Censure

Nouveau franc des colonies françaises d’Afrique ou la monnaie commune rêvée des pères fondateurs ? (Par Kerfalla Sylla)

L’ECO sera-t-elle le nouveau franc des colonies françaises d’Afrique ou la monnaie commune rêvée des pères fondateurs ? et si le Président Sékou Touré, l’un des pères fondateurs du panafricanisme, avait raison (attention : sur la monnaie, et seulement sur la monnaie) ?

Le samedi 21 décembre 2019, s’est tenue à Abuja (Nigeria) la cinquante-sixième session ordinaire de la conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO. Tous les points brulants de l’actualité ouest africaine ont été abordé. Du processus d’intégration, aux opérations de maintien de la paix, en passant par la lutte contre le terrorisme, la libre circulation des personnes et des biens et les échéances électorales dans la région y compris en Guinée. Vraiment tout !

Mais sur les 62 points du communiqué final ayant sanctionné l’évènement, ce sont ceux relatifs à la future monnaie unique qui ont attiré mon attention (et celui relatif aux élections). Car, un jour plutôt, par hasard du calendrier ou coïncidence, le Président français, Emanuel Macron, et son homologue ivoirien, Alhassane Ouattara avaient fait une déclaration relative à la même future monnaie de la CEDEAO. Même si nous ne sommes pas savants ou diplomates, force est de constater que les deux déclarations sont totalement contradictoires. A se demander si les protagonistes parlent bien de la même monnaie. Une seule constance, Alhassane Ouattara, le plus monétariste des Dirigeants Ouest-africains et probablement le plus francophile (par choix ?) a participé aux deux déclarations.

En effet, dans leur déclaration, les Présidents français et ivoirien annoncent quelques reformes pour le FCFA dont les principaux points sont :

  • le FCFA va devenir l' »Eco »
  • le maintien de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) même si elle ne devra plus déposer la moitié de ses réserves de change auprès de la Banque de France
  • la France va se retirer des instances de gouvernance de l’Union monétaire ouest africaine (UMOA)

Par contre aucun changement sur la parité fixe avec l’euro sur la base de 1 euro = 655,96 francs CFA et surtout la France restera garante de l’Eco comme du FCFA. Pour eux, le processus est simple : l’Eco remplace le FCFA (de nom !) et les autres pays africains comme la Guinée, le Ghana et le Nigeria y adhère. Il ne faut pas être naïf. La France va garantir l’Eco car elle profite alors du changement de nomenclature monétaire pour étendre sa sphère d’influence en Afrique aux pays anglophones. Les pays lusophones Guinée Bissau et Guinée Equatoriale utilisant déjà le FCFA.

De l’autre côté, dans la déclaration d’Abuja, notamment aux points 13 à 18, les Chefs d’Etat annoncent :

  • la réaffectation, en priorité, des ressources financières du Fonds spécial au financement des activités indispensables à la création de l’Union monétaire de la CEDEAO en 2020
  • l’adoption du symbole
  • la création d’une nouvelle Banque Centrale de la CEDEAO nommée Banque Centrale de l’Afrique de l’Ouest (BCAO)

A noter qu’ils existent déjà quelques institutions pour cette future zone monétaire notamment l’Agence Monétaire Ouest Africaine (AMAO) et l’Institut Monétaire Ouest Africaine (IMAO).

Pour nos chers leadeurs, c’est donc une nouvelle monnaie, indépendante du FCFA et donc de la France avec une nouvelle Banque Centrale, sans parité avec l’Euro et surtout définissant le même processus d’adhésion pour tous les pays membres qui doivent respecter les critères de convergence. C’est pourquoi ils annoncent que la réforme de la zone monétaire de I’UMOA facilitera son intégration dans la future zone monétaire de la CEDEAO (ECO).    

La Guinée a lancé sa propre monnaie le 1er Mars 1960. A cette occasion, le Président Sékou Touré a fait une célèbre déclaration appelée : la proclamation de la monnaie guinéenne. Cette déclaration devrait être enseignée dans nos écoles.

Si pour nos frères africains de l’UEMOA qui n’ont jamais connu de souveraineté monétaire ce sont plutôt des avancées, pour nous guinéens, porte flambeau de l’indépendance africaine, disposer d’une monnaie garantie par la France sonne comme un acte de trahison envers nos héros de l’indépendance et surtout envers les idéaux de la déclaration du 1er mars 1960 relative à la monnaie guinéenne. Les Sékou Touré et M’Balia Camara doivent se retourner dans leur tombe.  

Toute existence fondée sur la dépendance et l’irresponsabilité ne saurait en aucun cas sauvegarder la dignité de l’homme et celle du peule 

 Pour répondre à la question posée plutôt, l’Eco version Macron et Ouattara sera juste le nouveau franc des colonies françaises d’Afrique. Dans ce cas de figure la Guinée devrait immédiatement se retirer du processus et profiter de lancer sa propre nouvelle monnaie « le Cauris » car si l’expression de Sékou Touré ou il affirme qu’il « préfère la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage », il a une autre expression moins célèbre que j’aime souvent citer : « toute existence fondée sur la dépendance et l’irresponsabilité ne saurait en aucun cas sauvegarder la dignité de l’homme et celle du peule ».   

Enfin, l’Eco version Déclaration d’Abuja est une monnaie commune rêvée des pères fondateurs. La Guinée, en tant que pays panafricaniste dont le projet de nouvelle Constitution autorise d’abandonner une partie de sa souveraineté au profit de l’Afrique, devrait batailler sans relâche pour sa mise en place et surtout batailler pour accueillir des institutions stratégiques de cette future zone monétaire. La Guinée devrait aussi combattre tous les obstacles à sa mise en œuvre car ils en existent toujours lors de la création d’une nouvelle monnaie.  Au lancement du franc guinéen, Sékou Touré se posait déjà les questions « Faut -il penser que les ennemis de l’émancipation des peuples africains vont encore chercher à entraver la marche de notre évolution ? Au lieu d’insérer intelligemment et utilement leur activité économique et commerciale dans le cadre prescrit au développement rapide du pays, des personnes et des sociétés vont t’elles chercher à compromettre l’heureux aboutissement de la réforme monétaire ? »            

L’Eco n’a d’autre objet que le bien commun, d’autres bornes que celles de l’utilité publique, de l’intérêt général, de la justice et de la liberté tout court

Oui Monsieur le Président vous aviez raison, il y aura des ennemis et d’autres chercheront à compromettre la mise en place de l’Eco, cela est fort possible comme vous disiez. « Mais nous sommes, quant à nous, assurés du succès complet et rapide de l’Eco qui n’a d’autre objet que le bien commun des peuples ouest africains, d’autres bornes que celles de l’utilité publique, de l’intérêt général, de la justice et de la liberté tout court pour l’Afrique de l’Ouest ».

Tôt au tard tous les peuples colonisés seront indépendants : Et ce n’est pas de Sékou Touré, mais de Kerfalla Sylla.

Le débat est lancé en Afrique de l’Ouest et c’est plutôt un signe encourageant car ce n’est même pas d’actualité dans l’autre zone CFA (oui, il y en n’a deux sans aucune conversion). Il y a une grande constance que l’histoire nous enseigne « Tôt au tard tous les peuples colonisés seront indépendants. Pour certains, cela peut prendre 1 an, 10 ans, 100 ans, pour d’autres 1000 ans, mais tôt au tard, tous les peuples colonisés seront libérés. »  

Kerfalla SYLLA

Inspecteur Général

Ministère en charge des Investissements et des Partenariats Publics Privés

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