Le Ministre de l’Europe et des Affaires Etrangères de la France, lors d’une audition le mardi 14 janvier 2020 devant la Commission des Affaires Etrangères à l’Assemblée Nationale, a déclaré notamment sur la Guinée, que «C’est la situation la plus sensible aujourd’hui et l’engagement du Président Alpha Condé à demander une réforme de la Constitution ne nous parait pas être obligatoirement partagé ni par sa population ni par ses voisins».
Engagement pour nouvelle Constitution pas obligatoirement partagé par la population !
C’est étrange car nous sommes dans le champ politique et le domaine d’application, en Guinée ou ailleurs, c’est le peuple. Ainsi à juste raison, le Président Français lors des contestations des Gilets jaunes affirmant notamment que le peuple c’est eux et demandant en conséquence son départ, avait dit qu’on ne peut pas s’arroger le peuple comme ça, que ça se fait par des élections, et sous-entendu c’est lui qui est là par le biais de ces élections. Nous approuvons totalement ce point de vue, car ce n’est pas parce qu’un mandat présidentiel est en proie à des remous que le Président concerné devra s’en aller, tant un mandat présidentiel est rarement linéaire. Sous ce regard, peut-on valablement apprécier que le projet de nouvelle Constitution en Guinée «ne parait pas être obligatoirement partagé par sa population» parce qu’il y a des remous ! En abondant dans le sens de cette affirmation, n’accepte-t-on pas que les contestataires s’arrogent le peuple alors que l’on avait récusé un tel positionnement avec les Gilets jaunes en affirmant que c’est sur la base d’élections qu’on peut s’arroger le peuple ! C’est étrange parce que la France est confrontée actuellement à de vifs remous sur la réforme des retraites, et cette réforme, par le système à points sur lequel il est fondé ainsi que sur un âge pivot de départ à la retraite sur lequel il repose, constitue une véritable Refondation du devenir des Français en matière de retraite, comme une nouvelle Constitution se présentant comme une refondation du devenir d’un peuple. Les remous sur cette réforme des retraites en France se traduisent par des grèves, des difficultés à se rendre au travail induisant des trajets longs et fastidieux, des activités paralysées ou au ralenti, à telle enseigne que de nombreux observateurs ont estimé que le pays était bloqué. Mais le Premier Ministre français a réfuté cette qualification de la situation de son pays en disant que «le pays est perturbé mais pas bloqué». En Guinée, avec la situation de remous qu’elle connait par moments, c’est exactement la même chose, à savoir que le pays est perturbé mais pas bloqué. C’est tellement vrai que les perturbateurs qui pensaient pouvoir prendre le pays en otage disent avoir lâché prise, en faisant croire que c’est volontaire, alors qu’en réalité cela découle du faible ancrage qu’ils ont sur la population, et qu’ils semblent découvrir maintenant, population ne suivant pas du tout leurs mots d’ordre de paralysie de l’économie.
C’est étrange car en France, le parti arrivé en tête des dernières élections nationales c’est-à-dire les Européennes du 26 mai 2019, ce parti qu’est le Rassemblement National (ancien Front National) pouvant donc, du fait de son rang de 1er, être considéré comme représentatif du peuple, a demandé l’organisation d’un référendum à propos de la réforme des retraites que le journal «Le Parisien Aujourd’hui» qualifiait dans son édition du 14 décembre 2019 de réforme «ambitieuse mais très contestée». Le Rassemblement National n’a pas eu gain de cause sur sa demande de référendum. On ne peut pas sur ce point incriminer le Président français, car il a raison, on ne peut pas s’arroger le peuple à n’importe quelle occasion, car malgré que des observateurs trouvent sa réforme des retraites «très contestée», malgré que la majorité du peuple français soutient, jusqu’à ce jour, les contestataires, il demeure ferme dans l’application de sa réforme des retraites, comme une sorte de Seul contre tous si on se base sur l’observation superficielle des faits, et malgré tout cela donc, les derniers sondages le donnent gagnant de 55 à 57% à l’élection présidentielle de 2022 ! Cela signifie sans aucun doute, qu’au-delà de l’observation superficielle des faits, il y a un ancrage en sa faveur que seule une analyse approfondie pouvait permettre de saisir. En Guinée, le Président Alpha Condé, concernant le projet de nouvelle Constitution, a reconnu qu’il y avait 2 Guinées, c’est-à-dire 2 positions, ce qui est tout à son honneur de Grand Démocrate qui n’essaie nullement d’ignorer une opinion partie prenante en faveur d’une autre, d’où il propose volontairement un référendum pour permettre à toutes les parties de se prononcer, et il y aura après une seule Guinée sur la base de la vision gagnante. Il ne refuse donc pas l’expression du peuple ! N’est-ce pas à ce moment-là que l’on peut véritablement apprécier si la population partage ou non le projet de Constitution qui lui est soumis ! Au lieu de se baser sur des remous de contestataires qui veulent s’arroger le peuple en dehors des rendez-vous y afférents où ils sont défaits et dont les prochains pourraient leur réserver le même sort, comme pour ce qui semble se dessiner en France en 2022 contre les contestataires de la réforme «très contestée» du Président de la République de France, malgré les remous sur des projets phares de part et d’autre.
Engagement pour nouvelle Constitution pas obligatoirement partagé par les voisins !
Au regard de cette assertion, nous citoyens, nous ne pouvons que nous tourner vers nos voisins pour voir de quoi ça retourne ! Et là, on se rend compte qu’on ne comprend rien à ce langage diplomatique !!! Cela signifie-t-il que l’engagement pour une nouvelle Constitution doit nécessairement être partagé par nos voisins ? Dans ce cas, pourquoi c’est notre pays qui doit aliéner sa souveraineté en soumettant son projet à ses voisins, et pourquoi les voisins ne nous soumettraient pas eux, leurs projets pour approbation ! En effet, si la Guinée doit faire partager son projet par ses voisins, de façon symétrique, chaque voisin doit faire partager son projet à la Guinée ! Au demeurant, le voisin Sénégalais a procédé à une révision Constitutionnelle adoptée le 4 mai 2019 par une majorité de 3/5 à l’Assemblée Nationale, se traduisant par la suppression du poste de Premier Ministre malgré les nombreuses récriminations de l’opposition, et il ne nous semble pas que le Sénégal ait fait partager cette révision Constitutionnelle par ses voisins, dont la Guinée, puisque ce n’était même pas annoncé dans le programme présenté aux populations pendant la campagne électorale ! Auparavant, le voisin Sénégalais avait procédé à un référendum Constitutionnel le 20 mars 2016, comme veut le faire la Guinée, et cela s’est traduit par une large victoire du «oui» (62,54%). Il ne nous semble pas, là non plus, que le Sénégal ait fait partager son projet Constitutionnel par ses voisins, dont la Guinée ! Le voisin Ivoirien a lui aussi procédé à un référendum Constitutionnel le 30 octobre 2016, comme veut le faire la Guinée, et cela s’est traduit par une très large victoire du «oui» (93,42%). Il ne nous semble pas, là encore, que la Côte d’Ivoire ait fait partager son projet par ses voisins, dont la Guinée ! Et dans chacun de ces 3 pays, y compris la Guinée, l’opposition parle de ce qu’elle appelle une volonté de «3e mandat» de chacun des Présidents respectifs de ces 3 pays ! Cette terminologie de «3e mandat» a donc cours dans ces 3 pays et on ne comprend pas pourquoi la Guinée devrait être singularisée si c’est cela qui a induit l’assertion selon laquelle il faut faire partager un projet Constitutionnel par les voisins ! Pour continuer dans la liste des voisins Francophones, le voisin Malien est en phase avec la Guinée. Il y a les voisins anglophones (Libéria, Sierra Léone) et lusophone (Guinée Bissau) : faut-il réciproquement aliéner sa souveraineté pour faire réciproquement partager son projet national ! Par ailleurs, l’assertion de partage de projet Constitutionnel a-t-elle été émise dans le souci de répercussions de remous, censés en découler, chez les voisins ? Cela signifie, logiquement, que de façon symétrique, des remous chez les voisins de la Guinée vont déborder sur la Guinée ! Chez les voisins Francophones Ivoiriens, Sénégalais et Maliens, il y a eu respectivement une crise politico-militaire en septembre 2002, l’irrédentisme casamançais (région du sud du Sénégal) depuis décembre 1982, les attaques d’Islamistes depuis 2012 au Mali où la Guinée est engagée à côté de la France. Aucun de ces conflits n’a débordé, outre mesure, sur la Guinée ! On peut aboutir à la même conclusion de stabilité de la Guinée concernant les conflits qui ont émaillé la vie politique de ses autres voisins non Francophones.
Syndrome anti-français à éviter
En définitive, l’assertion de «…Engagement pour une réforme de la Constitution pas obligatoirement partagé par les voisins» nous semble insaisissable dans sa pertinence au vu de toutes les analyses que nous avons faites pour être édifiés. C’est sans doute un langage diplomatique que nous ne comprenons pas, et malheureusement, c’est ce genre d’incompréhensions que ce soit dans le langage comme ici, ou dans les actes, qui génère des ressentis pouvant se traduire par des attitudes de rejet de son interlocuteur ou vis-à-vis. Par exemple, on assiste à un sentiment anti-français dans le cadre de l’opération «Barkhane» au Mali notamment où la France est perçue par une certaine opinion comme soutenant Kidal (région du Nord du Mali) et exploitant les richesses aurifères du Mali. Ce sentiment d’hostilité s’est d’ailleurs traduit par le sommet de Pau dans le Sud de la France le 13 janvier 2020 entre la France et le groupe des 5 pays africains du Sahel autour de l’engagement français au Sahel, tant il est vrai que c’est écœurant que la France qui vient défendre ces pays au prix du sang, subissent de tels ressentiments. On assiste par ailleurs à un sentiment anti-français dans la monnaie FCFA qui va finalement se transformer en ECO. Ce syndrome anti-français doit donc être pris en compte par la France pour ne pas créer de confusions ou d’incompréhensions interprétées selon des ressentis du genre de soutien d’une part de Kidal et d’exploitation d’autre part de richesses du pays concerné (on parle bien de ressentis), ou dans le cas de la Guinée, eu égard à la déclaration faite sur ce pays, du genre de soutien d’une part à un groupe qui s’arroge illégalement et illégitimement le peuple pour imposer à tout le pays son rejet de l’expression du peuple par les urnes, et d’autre part, l’imagination fertile des gens va trouver une contrepartie à partir de leurs ressentis. En définitive, dans notre réaction citoyenne, on peut se féliciter de la partie de la déclaration de la France que nous croyons comprendre et nous confortant dans l’estime que nous avons pour la France, pays ami de la Guinée, à savoir cette phrase ci-après : «Nous sommes aujourd’hui particulièrement soucieux de la situation en Guinée et nous appelons à l’apaisement». On ne peut en effet que se réjouir de mesurer l’amitié de la France pour notre pays se traduisant par son souci pour des remous chez nous, et on ne peut que totalement approuver son appel à l’apaisement, celui-ci passant par l’expression du peuple, comme l’a si bien dit le Secrétaire d’Etat américain Adjoint aux Affaires africaines qui a déclaré, sur la Guinée notamment eu égard à son projet de nouvelle Constitution, que tout processus doit être soutenu par le peuple. Exactement comme le veut le Président Alpha Condé parlant d’inviter le peuple à se prononcer sur le projet de nouvelle Constitution. Que s’exprime donc le peuple !