Censure

Un groupe d’ingénieurs attire l’attention d’Alpha Condé sur les conditions de formation du personnel exploitant guinéen des centrales de Kaléta et Souapiti

VOTRE EXCELLENCE,

Après avoir exploré en vain tous les canaux hiérarchiques à notre disposition (Direction Générale  du Projet d’aménagement hydroélectrique de Souapiti, Ministère de l’Energie et de l’ Hydraulique.. .) , permettez-nous de vous exposer la vraie situation qui a prévalu et qui prévaut toujours au niveau des sites de Kaléta et Souapiti en ce qui concerne le contrat d’exploitation et de maintenance en son volet « formation du personnel exploitant du maître d’ouvrage» signé entre l’Etat guinéen et la société chinoise CWE (China International Water and Electric Corp.)

KALETA :         

Je vous rappelle tout d’abord, Mr le Président de la République, qu’une centaine d’ingénieurs guinéens avaient été recrutés depuis 2014 au projet Kaléta (PAHK) pour suivre les travaux HEM(Hydroélectromécaniques) et ensuite servir de personnel exploitant à la fin des travaux de construction. LE 05 février 2014, ces nouvelles recrues que nous étions ont été déployées sur les différents sites du projet  sans aucun entretien sérieux et clair sur nos conditions de vie et de travail sur site à plus forte raison un contrat de stage ou de travail et cela malgré nos multiples interpellations et interrogations envers la direction générale et le ministre de l’Energie. Pendant toute la phase de construction, notre situation n’a jamais évolué malgré la distance (à 140km de Conakry) et les pénibles conditions de vie et de travail sur le terrain. Vers la fin du chantier, la direction générale nous distribue des badges sur lesquelles il est mentionné recto  que nous étions des stagiaires du projet et verso que nous étions des employés du même projet juste pour semer  la confusion dans nos têtes , justifier  la stagnation de notre statut et le mauvais traitement financier dont nous avions fait l’objet: une prime de subsistance mensuelle(non un salaire) d’un( 01) million GNF par mois pour tous nos frais de nourriture ,maladie… sans aucune assurance sociale malgré tous les fonds alloués à cet effet ;ce qui était de loin inférieur à même ce que percevait un chauffeur du projet par exemple . Quant au logement, nous étions entassés douze(12) personnes par chambre. Le comble, juste deux(02) mois  après l’inauguration de Kaléta le 28 septembre 2015, nous avons été soudainement mis, selon leurs propres termes, en chômage technique (pour ne pas dire chômage économique) car même le dernier mois du personnel (Novembre 2014) entièrement travaillé n’a pas été perçu et nous sommes rentrés comme çà  bredouilles et endettés dans nos différentes familles par « arrivé-payé »sans aucune mesure d’accompagnement  ou un quelconque règlement. C’est ainsi qu’a pris fin cette étape.

SOUAPITI :

Ce n’est qu’en Novembre 2016 que la direction  générale du projet  d’aménagement hydroélectrique de Souapiti (PAHS) nous a rappelés, avec pratiquement les mêmes responsables qu’au projet Kaléta pour nous soumettre à une nouvelle  série de tests de recrutement oral, écrit ,pratique et médical dans le cadre  du personnel exploitant des  centrales de Kaléta et Souapiti.  Cette nouvelle série de recrutement a duré sept (07) mois. Ainsi, sur une centaine d’ingénieurs guinéens, trente(30) ont été finalement retenus avec une période de formation totale officiellement communiquée de dix-huit (18) mois en Chine. Avec les diverses et multiples démarches pour les documents et préparatifs de voyage, bien qu’on nous a annoncé quatre cent dollars au Ministère de l’énergie, nous n’avons perçu que deux cents dollars (environ 1.800.000GNF) à la direction générale du projet où le service financier nous a précipitamment fait signer sur un papier recyclé. Tout cela pour un voyage de près de deux ans. Là encore nous étions obligés de nous tourner vers nos différentes familles pour soutien. Le DGA-Administration et Finance a  même dit lors d’une de nos rencontres « d’aller voir nos différentes familles pour nous soutenir financièrement car elles seront très heureuses d’apprendre que leurs enfants partent en formation à l’étranger.» Ce qui nous a paru très bizarre surtout pour le plus grand projet du pays.

 Mais le plus surprenant Monsieur le Président, c’est qu’on nous a mis dans l’avion comme çà, là encore sans aucun contrat de travail ou de stage avec le projet ni avec aucune autre institution guinéenne ou chinoise juste pour s’accaparer des avantages juridiques, matériels et financiers y afférents. Toute chose qui, arrivés en Chine, nous a causé d’énormes difficultés quant aux conditions de vie et d’étude. D’ailleurs, nul n’ait été notre courage, notre volonté d’apprendre et notre sens de responsabilité, ce programme de formation n’allait pas être mené à bon port. Car, dans bon notre de cas, les responsables chinois  de l’université Hohai ou de  la société CWE nous ont toujours dit qu’ils ont fait ce qu’ils devraient faire et que le reste est la responsabilité la partie guinéenne. Ensuite, bien que le  programme prévoit qu’une délégation guinéenne du projet Souapiti  se rendra chaque trimestre à l’université en Chine pour s’enquérir des conditions de vie et d’étude du personnel en formation et le déroulement des activités, nous n’avons reçu  aucune visite d’un quelconque membre du projet. Ils se sont contentés des rapports que les chinois  les transmettaient.

Après donc huit (08) mois de formation en Chine, les autorités de l’université nous ont signifiées que nous avons obligatoirement un (01) mois de vacances dans notre pays aux frais du maître d’ouvrage(PAHS) et de CWE.A notre fort étonnement ,une fois de plus, aucune mesure d’accompagnement n’était prévue pour ces vacances . On devait tout simplement monter dans l’avion et tomber dans nos différentes familles pour ensuite reprendre l’avion et rentrer en chine. En dépit de nos interpellations et suggestions, c’est ce qui fut fait.             

Chemin faisant, après 15 mois de cours à l’université Hohai, les responsables de CWE nous ont conviés à votre réception à la centrale hydroélectrique  de Three Gorges (22500MW) où nous avons été profondément touchés et remotivés par votre discours  sur le rôle de la jeunesse et des femmes sur le développement socio-économique  de notre pays sans oublier votre chaleureux coup de main et la pause photo. Le moment et le lieu n’étaient pas propices à des explications et nous avions à l’esprit que les choses allaient favorablement changer.  

C’est pendant notre stage pratique de trois (03) mois à la centrale hydroélectrique de Bao Zhu Si (700MW) que l’actuel chef de la centrale de kaléta alors en vacances en Chine, originaire  de la province du lieu de stage pratique, nous a rendu visite et nous a parlé pour la première fois de dix-huit (18) autres mois  de stage pour  faire au total selon lui, trois (03) ans de stage. Toute chose qui a semé dans le groupe assez d’interrogations et d’étonnements voire la désolation et des sentiments  de tromperie, car la partie guinéenne(le ministère de l’énergie et la direction générale du projet Souapiti) ne nous en a jamais parlé. Alors nous sommes rentrés en contact avec la direction générale du PAHS à travers le DGA-AF et la cheffe du personnel  pour d’amples informations .Ces derniers ont fait l’étonné en disant: «Ah bon ? C’est vrai ça ? Les chinois ont dit cela? Ce n’est pas possible, ce n’est pas vrai, mais quand vous serez de retour au pays on en parlera… ».Ce qui nous a rassurés et nous avons laissé tomber la question.

RETOUR AU PAYS 

Au terme des 18 mois de formation en Chine, nous sommes rentrés au pays le 22 décembre 2019.Là encore sans aucun entretien à plus forte raison une quelconque mesure d’accompagnement, la direction générale nous envoie pour deux(02) mois de congé. Toutes nos multiples tentatives de rencontrer la direction générale par le canal du DGA-AF  et le département des ressources humaines du projet pour leur faire cas de nos différentes préoccupations sont restées vaines. La direction générale a catégoriquement refusé de nous rencontrer. C’est dans cette atmosphère que cette même direction générale nous a demandé de nous présenter avec nos bagages  le 18 février 2019 au siège de CWE à Camayenne pour le départ sur le site de Souapiti. Arrivés à Camayenne, nous avons trouvé des véhicules et des chauffeurs prêts à démarrer et on nous intime d’embarquer illico. Face à notre réticence d’embarquer sans rien dire au préalable, une réunion d’urgence fut organisée et cela sous une pluie de menaces du DGA-AF à notre endroit. En présence donc du ministre de l’énergie et son secrétaire général, les membres de la direction du projet Souapiti (DG, DGA, DT.…) et certains responsables de CWE, nous avons exposé nos principales préoccupations en ces points :

  • Notre engagement au projet Souapiti ou à toute autre institution par la signature d’un contrat de travail pour mettre fin à notre statut de stagiaire qui dure maintenant cumulativement plus de cinq (05) ans.
  • Une prise en charge sanitaire à travers une assurance sociale compte tenu des risques élevés d’accident sur le chantier.
  • Une prime de départ afin de laisser quelque chose à nos différentes familles avant de bouger.

En dépit de longues discussions et explications, aucun de ces points n’a été satisfait. Après s’être énervé un moment, le ministre de l’énergie s’est finalement adressé à nous en disant:« Je ne vous parle plus en tant que ministre .Je vous parle maintenant en tant que père. Je vous demande de vous embarquer et d’aller sur le site. Nous sommes en train de prendre des dispositions à cet effet. »  Nous l’avons cru sur parole et avons bougé pour le site.

Arrivés sur site, au lieu d’enchaîner avec les travaux pratiques, on nous met dans la salle de réunion de kaléta transformée en salle de classe pour nous redonner les mêmes cours théoriques déjà vus en Chine avec des présentateurs ouvriers chinois moins qualifiés car la plupart des questions posées restent soit non répondues soit renvoyées ultérieurement ou répondues après des coups de téléphone par-ci par-là. Tout simplement parce que la société sous-traitante de CWE qui exploite actuellement la centrale de Kaléta n’a absolument pas intérêt à accélérer les pas dans la formation du personnel guinéen. La certification la plus nette de cette affirmation a eu lieu pendant les travaux de la grande maintenance périodique du groupe N° 2 de la centrale de Kaléta qui ont duré deux(02) mois. Pendant ces travaux de maintenance, nous pensions être techniquement associés, mais à notre grande surprise, nous n’avons participé à aucune de ces réunions techniques que les chinois tenaient chaque matin avant le début des opérations bien que notre niveau de langue chinoise et notre formation professionnelle le permettent. Pourtant c’est pendant ces réunions techniques que l’essentiel du travail est exposé ou discuté: de la méthodologie à adopter jusqu’aux mesures correctives en passant par les probables difficultés à rencontrer. On nous a réduits à des travaux de techniciens de surface  pour laver le plancher de la centrale. Nous  avons signalé ces réalités à plusieurs reprises à la direction générale, mais encore une fois, aucune action n’a été prise. La réponse a toujours été : « tout ce que les Chinois décident, c’est bon »

Quant au suivi de la qualité de la formation à Kaléta, les Chinois font ce que bon leur semble. Le chef de département des Ressources Humaines de PAHS n’a pas manqué de nous dire : « Nous, tout ce qui nous préoccupe, c’est comment avoir les décaissements, ce n’est pas vos ‘petits’ problèmes sur site. » Cela en dit assez.

LA MASCARADE PENDANT LES VISITES PRESIDENTIELLES A KALETA :

Monsieur le président de la république, c’est le moment de vous informer que depuis l’inauguration officielle de la centrale hydroélectrique de Kaléta en Septembre 2015, aucun guinéen n’est techniquement associé à la production d’énergie électrique sur le site. Tout est fait par les Chinois. C’est pourquoi, sachant cet état de faits, à l’ occasion de toutes vos visites sur site(seul ou en compagnie d’hôtes de marque), la direction générale s’arrange à importer et à installer des gens dans la salle de commande derrière les ordinateurs afin de tromper votre vigilance et vous faire croire que des guinéens y travaillent. Pour s’en rassurer, je vous prie de d’effectuer une visite surprise à la salle de commande de Kaléta ou de revenir quelques minutes après votre départ. Une autre astuce c’est de demander simplement à la personne en face de vous de faire la présentation de l’usine en langue chinoise. Vous vous en rendrez compte ! Parce qu’à part nous trente(30), aucun autre jeune ingénieur guinéen ne peut actuellement le faire. Mais la direction générale refuse tout contact avec vous sachant que notre situation sur le terrain est toujours irrégulière, en violation flagrante de tous nos textes de lois en matière de travail. Il vous souviendra peut-être qu’un jour on vous a présenté à la salle de commande de Kaléta, une personne à la soixantaine aux cheveux blancs en disant : « Ce sont les jeunes-là qu’on avait envoyés en formation en Chine». Alors que c’est tout le contraire. C’est comme ça qu’on vous cache les réalités du terrain! 

Monsieur le président, depuis maintenant six (06) ans nous sommes maintenus en situation de stage permanent de Kaléta à Souapiti alors que parmi le personnel dit employé de ces deux (02) centrales ou projets bénéficiant de tous les avantages y afférents, personne n’a fait un quelconque test de recrutement alors que nous, nous en avons fait une dizaine et avons suivi des formations ici et en Chine. C’est tout à fait paradoxal! Nous ne comprenons pas ! Nous sommes disposés à suivre toute autre formation que nos responsables jugent nécessaire, mais dans un cadre légal et réglementaire. 

Monsieur le président, vu tous ces faits, nous sollicitons votre clairvoyance et votre hauteur de vue pour nous sortir de ce statut ce « stagiaire permanent » source de toutes nos turpitudes et de regarder sous un autre angle les réalités de Kaléta et Souapiti dans l’intérêt de notre pays.

Dans l’espoir d’une suite favorable, veuillez recevoir Monsieur le Président, l’expression de notre profonde considération.

Le collectif du personnel en formation

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