Mamadou Dian Baldé, journaliste et éditorialiste, se demande si le président Alpha Condé voudra bien renoncer à son ambition de garder les manettes du palais Sékhoutouréah au-delà de 2020, après avoir résisté à tous les appels et objurgations des guides religieux et autres chefs coutumiers. Dans sa chronique de ce dimanche, il déplore surtout la tournure que prennent les événements, avec ces rapports de force qui se jouent entre le pouvoir et le Front national pour la défense de la constitution (Fndc), dans un pays déjà très éprouvé par une gouvernance à « la godille ».
Talibé Barry : Bonjour Mamadou Dian. Vous consacrez votre chronique de ce dimanche au bras de fer entre le pouvoir et le FNDC, deux entités qui n’entendent plus se faire de cadeau autour du fameux projet de changement constitutionnel, devenu un sujet clivant. Pour vous, les manifestations annoncées par les opposants au troisième mandat seront déterminantes dans l’issue de cette chaude empoignade?
Mamadou Dian Baldé : On est dans une sorte de combat entre David contre Goliath. Et bien malin qui pourrait prédire le vainqueur dans cette épreuve de force.
Certes d’un côté, il y a un pouvoir qui concentre quasiment entre ses mains l’essentiel des attributs de l’État, et de l’autre un Fndc constitué de mouvements hétéroclites, sans véritable ressort, certes. Mais d’une pugnacité à toute épreuve.
Il faut reconnaître qu’on en est là simplement, parce que le chef de l’État est soupçonné de vouloir gouverner envers et contre tout, au-delà de 2020. Comme pour ne pas avoir à faire face à l’épreuve de vérité qu’est le « déclin », pour tout homme politique au couchant de son règne. D’ailleurs comme nous l’enseigne un adage : toute bonne chose a une fin.
Même si dans l’entourage du président, certains refusent de voir la réalité en face. D’où la mise sur pied de ce projet de changement constitutionnel, avec des desseins sans doute cachés.
Pour mettre la forme à cette velléité, le président de la République et son entourage n’auraient pas trouvé mieux que de vouloir changer la constitution, en vue de remettre les compteurs à zéro. Une entreprise qui risque de conduire le pays vers des lendemains incertains, au train où vont les choses.
Avec les convulsions politiques qui s’annoncent, face au refus d’une frange importante de la société civile et de l’opposition d’entériner, ce qui à leurs yeux ne serait qu’une forfaiture.
Ainsi, après des passe d’armes à fleurets peu mouchetés entre les deux camps antagonistes, le Front national pour la défense de la constitution (Fndc) et le pouvoir sont dorénavant prêts à en découdre.
Pour protester contre tout changement de la loi fondamentale, afin de permettre au chef de l’État de rempiler de nouveau, comme ils le prétendent, les membres du Fndc appellent à des manifestations, à compter de ce lundi 14 octobre sur toute l’étendue du territoire national.
Et comme pour en rajouter à cette tension qui va crescendo, les députés de l’opposition ont suspendu leur participation aux travaux du parlement. Ce, jusqu’à nouvel ordre. Notre parlement prend donc désormais une allure monocolore, prototype du parlement godillot.
L’opposition prouve ainsi qu’elle n’entend plus passer sous les fourches caudines d’un pouvoir sur la voie du durcissement. Car à entendre les discours débités par Alpha Ibrahima Kéira et Bouréma Condé, respectivement ministre de la Sécurité et de la protection civile et ministre de l’Administration du territoire, on comprend aisément la volonté de ce gouvernement de serrer la vis à tous ceux qui s’opposent au projet de changement constitutionnel.
Même le grand Imam de la mosquée Fayçal, Elhadj Mamadou Saliou Camara ne parvient pas à infléchir les positions des uns et des autres.
L’érudit craint en effet que la Guinée ne bascule dans des violences aveugles, pour des raisons inavouées.
Dans un entretien accordé au site guineematin.com, Elhadj Mamadou Saliou Camara déplore le véritable mal qui ronge notre pays, et qui n’est autre que le culte de l’argent. Selon le grand Imam, en Guinée, les gens ne cherchent que le ‘’bonheur et non l’honneur’’.
S’en mettre plein les poches, ce, à tous les coups, au détriment de tout principe moral. Voilà ce qui préoccupe la plupart de nos « élites ».
Des propos qui semblent égratigner les thuriféraires du pouvoir, et qu’on peut résumer par cette formule : « L’homme vaut plus par ce qu’il est, que par ce qu’il a. »
Pour finir, je dirai que seul le président de la République peut nous sortir de cette impasse politique, étant en effet l’alpha et l’oméga de toute cette galère politique.
Le Premier ministre dans le rôle du soutier
Vous voyez en Kassory Fofana l’homme qui est en train de mouiller la chemise pour permettre à son « patron » de parvenir à ses fins, par la tenue d’un référendum vaille que vaille ?
En véritable soutier du président, le Premier ministre ne ménage ni son temps ni ses efforts pour satisfaire les desiderata du chef de l’État.
Il a ainsi bouclé les consultations autour du projet de changement constitutionnel et remis à qui de droit les résultats compilés issus de ces rencontres avec certains acteurs socioprofessionnels et politiques.
Ce rapport des consultations inclusives fait la part belle aux partisans du « Oui » pour un référendum constitutionnel. Comme il fallait s’y attendre d’ailleurs. La plupart des participants ayant été triés sur le volet par le Premier ministre.
Si Kassory se dit ‘’tout aussi heureux d’observer que tous les participants ont témoigné leur attachement à la paix, à la consolidation du tissu social et à l’unité entre les filles et les fils du pays, pour surmonter ensemble les épreuves d’aujourd’hui et relever les défis de demain’’, la tournure que prennent les événements dénotent du contraire.
Avec le tour de vis sécuritaire observé dans la cité, depuis que le Fndc a annoncé des manifestations à partir de ce lundi. Le pouvoir est même passé à la vitesse supérieure en procédant à l’interpellation de plusieurs dirigeants du mouvement, dont Abdourahamane Sanoh. Dans la même veine, Cellou et Sydia, les deux principaux leaders de l’opposition, membres du front, disent craindre pour leur vie.
Un front devenu la bête noire du système.
L’attitude de nos autorités prouve à suffisance que les vieux réflexes ont la vie dure.
Dans ce bras de fer, le pouvoir ne devait surtout pas perdre son sang-froid. Malheureusement, c’est ce qui risque d’arriver avec ce déploiement massif des forces de sécurité dans les moindres recoins de la cité.
Cette fébrilité ne peut que profiter à l’adversaire. Et dans ce registre de la conquête de l’opinion publique, pour le moment c’est le Fndc qui semble marquer des points depuis l’arrestation des meneurs du mouvement.
Et désormais, dans le camp du Fndc, on se demande comment dialoguer avec un Premier ministre plus favorable « à l’ordre qu’à la justice. » Partisan donc de la méthode forte.
Ce que bien des gens déplorent dans l’attitude de ce gouvernement, c’est cette politique de deux poids deux mesures appliquée dans le débat sur le changement constitutionnel.
Car au moment où des opposants au projet sont embastillés, humiliés et trainés de force devant des tribunaux, on déroule le tapis rouge pour les partisans du « Oui » au projet.
Cela en dit long sur les velléités du système, accusé de tenter un passage en force, comme le prétendent ses détracteurs. Et c’est notre démocratie qui pourrait dans un tel cas de figure, en prendre un sérieux coup.
Mamadou Dian Baldé
Journaliste et éditorialiste