« Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. » C. Baudelaire.
Qu’avons-nous fait pour marcher si lourdement sur l’asphalte, en nous gardant de clamer que nous sommes ce que nous sommes : « princes des nuées » ? Serions-nous responsables d’être tombés dans les nasses des matelots qui pour tout appas, nous tendaient un morceau de pain ? Comment s’est émoussée cette force nôtre de rire de l’archer et de ne point s’émouvoir devant les suppliques du puissant ?
L’albatros qui plane au dessus de la lie est le journaliste dans la société qui se gausse du qu’en-dira-t-on, qui ne s’émeut point de la teneur de sa tirelire, qui se moque de l’arbalète du fortuné tant qu’il reste en harmonie avec la conscience professionnelle et le sentiment d’avoir accompli son devoir.
Le problème est que le gros oiseau s’est mis à trop fréquenter le pont et les matelots ont développé le sentiment qu’il ne faut pas plus qu’un morceau de pain pour le mettre en transe et lui faire chanter la sonate de leur choix.
Cette vulnérabilité et cette frivolité du journaliste est peut-être le fait de la société qui ne s’émeut point de son cantonnement dans une précarité des plus sévères. Il n’est pas toujours propriétaire de son outil de travail et le fruit de son labeur lui permet à peine de se nourrir. Comment comprendre qu’un rédacteur chef perçoive une rémunération de moins de deux millions de francs guinéens (200€) par mois.
Les garde-fous pour protéger la pratique de ce métier sont des plus poreux. Un grand nombre, peut-être la moitié de ceux qui pratiquent ce métier n’ont jamais fait d’études dans ce sens, et n’en maîtrisent pas les techniques de base ou les standards professionnels reconnus: ils y viennent souvent parce qu’ils n’ont pu trouver autre chose à faire. Comment dans ce cas, être hauteur de la responsabilité qui incombe à ceux qui font ce travail quand on ignore l’éthique, la déontologie et le tact exigés pour sa pratique ?
Ecouter aujourd’hui la radio, la télévision ou aller sur la toile ne procure plus toujours la fierté de se réclamer de ce métier.
Puisque se sentant devoir à quelqu’un ou à une obédience, les journalistes s’érigent en inquisiteurs en distillant la mauvaise information ou en aggravant les divergences conflictuelles. Toute manière qui peut porter atteinte à l’unité nationale, à la cohésion sociale, à la paix civile, à la commodité du quotidien.
Le secteur médiatique guinéen, affiche un état des lieux peu satisfaisant en dépit des efforts y consentis et nécessite un nouvel engagement programmatique tant les objectifs, les attentes, les enjeux et les défis de la société guinéenne sont immenses et inassouvis.
Il n’est écrit nulle part ce que le journaliste doit ou ne doit pas dire. Mais dans la réalité, les mailles des fils invisibles des autorités politiques, des nantis, des propriétaires d’organes l’étouffent et orientent, parfois à son insu, ses propos. Le voilà étiqueté par une frange de la population et son rôle d’être impartial définitivement compromis. Puisque dès lors, sa pratique s’affranchit des nobles et sacro-saints attributs de l’éthique, de la déontologie, de la responsabilité. Le journalisme cesse alors d’être un grand art. Il devient un métier comme un autre. Il y a aussi l’épée du juge si prompt à écouter et à obéir « aux victimes ». En effet, les menaces que font peser les lois étouffent éminemment la liberté d’expression et contraignent parfois le journaliste à la compromission notamment par une utilisation abusée du mode conditionnel.
Comme le prince des nuées, le journaliste est un artiste et l’artiste a cette particularité de ne pas se compromettre, de donner à tous, pour une société plurielle, afin de transcender les incompréhensions, pour une vie en communauté saine, où la parole est dite et partagée afin que chacun puisse jouer sa partition en prenant soin de ne pas piétiner l’autre.
Le journalisme est un art majeur qui, exercé avec tact, mesure et dextérité, participe à l’édification d’une société de citoyens doublement ouverte aux défis de la transparence et de la justice sociale.
Un grand art qui doit s’exercer dans la liberté et la responsabilité, qui exige alors de ses acteurs et de l’ensemble de ses organes, un professionnalisme sans complaisance, une rigueur intellectuelle et morale sans concession et un attachement viscéral, voire sacerdotal au respect des règles et principes propres à la Démocratie et à l’Etat de Droit. Il est un outil ou l’outil d’accompagnement de la démocratisation de la Guinée.
Outre la diversité de nos opinions et de nos parcours professionnels ou la profondeur des clivages sociopolitiques qui sont, hélas parfois, les nôtres, nous devrions tous collectivement résister à la tentation de la facilité ou des raccourcis dangereux qui servent les causes groupusculaires, obscurantistes ou communautaristes. Ces causes bien souvent inavouées, ne servent aucunement la paix, la démocratie et la cohésion sociale qui sont des valeurs si chères à la société guinéenne.
Le journalisme doit demeurer ce grand art qui transforme tous ses acteurs dignes des nobles attributs qui sont les siens, en des vigies de la démocratie.
La Haute Autorité de la Communication qui figure parmi les institutions constitutionnelles de la Guinée, déroule depuis sa création dans sa forme actuelle, ses missions en vue de consolider le secteur médiatique, améliorer sa gouvernance pour corriger son retard structurel et son fonctionnement boiteux.
Des efforts, des sacrifices ainsi qu’un trésor d’ingéniosité ont été consentis dans ce sens. Le bilan actuel mérite sans doute d’être salué. Cependant, ne pouvait-elle faire plus ? Par exemple, que ce journalisme ne soit pratiqué que par ceux dont c’est le métier, que seul un de ceux-là soit admis à obtenir un agrément de création de radio, de télévision ou de presse.
Dans la pratique, l’incapacité de se gausser de l’humeur des gens de la corporation aura conduit à toutes les permissivités.
Des réformes sont nécessaires à une présence plus responsable dans le paysage médiatique international. Des pistes de travail devraient ainsi permettre de qualifier le travail des professionnels des medias par un renforcement durable de leurs capacités techniques et opérationnelles, une démarche qui adosserait le travail des journalistes et autres acteurs médiatiques à une prise de conscience accrue du régime juridique consacré par le Droit Positif, les conventions régionales et internationales. En prenant toute la mesure de ses responsabilités, l’organe régulateur de la presse devrait partager et faire accepter par tous les professionnels des médias, le corpus des règles et principes propres à l’éthique et la déontologie, protéger, développer et promouvoir la culture guinéenne et africaine par le biais d’une politique de production et de diffusion des œuvres du génie national.
Il pourrait travailler à accroitre la responsabilité des propriétaires et gérants des entreprises de média dans la préservation de la paix civile et la cohésion sociale en période préélectorale, électorale et postélectorale, assurer et garantir la liberté pour l’ensemble des acteurs médiatiques qui œuvrent à la mise en pratique de la liberté d’expression et de conscience.
Ces réflexions s’attèleraient au renforcement de l’indépendance des journalistes face aux dirigeants des organes de presse, aux corporations syndicales, aux acteurs et groupes économico-financiers et aux autorités politiques, par la généralisation des mesures d’autonomisation socio-professionnelle. Peut-être peut-on imaginer des Etats-généraux ou des foras pour faire évoluer l’arsenal législatif et réglementaire applicable aux journalistes dans l’exercice de leur profession.
Sans céder aux attraits d’un optimisme béat, il y a lieu de constater que les conditions de cette autre révolution du secteur médiatique sont, pourrait-on ainsi dire, quasi réunies.
Le cadre institutionnel actuel du secteur y est favorable, les professionnels des médias souhaitent voir le secteur accomplir des bonds de géant et les partenaires techniques et financiers guettent des signaux favorables.
Tous les ingrédients sont réunis. Ou presque. Mais d’abord, maintenir « l’aspiration à l’élévation »
Yamoussa SIDIBE
Journaliste
Ancien DG RTG