Ce texte a été rédigé le 06 décembre 2013 le lendemain de l’annonce du décès de Nelson Mandela. En le relisant je le trouve actuel et pertinent au regard de mon propre itinéraire et de la démarche politique dans laquelle nous nous sommes engagés. L’exil, les difficultés du retour, la reconquête progressive et lente de l’honneur et de la crédibilité sont des épreuves qui forgent le caractère et déterminent les orientations essentielles de notre vie. En tournant la page des rancœurs et des querelles stériles en définitive, nous ne faisons que de tenter d’imiter Nelson Mandela. J’ai retrouvé avec plaisir ces lignes ci-dessous qui comme par prémonition m’avaient préparé à être « ce que je suis maintenant ». Les bizarreries de la vie sont dés fois déroutantes et instructives. Je vous souhaite bonne lecture.
Nelson Mandela s’est éteint tranquillement le 05 décembre 2013 dans son pays. Le monde entier a rendu un vibrant hommage à ce combattant de la liberté et des droits de l’homme. L’admiration mondiale pour cet ancien pensionnaire du bagne de Rhoben Island, est due à la réussite de sa politique active de réconciliation nationale et de pardon. Ce qui a permis d’assurer pacifiquement le passage d’une société ségrégationniste, éclatée et abjecte à une société démocratique, multiraciale, apaisée et tournée vers l’avenir. Il a libéré son pays du joug de l’apartheid. Il a contribué également à l’engager sur les voies escarpées de la paix et de la réconciliation nationale. L’Afrique du Sud lui doit son unité et son prestige actuel.
Que retenir de la longue marche vers la liberté de Nelson Mandela
Les clameurs admiratives d’aujourd’hui ne doivent pas nous faire oublier la solitude et les immenses sacrifices consentis par les militants anti-apartheid durant plusieurs décennies. Le massacre de Sharpeville le 21 mars 1960 où périrent soixante-neuf manifestants dont plusieurs femmes et enfants marque une rupture radicale avec la stratégie non violente de l’ANC ( African National Congress) . Nelson Mandela qui fonde en 1961 la branche armée Umkhato We Sizwe (MK) prône le recours à des actes de sabotages sans pertes de vies humaines des installations symboliques et institutionnelles de la politique de discrimination raciale et de « développement séparé ». Lors du procès de Rivonia en 1964, Mandela justifia ce changement de stratégie en arguant que le seul choix possible hormis une capitulation sans conditions était la résistance active. Devant ses juges il déclara « j’ai chéri l’idéal d’une société libre et démocratique dans laquelle toutes les personnes vivraient ensemble en harmonie et avec les mêmes opportunités. C’est un idéal pour lequel j’espère vivre et agir. Mais, si besoin est, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir ». Vingt-cinq années de prison, d’humiliation et de privations ont davantage forgé son caractère et sa détermination à consacrer son existence pour éradiquer la politique d’apartheid de sa terre natale.
L’Ubuntu principe et vision positive de l’être humain
A sa libération le 11 février 1990, il met en œuvre en tant que leader le principe de l’Ubuntu qui exprime la fraternité, la compassion et l’ouverture d’esprit et qui s’oppose au narcissisme et à l’individualisme. La mise en pratique de cette philosophie de don de soi et d’empathie pour les autres lui a permis de construire la nation arc-en-ciel et lui vaut la reconnaissance et la considération du monde entier. Son nom et son héritage survivront à jamais dans la conscience collective humaine.
Une Afrique encore en panne de leadership
Nelson Mandela disparaît alors que le continent africain est ravagé par des guerres civiles meurtrières et absurdes, une mal-gouvernance chronique et répugnante, et un tragique manque de leadership dans plusieurs pays. La Guinée, mon pays ne fait pas exception à ce fléau qui est une parfaite illustration de la négation de « l’esprit Mandela ». Régulièrement une soldatesque aux ordres tue, violente, humilie et tente d’étouffer les bourgeons de la liberté. Les jeunes de Ratoma à Conakry comme hier les jeunes de Sowéto à Johannesburg paient un lourd tribut pour que la démocratie, la liberté et le progrès en Guinée puissent se traduire dans les faits.
En combattant avec détermination, courage et constance pour les droits de l’homme, la primauté de la loi sur la force brute, le dépassement des différences et des clivages ethniques et l’instauration d’une gouvernance démocratique et vertueuse, c’est honorer Mandela .
Marcher sur les pas de Mandela est un devoir civique et moral pour que la démocratie, l’unité et la réconciliation nationale puissent éclore sur la terre de Guinée. Nous faisons le serment de marcher sur les sillons tracés par ce grand humaniste.
L’esprit de Mandela une source d’inspiration
L’esprit de Mandela continuera à inspirer des générations et des générations d’hommes et de femmes à travers le monde, car la lutte pour l’égalité, la réconciliation, la démocratie et la liberté est perpétuellement à renouveler car faisant partie de la condition humaine. Le « souffle des ancêtres » du poète sénégalais Birago Diop exprime à sa manière l’immortalité de l’esprit de Mandela à travers ces quelques vers :
« Ceux qui sont morts ne sont jamais partis
Ils sont dans l’ombre qui s’éclaire
Et dans l’ombre qui s’épaissit,
Les morts ne sont pas sous la terre
Ils sont dans l’arbre qui frémit,
Ils sont dans le bois qui gémit,
Ils sont dans l’eau qui coule,
Ils sont dans la case, ils sont dans la foule
Les morts ne sont pas morts. »
Dors en paix Nelson Mandela.
BAH Oury
Ancien ministre de la réconciliation nationale
Président UDD