traces, nivellera les sillons, apaisera les cœurs et les esprits. L’immaculé linceul de l’oubli recouvrira les souvenirs et la compassion. Tout reviendra à la normale. Normal, jusqu’à la prochaine disparition d’une célébrité.

Saïdou Sow, Sékouba Fatako, Fatou Linsan Barry, Big Dre, … pour ne citer que quelques cas plus ou moins récents. L’impitoyable glaive de la Faucheuse s’abat indistinctement. La mort est insensible à l’art. Encore moins à la célébrité. Elle s’en fout de notre état d’âme.

La mort n’est pas un drame. Même celle d’une vedette de la chanson. Le drame, c’est en général la vie de ces artistes. Surtout leur fin de vie. Eux qui finissent sur la paille, broyés par la misère, rongés par la maladie et l’isolement. La faute parfois à une hygiène de vie insuffisante. La faute surtout à une industrie musicale qui ne protège pas. Ni contre la spoliation de leurs œuvres, ni contre la voracité des promoteurs.

Kerfalla s’en va, d’autres le suivront. Le rituel post-mortem sera identique.

Pourtant, il est possible d’agir pour certains. Je pense notamment à Binta Laly Sow : grand-mère, septuagénaire. Le « Rossignole du Fouta » dont la voix résonne dans les quatre coins de la Guinée depuis quatre décennies. Pour rien ou presque sur le plan matériel. Presque mendiante.

Binta a vécu pour chanter, elle chante aujourd’hui pour survivre. Les seules armes qui lui restent sont sa voix toujours puissante et sa santé relative. Mais le poids de l’âge est là. La fleur sa fane progressivement.

Alimou Sow et Binta Laly

La jeune journaliste Abdoulaye Sadio Diallo y est très sensible. Il est venu m’en parler. Lui et moi essayons depuis plusieurs mois de faire quelque chose pour Binta Laly Sow. Un concert d’adieu ? Un album spécial restreint ? Les deux ? Nous avons les idées, pas les moyens ni l’expérience dans le domaine.

Nous ne désespérons pas pour autant. Même si le temps presse et les nuages s’amoncellent dans le ciel lugubre. Il faut agir. Vite, avant que le « Rossignole du Fouta » ne rejoigne « l’Oiseau du Sankaran » pour un vol éternel. Repose en paix, Kerfalla.

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