En faveur des consultations nationales exécutées par le premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, le président de l’Union pour la démocratie et le développement (UDD), Bah Oury, a été reçu à la primature ce mercredi 25 septembre. Voici les trois points qu’il a évoqués lors de son audience.
• La nécessité de permettre aux citoyens guinéens vivants à l’étranger d’avoir à faire les formalités de délivrance de passeports biométriques dans les pays de leur résidence.
• La gratuité pour l’inscription aux masters 1 et 2 pour les étudiants méritants dans les universités publiques.
• Enfin le débat sur la constitution
La mentalité révisionniste s’empara à partir de l’année 2000
Le débat sur la constitution
La longue quête pour une alternance démocratique en Guinée
La Guinée est depuis l’indépendance en 1958 à la quête d’une alternance démocratique apaisée et réussie. La déclaration de prise de pouvoir de l’armée le 03 avril 1984 après la mort du Président Sékou Touré le 26 mars de la même année avait expliqué les dérives dictatoriales du PDG le parti-Etat par la longévité des mêmes personnes au pouvoir pendant 26 années. Cette assertion avait amené le Général Lansana Conté a proposé au peuple guinéen un projet constitutionnel rédigé par le CTRN (Comité Transitoire de Redressement National) qui limite les mandats du Président de la République à 5 ans une seule fois renouvelable. La première élection du Général Lansana Conté au suffrage universel eu lieu en 1993, et il fut reconduit en 1998. La mentalité révisionniste s’empara à partir de l’année 2000 des leviers de commande du pays et du parti gouvernemental le PUP (Parti de l’Unité et de la Paix) pour réclamer une nouvelle constitution pour conférer une présidence à vie au Général Conté. Massivement le peuple guinéen boycotta ce référendum et cela n’empêcha nullement le régime a adopté cette constitution pour organiser en 2003 une nouvelle élection présidentielle dans une totale indifférence des partis politiques et de la population.
Le Koudeïssme triomphant
Le Koudeïssme triomphant plongea ensuite la Guinée dans une décennie noire de mal- gouvernance, de violences politiques, de bouleversements sociaux, de tragédies collectives (22 janvier 2007) et favorisa la prise du pouvoir en 2008 d’une junte militaire le CNDD du Capitaine Dadis Camara. Celle-ci tenta de confisquer à son profit le pouvoir en noyant dans le sang et l’horreur la manifestation des forces vives nationales le 28 septembre 2009. Ce sont ces sacrifices qui ont permis la fin de la transition militaire par la rédaction et l’adoption d’une constitution pour empêcher et prévenir la répétition du koudeïsme en Guinée en verrouillant les principes essentiels du socle de la République et de l’alternance démocratique en Guinée. C’est cette constitution qui fait hélas l’objet de débat pour tenter de la jeter aux orties au profit « d’une nouvelle constitution ».
La constitution de 2010 : légitimité et pertinence.
L’accumulation des consultations populaires dans un contexte de forte polarisation politique
L’historicité de la rédaction de l’actuelle constitution prouve qu’elle est une forme d’exorcisme de la « décennie noire du koudeïsme de 2000 à 2010. Elle tire ainsi sa légitimité en étant l’adjuvant indispensable pour conforter à l’aune des épreuves et des sacrifices de ses populations un environnement de stabilité et de cohésions nationales. Le CNT assemblée constituante avait été conçu par une large représentation des forces sociales, politiques, économiques, universitaires et de délégués des guinéens de l’étranger. Par conséquent c’est faire un « mauvais procès » au CNT en ce qui concerne sa légitimité.
Ensuite les articles 51 et ceux du titre XVIII portant sur la révision de la constitution montrent les possibilités des amendements constitutionnels qui doivent être en conformité avec la constitution de 2010. Les constituants ont ainsi en connaissance de cause prévu les évolutions futures de la constitution tout en « cristallisant dans le marbre » dans l’article 154 des principes intangibles pour raffermir dans la durée des institutions républicaines ou la dévolution du pouvoir pourra se faire régulièrement et pacifiquement.
Une nouvelle constitution : des risques et des menaces pour la stabilité de la Guinée
Toutefois l’opportunité d’une modification constitutionnelle ou une révision pose de sérieuses difficultés dans les circonstances où les élections communales de février 2018 ne sont pas encore apurées car les conseils de quartiers et de districts sur l’ensemble du territoire ne sont pas installés. En plus les élections législatives dont la date de leur organisation ne fait pas l’objet encore d’un consensus national, ont connu un important décalage hors du mandat légal. L’accumulation des consultations populaires dans un contexte de forte polarisation politique du fait de l’approche des élections présidentielles serait un risque supplémentaire pour la stabilité du pays.
Une nouvelle constitution : des risques et des menaces pour la stabilité de la Guinée
Une nouvelle constitution c’est-à-dire une « autre République » qui aurait pour conséquence de contourner ou rendre caduc les « intangibilités » n’est pas envisageable car contraire aux dispositions constitutionnelles en vigueur. Persister dans la voie pour « une nouvelle constitution » reviendrait à l’abolition de l’actuelle République pour une autre. Ce serait anticonstitutionnel. Cette possibilité ouvrirait des risques sérieux pour la paix civile et détériorait immanquablement la stabilité et la cohésion nationales. Les répercussions de ce choix bouleverseraient nos relations avec nos voisins de l’espace CEDEAO, et entraveraient durablement nos relations de coopérations avec nos partenaires stratégiques comme l’Union Européenne y compris la France d’une part et les Etats-Unis d’Amérique d’autre part.
La charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance ratifiée par notre pays en son article 23 stipule : « Les Etats parties conviennent que l’utilisation entre autres, des moyens ci-après pour accéder ou se maintenir au pouvoir constitue un changement anticonstitutionnel de gouvernement et est passible de sanctions appropriés de la part de l’Union Africaine : les putsch, les interventions de mercenaires et les interventions de groupes dissidents ou rebelles pour renverser un gouvernement démocratiquement élu ainsi que tout refus par un gouvernement en place de remettre le pouvoir au parti ou au candidat vainqueur à l’issue d’élections libres, justes et régulières ». Il en est de même pour « tout amendement ou toute révision des constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique ». Dans ce cas de figure le Conseil de Paix et de Sécurité peut prendre la décision de suspendre les droits de participation de l’Etat partie concerné aux activités de l’Union Africaine en vertu des articles 30 de l’acte constitutif et 7 (g) du protocole. Le Conseil de Paix et de Sécurité a même prévu des sanctions individuelles pour les promoteurs des faits relatés dans l’article 23.
Monsieur le Premier Ministre
Comme vous le savez sans doute, le projet de changement constitutionnel dans les circonstances actuelles s’avère périlleux pour la stabilité institutionnelle de notre pays. Coincée entre des pays convalescents suite aux guerres civiles qui les ont déchirés comme la Côte d’Ivoire, le Libéria et la Sierra-Léone et adossée à l’Est sur des pays épicentres du terrorisme au Sahel et à des tueries intercommunautaires, la Guinée est un verrou pour conforter une paix relative dans la sous-région.
Il est par conséquent primordial de veiller à surseoir à toute initiative qui pourrait mettre en danger notre pays. Les périls sont grands.
Monsieur le Premier Ministre
Nous vous remercions de bien vouloir transmettre à Monsieur le Président de la République notre ardent souhait de le voir « être le Président de la République qui mettra la Guinée sur la voie de l’alternance démocratique apaisée et réconciliatrice ». Alors s’il en ainsi, l’Afrique et la Guinée lui seront infiniment reconnaissantes.
BAH OURY
Ancien ministre
Président de l’Union pour la Démocratie et le Développement (UDD)